PAGES PROLETARIENNES

samedi 27 décembre 2014

QUAND UN FILM PEUT DEVENIR SUBVERSIF

DEUX DARDENNE UNE MARION

(notes sur le film des frères Dardenne "Deux jours, une nuit", ses contempteurs sectaires et l'agonie du syndicalisme)


Les films de guerre ou sur les guerres mondiales ne sont jamais subversifs comme nous venons d'en subir les images plus commémoratives que réflexives tout au long de l'année qui vient de s'écouler. Sous certains aspects, comme un article choc, un livre important, un événement marquant, un film peut être subversif, et la subversivité de ce film échapper complètement à une poignée d'intellos qui se piquent de connaissance approfondie en subversion historique.

Des films qui traitent de la condition ouvrière il y en a peu pour ne pas dire de moins en moins. Mais il y a eu de plus en plus de films sur les cols blancs, sur des péripéties personnelles, conflictuelles, amoureuses qui mettent en scène tout de même cette classe ouvrière moderne, si névrosée, si niée, apparemment si impuissante à prétendre s'extraire de son sort. Le cinéma à gros budgets et gros profits préfère les scénarios inspirés de faits divers juteusement sanguinolents, une variété d'histoires d 'éternels marginaux ou de détraqués qui saisissent de frayeur les spectateurs, ou encore des aventures extraordinaires avec effets spéciaux. Je ne crache pas dans la soupe ni ne méprise la distraction pour tous les goûts. "La famille Bélier" est un moment d'enchantement avec un scénario simple comme l'était "bienvenu chez les chtis". Le théâtre du dix-neuvième siècle a été totalement supplanté en milieu disons populaire par la "distraction cinématographique", qui est aussi recueillie par le creuset TV, nécessaire pour atténuer la monotonie du quotidien des "gens honnêtes" et "sans histoires". Le cinéma de propagande "populaire" ou "prolétarienne" est mort de sa nunucherie1. Les cinéastes gauchistes et tiersmondistes de l'après 1968 tentèrent bien également de nous faire le coup; il suffit d'en revoir quelques uns pour déplorer tant de navets pas tant imbuvables que ridicules. En général le militant lambda de l'ultra-gauche fossile n'a pas le temps d'aller au cinéma, et consacrer des articles à des films ou livres serait une insulte au papier réservé à l'éducation politique du prolétariat inculte. En général depuis trente ans, avant l'excellente invention de la bloggerie universelle, la secte ne consacrait que très peu d'articles aux films ou aux livres, considérant, comme ses diverses scissions ouvriéristes, qu'on ne saurait parler d'autres choses que des augmentations de salaire, des licenciements et du squelette du parti futur, au minuscule échantillon des masses prolétariennes susceptibles de s'intéresser à une aride prose politique pour l'essentiel dénonciatrice des malheurs et distractions perverses du capitalisme "à l'agonie"2.
Comment se fait-il que la secte ultra-gauche - mais rassurez-vous fort accommodatrice désormais au démocratisme convivial autant qu'elle s'est réduite comme peau de chagrin3 - ait réservé quelques colonnes, quoique gratuites, de son blog au film de la confrérie Dardenne? Parce qu'ils n'ont plus rien à dire hormis les radotages sur la décomposition du capitalisme et la trahison infinie de la gauche caviar?
Je me prends à penser que c'est parce que ledit film sous ses airs sociologiques inoffensifs, colle de trop près à la vérité de la condition ouvrière aujourd'hui, sans prétention propagandiste, sans fioritures marxistes ou anarchistes, a vexé nos purs propagandistes", enlevant le pain psycho-politique de la bouche à ces donneurs de leçon d'une classe "atomisée" et qui "a besoin des guides de l'organisation révolutionnaire". Les "purs" sont sortis de leur trou comme les Témoins de Jéhovah ulcérés par la pornographie. Le film des frères Dardenne, comme leur oeuvre, n'a aucune prétention révolutionnaire, et c'est très bien. Car la prétention révolutionnaire est ridicule et revient depuis cent ans à prendre les prolétaires pour des cons. Le travail des deux cinéastes est bien plus intéressant qu'un prêche marxiste car il est recréation de la réalité. Ce que nous savons tous plus ou moins confusément – ce genre de deal sordide proposé par un patron cynique d'une PME, primes contre le licenciement d'une ouvrière – et qui se déroule tous les jours sous nos yeux, il ne sert à rien de le dénoncer ni d'écouter les lamentations hypocrites de la gauche de la gauche et de leurs bonzes syndicaux contre la marchandisation du monde et l'enrichissement inouï. Non il s'agit de faire VIVRE, ou revivre l'humiliation subie dans la tête du spectateur. Peu importe le début ou la fin et il n'y a pas de morale contrairement à ce que prétendent les critiques qui se veulent connaisseurs. Il y a un constat. Intériorisé. On ne pourrait pas se contenter des films Dardenne ou on sombrerait dans la dépression, même s'il y filtre l'espoir. Heureusement le reste du cinéma mondial offre des occasions de rêver, de se marrer ou d'apprécier des films d'amour.
Le vieux militant qui a signé Sandra B (pour moquer la Sandra du film, trop pleurnicharde à son goût) ne nie d'ailleurs pas le talent des cinéastes, ni le constat, mais leur reproche le constat et l'absence du discours d'éducation à la "solidarité prolétarienne de l'avenir"4.


Comme la critique lamentable des journaux de la droite caviar – qui n'y ont vu que répétitions et gaucherie, typique de leur vision méprisante de la classe ouvrière... une classe astreinte justement aux tâches répétitives - la secte CCI (Cercle Concentrique Interne) n'aura vu dans le film des frères Dardenne (Deux jours, une nuit) qu' "un hymne à l'abandon du combat de classe". Je résume l'avis, que je partage, de la plupart des critiques positives des articles des spécialistes du cinéma, par les deux extraits suivants:
"Le cinéma-vérité des frères Dardenne, (...), prend toujours aux tripes, mais sans jamais verser dans l’émotion facile. En accompagnant Marion Cotillard dans son chemin de croix, sans discours, tout est dit sur la crise, la dureté du monde du travail. En rupture de glam, la comédienne nous chavire.
"Récit sur les aléas de la solidarité entre petites gens, par le passé valeur prolétarienne fondamentale, "Deux jours, une nuit" stigmatise les temps nouveaux, où l'individualisme prime sur le partage. Sans pour autant tomber dans le pessimisme. La morale du film stigmatise l'effort sur soi nécessaire pour ne pas sombrer dans le désespoir, afin de s'en sortir"5.
Et comme un autre critique de cinéma, C. Narbonne le décrit très finement, ce genre de cinéma vérité n'est pas statique comme une secte politique qui va répétant les mêmes concepts depuis trois décennies, la trajectoire créative des deux cinéastes n'a rien à voir avec la mode des films "no future", trash et gore qu'affectionne Hollywood ou le petit monde des arrivistes bobos du cinoche français qui se complait dans la description de marginaux paumés:

"Il y a quinze ans, les frères Dardenne faisaient de Rosetta, cette affranchie mal peignée et mal embouchée, le symbole du « peuple de la démerde » prêt à tout pour s’en sortir, quitte à abandonner en route un bout de son âme. Rosetta, c’était le monstre honteux enfanté par les années fric, le dommage collatéral du capitalisme sauvage, dont il reprenait à son compte le cynisme et l’aveuglement jusqu’au-boutiste. Depuis, au « tout est permis » et au « chacun pour soi » a succédé le « bien-vivre ensemble ». La crise a refroidi les ardeurs les plus ancrées et a transformé le peuple de la démerde en masse solidaire et droite. Gravement dépressive, Sandra passe ainsi toute la durée du film à se redresser dignement dans l’adversité quand la volontaire Rosetta se tassait de plus en plus sous le poids de sa culpabilité. Dans la filmographie des Dardenne, riche en drames sociaux « no future », Deux Jours, une nuit marque un tournant dialectique assez net. Fidèles à leurs idéaux, les frères belges ont compris que l’époque était au dialogue âpre mais concerté et non plus au repli sur soi suicidaire ou à la fuite en avant. Cela se traduit par une narration moins directe, un rythme moins soutenu et une mise en scène moins punchy qui pourront déconcerter de prime abord. Comme tous les films de rupture, Deux Jours, une nuit, porté par l’interprétation retenue de Marion Cotillard, est une belle promesse de renouvellement" (cf. Première).

SE BATTRE POUR RETROUVER UNE VIE SOCIALE

Le cinéma des frères Dardenne est le produit d'une école de l'épure au cinéma, qui a survécue aux diverses modes des cinémas dits d'avant-garde, une école que je dirai classique, et qui survit à toutes les modes parce qu'elle est le résultat d'un travail d'orfèvre en effet comparable à celui des grands maîtres de la peinture flamande, le néoréalisme italien de Rossellini, mais aussi les rigoureux et exigeants Bresson et Pialat, et on peut ajouter Cassavetes et Claude Sautet. Je ne vais pas vous analyser ici les plans-séquence du film ni les interprétations snobs des critiques de cinéma, mais l'impression, tout à fait subjective, que peux faire et que m'a fait ce film.
Il met tout de suite mal à l'aise, et c'est pourquoi il n'est pas un film de distraction mais de réflexion6. Il met mal à l'aise pour une raison qui a échappé à tous les critiques et aux gandins en tenue de soirée du festival de Cannes. Il est d'abord hors de la réalité. Les réalisateurs expliquent dans le supplément s'être inspirés de faits divers quotidiens dans la presse où dans plein de petites boites les ouvriers sont soumis au chantage à la baisse des salaires ou aux journées chômées pour maintenir la pérennité de l'entreprise ou le "destin commun patron et ouvriers" comme le chanta notre jeune milliardaire et fringant ministre de l'économie Macron lors de son intronisation par la commission parlementaire au mois d'octobre. Premier défaut de casting à mon sens, la première victime de la liste "destruction d'emploi" ne se défend jamais elle-même dans la réalité sociale. Mais c'est un truc des Dardenne que la plupart n'ont pas vu; d'ailleurs, clin d'oeil à la réalité, vite oublié, c'est Juliette la collègue de Sandra (= Marion Cotillard magnifique!) qui l'attrape par la manche pour aller exiger un deuxième vote auprès du patron. En réalité on ne se défend pas lorsqu'on est condamné, on accuse le coup, on pleure, on tombe malade, on se suicide; et à toutes les époques. Et surtout: ON EST SEUL (nombre d'anciens militants m'ont témoigné de leur dégoût de l'absence de solidarité dans la secte CCI, et je n'en ai ressenti aucune non plus soit quand je me suis fait casser la gueule par les staliniens, tout comme lorsque j'ai été inquiété à mon boulot). Même avec des soutiens réels de proches, on reste seul face à sa déchéance sociale. Il n'y a ni parti ni syndicat pour vous soutenir. Cela les cinéastes belges le démontrent à fond la caisse. Rien ne peut extraire Sandra de la solitude de l'humiliation, de la remise en cause professionnelle et donc sociétale, ni son mari attentif et consolant ni ses rares collègues fusionnelles. Le truc des Dardenne qui met immédiatement mal à l'aise c'est cette ficelle de départ où la personne licenciée doit s'abaisser à se défendre face à l'égoïsme de la majorité des collègues. Mais cela a toujours été comme cela de tout temps dans la classe ouvrière; il faut être un pur sectaire pour l'ignorer et chanter les inénarrables couplets vides à la "lutte ensemble et solidaire"! Le spectateur – celui en smoking de Cannes comme le cariste d'Aubervilliers – est choqué de l'absence de solidarité... apparente, et du fait que la victime prolétarienne sans prolétariat massif est obligée de se "démerder". Ce n'est pas la réalité en pays développé toutefois depuis des décennies. Tout de suite vous pouvez avoir recours aux Prud'hommes, un syndicaliste quelconque accourt aussitôt telle une assistante sociale oecuménique, et il y a toujours un ou deux collègues pour protester ou vous plaindre. Mais chez les Dardenne le parti-pris de l'épure l'emporte: ils se sont débarrassés de tous ces missi dominici de l'assistanat social – pas de syndicaliste, pas de grève pour l'honneur, pas d'appel au brûlage de pneu devant la résidence secondaire du patron – pour livrer le "vécu". Oui le vécu individuel pas individualiste, personnellement meurtri pas le bisounours symbole des "intérêts communs" et bientôt sanctifié. En se débarrassant justement de toute la propagande misérabiliste qui entoure les régulières "destructions d'emploi", plus souvent au compte-goutte que "collective", ce qui évite l'explosivité mais favorise la destructivité, les cinéastes dévoilent et nous font vivre la souffrance individuelle qui est incoercible. Il n'y a pas de morale selon laquelle on serait impuissant selon l'interprétation des critiques bourgeois et de Sandra CCI, mais un constat qui fait mal, et ce constat n'est pas l'individualisme mais la SOLITUDE, solitude qui est aussi celle de ceux qui ont accepté la prime quitte à ce qu'elle ait pour conséquence le licenciement de leur collègue. La dénonciation de l'individualisme contemporain est le gimmick du libéralisme et de toutes les sectes révolutionnaires modernes, et la fixation sur cette notion finit par ne plus rien expliquer du tout. Sandra made in CCI dénonce une recherche de la solidarité d'individu à individu, donc chant à la gloire de l'individualisme! Quelle bêtise! C'est pourtant typique d'une secte qui a toujours comporté pour l'essentiel des petits profs et divers fonctionnaires des secteurs protégés, et qui oublie que le scénario se déroule dans une ...PME, endroit encore féodal pour les rapports de classe où les prolétaires sont forcément plus terrorisés et individualisés. C'est un autre truc des Dardenne, qui permet de dépouiller leur film coup de poing de tout bla-bla syndical et autres promesses gauchistes ou ministérielles. Dans la réalité, même dans les grosses entreprises, la défense des licenciés est toujours passée par le porte à porte, seuls des révolutionnaires en peau de lapin qui n'ont jamais fait grève ou jamais secouru un camarade de travail peuvent nier cette réalité. Ce qui apparaît en filigrane chez les malins frères Dardenne, et que Sandra CCI ne voit pas, les collègues ont fini par se téléphoner entre eux, la solidarité est en marche indépendamment du porte à porte désespérant de Sandra, la formidable Marion Cotillard qui marche épaules voûtées, le pas lourd, les hanches épaisses, le chignon rapide, pas sexy, au bord de l'asphyxie et qui campe si bien ces millions d'ouvrières harassées comme elle avait incarné magnifiquement Piaf. Les autres acteurs sont eux aussi géniaux de vérité; chaque ouvrier convié à se prononcer me fait penser à tel ou tel ancien collègue, au caractère de l'un ou à l'emportement de l'autre. Moi-même, ouvrier plus de trente ans dans une grande entreprise nationalisée j'ai pratiqué le porte à porte plus d'une fois pour sauver tel collègues de "la porte". Le porte à porte ne signifie pas chant de l'individualisme, d'autant qu'à l'époque les autres du CCI étaient plutôt fier de mon action et de mon dévouement, mais tout simplement souvent "d'informer": "tiens me dirent certains, on n'était pas au courant, les syndicats n'ont rien dit", ou "désolé j'étais en vacances... mais oui on va tous poser le sac", etc. Fabriquer une banderole, planifier une massif, haranguer au mégaphone, je savais faire. Mais la victime elle restait toujours prostrée, voire gênée qu'on "prenne des risques pour elle". C'est cela que donne à voir la "synthèse Dardenne". Evidemment ils ne prônent pas le "grand soir", ficelle usée non pas tant que la nécessité de la transformation violente de la société bourgeoise ne soit plus une nécessité, mais cela ne peut avoir lieu à coup de coups de clairon sémantique ni par harcèlement vocal. Ce n'est pas non plus leur rôle en tant que cinéastes qui n'y connaissent rien en projet communiste ou anarchiste de révolution, et qui, si leur discours était dangereux trouveraient vite le chemin du pôle emploi belge. Ce cinéma, qui possède l'imprimatur officielle, n'est pas subversif et ne peut pas l'être, et on s'en fout. Il nous intéresse parce qu'il donne à voir l'humiliation et la destruction de l'individu même jeté hors d'un travail idiot, parce que ce travail idiot permet de bouffer et d'élever les gosses. Le talent des cinéastes tout en montrant bien cette réalité ne nous pousse pas à pleurnicher, en fixant toujours la caméra sur la principale victime, si seule malgré l'amour que famille et amis lui prodiguent. Finalement ils sont aussi subversifs que les hommes de théâtre du dix-septième siècle, comme La Fontaine, qui parvenaient à moquer les puissants sous des oeuvres apparemment anodines.

MALGRE LA DECHEANCE DU SYNDICALISME LA SOLIDARITE PEUT RENAITRE

Lorsqu'on survole l'histoire du mouvement ouvrier on ne peut être que fier de la place longtemps occupée par le syndicalisme, malgré ses divisions, ses échecs, pour sa participation à la constitution d'une conscience de classe universelle, pour son rôle de ciment dans la compréhension de la nécessité de l'unité de classe, de la communauté d'intérêt, mais le syndicalisme a toujours été un cheval fou sans tête et sans réelle perspective de changement de société. Le livre de Davranche, dont je ne cesserai de faire la publicité – Trop jeunes pour mourir 7- le démontre amplement.

LE FILM REFLETE BIEN L'INANITE DU SYNDICALISME

L'échéance du film choque Sandra CCI non seulement parce qu'elle ne parle pas des clés (marxistes) de l'avenir de l'humanité mais parce que notre belle Sandra "s'adapte" en se barrant finalement de cette boite de merde pour aller chercher un job ailleurs. Mais nous on s'en fout pour l'heure des clefs de l'humanité et on est plutôt content qu'elle se barre parce qu'on sait qu'elle peut sauver le CDD de son pote noir qui a pris le risque de la solidarité et qui était l'objet du deuxième deal pourri du patron. Là aussi, contrairement à cette conne de Sandra bis "pure" et sans crédit, les cinéastes ne prétendent pas parler au nom de toute la classe ouvrière mais creuser la difficile notion de solidarité actuelle. Leur génie est justement de montrer, chez Sandra et chez ses collègues, qu'elle reste et est bien présente même dans les plus petites cellules du prolétariat moderne, contrairement aux sectes prétendues marxistes et "gauche communiste traditionnelle" qui sont restées toujours extérieures à la classe ouvrière et celle-ci indifférente à leurs jérémiades ou radotages. Sur le fond, et le supplément au DVD le montre bien, dans la plupart des TPE et PME les ouvriers sont obligés de courber l'échine. C'est la réalité des rapports sociaux depuis l'origine de l'industrie capitaliste. Seule les fortes concentrations ouvrières ont pu institutionnaliser un rapport de force, mais le schéma féodal patron/ouvrier individuel, qui est passé par le schéma patron/ouvrier+ syndicat, est retombé dans un autre rapport féodal : patron+syndicat/ouvrier.

De même que les clichés bourgeois traditionnels "ils sont morts pour que tu es le droit de vote et la possibilité de t'acheter un écran plasma" ne m'ont jamais impressionné, de même le martyre des syndicalistes tentant carrière dans les PME ne m'a jamais angoissé ni enclin à croire que le syndicalisme allait renaître de ses cendres8. Le syndicalisme n'a jamais été révolutionnaire ni en petit ni au faîte de sa reconnaissance officielle par l'Etat bourgeois. Au plus loin que je puisse remonter aucune grève syndicale ne débouche sur une révolution, désolé camarade Lénine! Ce sont les grèves politiques qui ont généralement déstabilisé l'Etat bourgeois. L'exécution de Francisco Ferrer en 1909 en Espagne a suscité le mouvement de protestation prolétarienne le plus important depuis la Commune de Paris en termes de grèves, manifestations et émeutes. De même l'affaire Sacco et Vanzetti, beaucoup moins hélas la condamnation injuste du secrétaire anarchiste du syndicats des charbonniers Jules Durand, plus détruit et ignoré que le capitaine Dreyfus. Mai 68 est provoqué par la répression contre les étudiants pas pour une hausse des salaires.
Ce n'est ni la misère ni la dépression personnelle qui entrainent les révolutions sinon on s'en serait aperçu. Les navets simplistes du proletkult bolchevik, s'ils gardent un aspect romantique et décalé, n'en comportent pas moins une vérité, c'est contre la guerre, contre l'injustice suprême que la révolution éclate9, c'est pour contrer un moment politique d'appel au meurtre national par la bourgeoisie que le prolétariat s'est toujours réellement insurgé... les armes à la main. Pas pour que les élites patronales et syndicales ouvrent les négos entre eux et palabrent à la télévision sur l'absence de solidarité des ouvriers, la chute de l'encartage syndical ou le scandaleux vote pour Marine à la peine.

LE CINEMA DE CREATION POUR LUTTER CONTRE LE CINEMA RELIGIEUX

Je conclus sur ces superbes extraits des écrits de Trotsky sur le cinéma - à la fois archaïques, dépassés mais aussi en partie très actuels - qui explique que celui-ci peut devenir un excellent moyen de lutte contre la religion, toutes les religions y compris l'islam qui n'occupait pas autant l'écran du monde à son époque et qui a su récupérer en partie le cinéma ou tout au moins les vidéos avec égorgement, appât alléchant comme justification et vengeance pour les petits paumés maghrébo-français dans leur haine de la société actuelle dont ils ignorent les causes capitalistes et toute alternative humaine communiste.


« Le désir de se distraire, de se divertir, de s’amuser et de rire est un désir légitime de la nature humaine... Actuellement, dans ce domaine, le cinématographe représente un instrument qui surpasse de loin tous les autres. Cette étonnante invention a pénétré la vie de l’humanité avec une rapidité encore jamais vue dans le passé. »

« C’est un instrument qui s’offre à nous, le meilleur instrument de propagande, quelle qu’elle soit - technique, culturelle, antialcoolique, sanitaire, politique ; il permet une propagande accessible à tous, attirante, une propagande qui frappe l’imagination ; et de plus, c’est une source possible de revenus. »

« Le cinématographe rivalise avec le bistrot, mais aussi avec l’Eglise. Et cette concurrence peut devenir fatale à l’Eglise si nous complétons la séparation de l’Eglise et de l’Etat socialiste par une union de l’Etat socialiste avec le cinématographe. »

« On ne va pas du tout à l’église par esprit religieux, mais parce qu’il y fait clair, que c’est beau, qu’il y a du monde, qu’on y chante bien ; l’Eglise attire par toute une série d’appâts socio-esthétiques que n’offrent ni l’usine, ni la famille, ni la rue. La foi n’existe pas ou presque pas. En tout cas, il n’existe aucun respect de la hiérarchie ecclésiastique, aucune confiance dans la force magique du rite. On n’a pas non plus la volonté de briser avec tout cela. »

« Le divertissement, la distraction jouent un énorme rôle dans les rites de l’Eglise. L’Eglise agit par des procédés théâtraux sur la vue, sur l’ouïe et sur l’odorat (l’encens !), et à travers eux - elle agit sur l’imagination. Chez l’homme, le besoin de spectacle, voir et entendre quelque chose d’inhabituel, de coloré, quelque chose qui sorte de la grisaille quotidienne -, est très grand, il est indéracinable, il le poursuit de l’enfance à la vieillesse. »

« Le cinématographe n’a pas besoin d’une hiérarchie diversifiée, ni de brocart, etc. ; il lui suffit d’un drap blanc pour faire naître une théâtralité beaucoup plus prenante que celle de l’église. A l’église on ne montre qu’un "acte", toujours le même d’ailleurs, tandis que le cinématographe montrera que dans le voisinage ou de l’autre côté de la rue, le même jour et à la même heure, se déroulent à la fois la Pâque païenne, juive et chrétienne. »

 Le cinématographe divertit, éduque, frappe l’imagination par l’image, et ôte l’envie d’entrer à l’église. Le cinématographe est un rival dangereux non seulement du bistrot, mais aussi de l’Eglise. Tel est l’instrument que nous devons maîtriser coûte que coûte!"



 
1Ses premiers initiateurs, avant le grand raout idéologique culturel stalinien, le "Cinéma du peuple" des années 1910 en France échoua parce que basé sur l'idiotie de la théorie d'une possible "culture prolétarienne", comme si la description du monde du travail ou son héroïsation cinématographique pouvait distraire les prolétaires voire les catéchiser pour les pousser plus vite à faire la révolution (lire les bonnes pages sur le début de ce cinéma dans la somme de Guillaume Davranche: "Trop jeunes pour mourir" (la véritable histoire du mouvement ouvrier à la veille de 1914) ed l'insomniaque (oct 2014). Le simplisme idéologique du cinéma bolchevik n'a lui pas effacé ses inventions esthétiques.
2Les chercheurs ou historiens qui voudront bien éventuellement retrouver les auteurs des articles culturels seront étonnés de retrouver surtout un certain Pierre Hempel, et ses divers autre pseudos: Rigault, Damien, PH, JLR, etc. Sans doute diront certains une vieille déviation gramsciste de "l'individualiste" JLR!
3Sur Face Book, surprise récente de taille, le reniement du crypto léninisme version anar radical du GCI, micro secte belge, plus ou moins issue du CCI, qui jusque là menaçait le monde entier de la prise du pouvoir par le parti et surtout du recours à la puissance historique de la "terreur rouge" appuyée par des analyses marxisantes chiadées de la crise économique finale bientôt décisive dans la mesure où la classe d'en soi allait devenir pour soi!
4"Des qualités artistiques au service d'une thèse démoralisatrice".
5La secte reprend cette même citation de journaliste critique de cinéma, sans la comprendre, en l'assimilant à un présumé chant à la gloire de l'individualisme, or la citation et sa dernière phrase dit tout le contraire!
6Comme d'autres films, moins élaborés techniquement, peuvent être des films de prises de conscience ou de confirmation de l'injustice. Le film consacré à l'affaire d'Outreau – Présumé coupable – avec l'excellent Philippe Torreton, devrait être projeté dans tous les lycées parce qu'il permet de visualiser les conditions terribles et destructrices de la vie en prison. Il y a des films coups de poing et c'est très bien.
7Malgré une conclusion moche, bêtement anar qui prétend que Zimmerwald ne fût que de la petite bière comparée aux actions d'une poignée d'anarchos syndicalistes français, sans nous démontrer en quoi quelques zigotos ont été "les forces pour résister à la guerre"!(cf. Epilogue p.517). Dans la même eau de dissolution de la véritable force politique qui a stoppé la guerre mondiale (le bolchevisme) les amis et impétrants de Spartacus psalmodient le conte du "pacifisme radical" (cf. Le brouet de Chuzeville, "Militants contre la guerre de 14-18).
8La CGT a ému récemment les journalistes en leur dénonçant un système d'espionnage des syndicalistes de maisons de retraite par des comédiens professionnels. Outre l'aspect comique bien que sinistre de ces méthodes féodao-patronales, on pourrait évoquer aussi l'espionnage à Ikea ou les multiples licenciements d'apprentis créateurs de sections syndicales en PME. Tout cela ne nous arrache pas une larme! Petit arriviste, petit conseiller ouvrier veut toujours devenir grand et finit soit patron soit bras droit du patron. De LIP à Longwy, la plupart des délégués syndicaux ont tiré leur épingle du jeu mieux que la plupart des ouvriers licenciés. Lors de la Réunion publique du CCI à Longwy dont j'ai été à l'origine, où nous n'avions vu arriver qu'une escouade de militants CFDT, j'avais été rabroué par un petit chef du CCI (Peter) pour avoir déclaré que je ne voyais aucune raison de se solidariser avec ces traîtres au prolétariat que sont les délégués des syndicats, et j'avais raison déjà avant la fin des festivités giscardiennes. Les "purs" font semblant d'ignorer qu'il y a toujours de fieffés salopards parmi les ouvriers, qu'il y a toujours eu des mouchards et même des mouchards syndicalistes, et que le syndicalisme moderne est devenu le principal mouchard de l'Etat bourgeois!
9A cet égard le livre de Davranche est àa partir d'aujourd'hui le plus instructif sur les raisons de la trahison des chefs syndicaux, ce n'était pas parce qu'ils étaient méchants ou corrompus. En passant au peigne fin les dix journées qui ont précédées le tragique 4 août, on s'aperçoit de l'importance du chantage étatique, des menaces terribles de mort et d'emprisonnement et des manoeuvres d'intoxication dilatoires (chapitre de fin). Et nous confortables débatteurs d'idées, libresde toute provocation verbale derrière un aimable clavier dans un monde internétisé poubelle de tous les mécontentements et récriminations personnelles, où chacun peut dire à peu près n'importe quoi (sauf chez les arriérés musulmaniaques), on ne sait toujours pas en général que le moindre mot de travers valait des mois ou des années d'emprisonnement aux divers lutteurs du prolétariat majoritairement anarchistes prolétariens puis plus tard à consonance marxiste.

mardi 23 décembre 2014

KARL ET ARTHUR


(extraits de "Rimbaud, la Commune de Paris et l'invention de l'histoire spatiale1, ed les prairies ordinaires, diffusion Les Belles Lettres 2013)
 de Kristin Ross


... JE EST UN AUTRE

Les activités et le quotidien de Gustave Courbet pendant la Commune sont bien connus. Membre de la Commune, délégué à la mairie, membre de la commission de l'éducation, président de la Fédération des artistes, il est, selon ses propres dires, "dans les affaires politiques jusqu'au cou": "je me lève, je déjeune, je siège et préside douze heures par jour. Je commence à avoir la tête comme une pomme cuite. Malgré ce tourment de tête et de compréhension auquel je n'étais pas habitué, je suis dans l'enchantement. Paris est un vrai paradis".
On connait loins, en revanche, les activités du cordonnier Napoléon Gaillard. Dans les mois qui suivent la Commune, pas moins de la moitié des cordonniers de Paris manquent à l'appel – massacrés, arrêtés, en exil. "La cordonnerie est le dernier des métiers. Si l'on trouve des cordonniers au premier rang un peu partout là où les ouvriers ne devraient pas être, c'est qu'ils sont les plus nombreux, les moins occupés et les moins abusés sur la gloire de l'artisan". Gaillard est un cordonnier renommé, membre de l'Internationale, auteur d'un traité sur le pied, orateur emprisonné en 1869 pour avoir pris la parole dans des assemblées publiques, figure flamboyante et buveur invétéré – un "sublime" selon les catégories diagnostiques de Poulot. Agé de cinquante-six ans en 1871, il dirige la construction des barricades pendant la Commune. Mais il y a peut-être plus significatif que son activité de cordonnier, et que le fait qu'il ait arrêté de fabriquer des bottes pendant la Commune pour construire des barricades: son insistance à se faire photographier devant la barricade qu'il a érigée (...) Gaillard ne choisit pas de revendiquer haut et fier son statut de travailleur. Au lieu de cela, il transgresse une barrière, peut-être la plus inflexible et la plus ancienne de toutes, celle qui sépare les hommes qui accomplissent un travail utile de ceux qui méditent sur l'esthétique. En s'affirmant "l'auteur" de son travail, Gaillard lance une attaque contre le bon travailleur, contre l'identité même de "l'être-ouvrier" tel qu'on le concevait – attaque dont on peut trouver le pendant dans la résistance de Rimbaud à l'identité de "bon parnassien" qu'il prêtait, non sans reproche et espièglerie, à Verlaine. Ces deux manières de fuir le particularisme du métier se combinent dans une même image dialectique. Et c'est de ce geste – qui va dans le même sens que la critique au XIXe siècle, de la spécialisation et de la division du travail – que j'ai essayé de retrouver la trace chez Reclus, Lafargue, et les autres figures qui gravitent autour de la Commune. Mon étude est partie de Rimbaud et de la manière dont il cherchait à fuir "l'être poète", fuite qui prit forme, non pas avec son célèbre silence, son départ pour l'Afrique, mais en 1870, année où il écrivit son premier poème. Rimbaud abandonna la littérature avant même d'y parvenir.
"Maîtres et ouvriers, écrit-il dans 'Mauvais sang', tous paysans, ignobles". Et "J'ai horreur de tous les métiers". Le Communard anarchiste Elisée Reclus, dont l'invention, la géographie sociale, dut s'effacer pour que s'institutionnalise la géographie universitaire se fait sans le savoir l'écho de 'Mauvais Sang':
"Celui qui commande se déprave, celui qui obéit se rapetisse. Des deux côtés, comme tyran et comme esclave, comme préposé ou comme subordonné, l'homme s'amoindrit. La morale qui naît de la conception actuelle de l'Etat, de la hiérarchie sociale, est forcément corrompue. "La crainte de dieu est le commencement de la sagesse", nous ont enseigné les religions, elle est le commencement de toute servitude et de toute dépravation, nous dit l'histoire".

Reclus comme beaucoup d'autres de sa génération, était un faiseur de slogans, et l'on pourrait dire que Paul Lafargue, qualifié par son beau-père, Karl Marx, dans une lettre à Engels datée de 1882, de "dernier bakouninien", a développé l'un de ces slogans, "Travaillons à nous rendre inutile", dans 'Le droit à la paresse'. Lafargue écrit son manifeste huit ans après la Commune, au moment où la gauche cherche à promouvoir l'image du Communard bon travailleur et travailleur modèle, en réponse aux calomnies de la droite2, qui dépeignaient les Communards comme une horde de prostituées, d'ivrognes et de vagabonds mettant Paris à feu et à sang. Dans les hagiographies de gauche (resic) de cette période et des années suivantes, le Communard apparaît en bon père de famille qui ne bat jamais sa femme ni ne touche à l'eau-de-vie. Il n'a qu'un désir: se consacrer quinze heures par jour à son métier. C'est donc au moment où le travail est porté au pinacle par la gauche comme par la droite que Lafargue se fait le défenseur de la paresse.
La menace que représentent Lafargue, Reclus, et Rimbaud, tous exilés ou figures du déplacement, réside dans la nature "bâtarde" de leur pensée. Reclus affirme que sa géographie, écrite principalement après la Commune, durant son exil en Suisse, n'est rien d'autre que de "l'histoire dans l'espace". La poésie de Rimbaud mélange l'utile et le somptueux, l'artistique et l'artisanal, les métaux précieux et la camelote. Et dans 'Le Droit à la paresse', Lafargue laisse entendre que la pratique révolutionnaire, l'attaque contre l'ordre existant, ne vient pas d'une classe ouvrière pure et vertueuse, parvenue à sa pleine maturité, mais d'une contestation des frontières 'entre' le travail et le loisir, le producteur et le consommateur, l'ouvrier et le bourgeois, le manuel et l'intellectuel.
"Quel siècle à mains!" s'écrie Rimbaud. "Je n'aurai jamais ma main". Etre émancipé, dans le droit civil romain, signifie être libéré de l'autorité; du latin mancipare , saisir avec la main (manus). Dans les années 1970, Rancière pose que l'émancipation prend pour point de départ, non la solidarité ou la communauté ouvrière, mais plutôt leur atomisation dans la société capitaliste: la sérialité aliénée des travailleurs contraints de se faire concurrence pour le travail. Il montre que l'utilité qui donne au travailleur une place dans la ville est précisément ce qui l'empêche de faire autre chose – d'être citoyen, par exemple: "Mais le travail n'est pas, par lui-même, un principe de liberté ou d'égalité. Et la défense de ses intérêts peut être la politique d'un "nouvel esclavage".
(...) "Je ne suis pas contre l'asocial", dit Bertolt Brecht dans une conversation avec Walter Benjamin, "je suis contre le non-social" (...) Rimbaud, indiférent aux normes conventionnelles du comportement – qu'elles soient morales, sexuelles, nationales, artistiques, ou lexicales – est asocial. Et rien n'est plus social que l'asociabilité de Rimbaud. (...) Les oeuvres ultérieures de Rimbaud mettent en scène la dialectique de la ville et du désert (ou de la ville et de la mer dans Le bateau ivre ) - la foule et une solitude absolue, vertigineuse, non humaine, ou plus qu'humaine: le beateau ivre comme atome incandescent. Ces textes révèlent un penseur pour qui l'émancipation est la préoccupation prioritaire.

MARX ET LA COMMUNE

"Les inventions d'inconnu, écrit Rimbaud en mai 1871, réclament des formes nouvelles". Au cours de l'été de cette année, il compose une "constitution communiste" (aujourd'hui perdue) s'inspirant de la forme et de l'organisation de la Commune (...) Pour Marx aussi, l'abolition du gouvernement représentatif (parlementaire) mise en oeuvre sous la Commune était totalement imprévue, elle constituait une véritable "invention de l'inconnu". Les écrits de Marx sur la Commune ouvrent sans doute une "troisième phase" de sa pensée, différente de sa phase dite "scientifique" et mature, où il revient sur certains thèmes de ses écrits "immatures" des années 1840. En 1871, face au caractère inattendu de la Commune, Marx met l'accent sur ce qu'il tient pour la grande découverte des Communards: celle de "la forme politique (...) qui permettrait de réaliser l'émancipation économique du travail". En d'autres termes, l'émancipation économique du travail présuppose des formes politiques elles-mêmes émancipatrices.
(...) Les Communards se définissaient résolument comme des Parisiens, et leur premier souci était moins de s'approprier les moyens de production que d'éviter l'expulsion (...) la violence communarde visait moins le capitaliste industriel que les figures emblématiques chargées du aintien des classifications sociales et du contrôle de la vie quotidienne: le curé, le gendarme et le concierge.
(...) Déjà en 1843, dans sa Critique de la Philosophie du droit de Hegel, Marx avait affirmé que, dans une vraie démocratie, l'Etat politique disparaîtrait. (...) Si la séparation entre l'Etat et la société civile n'existe pas, alors la politique n'est qu'une branche parmi d'autres de la production sociale. Il faut entendre par émancipation politique, l'émancipation de la politique comme activité spécialisée. Marx conclut sa critique de Hegel par la suppression de la politique et la disparition de l'Etat.


1Ayant toujours suivi de près l'ensemble des travaux de Kristin Ross, j'ai été très déçue de la voir se livrer sur une chaîne espagnole à une apologie du triste sire B. Kouchner présenté comme un héros de 68, un beau mec (!?); en réalité cet ex-petit chef maoïste a bouffé à tous les rateliers, conseiller
gauchiste occulte de Mitterrand puis laquais de Sarkozy. Kristin Ross fait partie de ces universitaires qui ont pompé leur radicalité de chaire au maximalisme. Elle cite à plusieurs reprises mon premier livre sur 68, dans l'ouvrage qui l'a rendue célèbre "Mai 68 et ses suites", parce qu'elle a simplement repris notre thèse (prolétaro-marxiste) que 68 ce n'est ni les hippies, ni les féministes bourgeoises, ni le médaillé Cohn-Bendit, mais les masses, les mêmes "inconnus" qu'en 1871!
2C'est typiquement dans la manière simpliste et a-historique que l'école américaine plaque les notions de gauche et de droite sur la qualification des classes sociales et de leur camp d'appartenance; ce qui se nommait alors mouvement ouvrier (anarchiste et marxiste) face à la classe dominante des bourgeois et des curés n'avait rien à voir avec les notions de gauche et de droite... bourgeoises ensemble de nos jours, élites corrompues et hâbleuses jusqu'à la moelle!