PAGES PROLETARIENNES

mardi 7 octobre 2014

LA LUTTE DES CLASSES DANS L’AIRE ARABE (3)

"Explorateurs en lendemains" (?) nous a fait parvenir ce texte d'excellente qualité dont nous aimerions disposer des parties précédentes et ultérieures. Pour une fois que quelqu'un élève le débat contre les simplismes et récurrences du "danger islamiste". Ce texte a été envoyé aussi aux personnalités, cercles du milieu maximaliste, R.Goodfellow, et groupes pol comme le PCI, le CCI et la FGCI. (j'ai corrigé quelques fautes)



6/ MARX/ENGELS ET LAIRE ARABE



Marx et Engels ont échangé une correspondance au sujet des caractéristiques de laire arabe. Dans une lettre du 26 mai 1853 Engels commente un livre du révérend Charles Forster, « La géographie historique de lArabie ». Il en tire une série de remarques sur lhistoire des tribus arabes et lidentité dorigine des arabes et des hébreux:

« 1. La prétendue généalogie de Noé, Abraham, etc.qui figure dans la genèse est lénumération assez exacte des tribus de bédouins qui existaient alors selon leur plus ou moins grand degré de parenté dialectale. Comme on sait, les tribus de bédouins continuent de sappeler de nos jours les Beni Saled, les Beni Jussuf, etc., c.à.d fils dun tel ou dun tel. Cette dénomination produit dun mode de vie patriarcal, donne finalement naissance à ce genre de généalogie. Lénumération que fait la genèse se trouve plus ou moins attestée par les anciens géographes et les voyageurs modernes attestent que ces noms anciens subsistent encore la plupart du temps avec des modifications dialectales. Mais ce qui en découle, cest que les Juifs ne sont eux-mêmes quune petite tribu de bédouins parmi les autres que certaines circonstances locales, un mode dagriculture, différencièrent des autres bédouins. »

La différenciation entre arabes et juifs repose donc sur des données parfaitement matérialistes et non pas religieuses. Les distinctions religieuses découlant de la différenciation ultérieure dans la structure économique et sociale du fait de circonstances géo-historiques ayant conditionné une certaine évolution de lactivité productive.

En outre, même dans la religion Engels décèle une souche commune et ramène les religions juive et musulmane à un vieux fond monothéiste commun tout en expliquant les différences par la séparation entre nomades et sédentaires déjà évoquée:

« En ce qui concerne le charlatanisme religieux, les vieilles inscriptions du Sud ou prédomine encore la tradition monothéiste (comme chez les indiens dAmérique) vieille tradition nationale arabe, et dont la tradition hébraïque nest quune faible partie, ces inscriptions tendent à prouver que comme tout mouvement religieux, la révolution religieuse de Mahomet était une réaction pure et simple, un soit disant retour à la simplicité et à la tradition anciennes. Une chose mapparaît maintenant avec évidence: cette prétendue sainte écriture juive nest rien dautre que la transcription de lantique tradition religieuse et tribale des anciens Arabes qui sest trouvée modifiée du fait que très tôt les Juifs se séparèrent de leurs voisins issus de la même souche mais nomades. Cette évolution historique distincte sexplique par le fait que, du côté Arabe, la Palestine nest bordée que par le désert, qui est un pays bédouin. »

Dans « La naissance de lIslam », de Toufic Fahd, on trouve un commentaire qui renforce le point de vue dEngels au sujet du monothéisme primitif des arabes et sur son appréciation de la réaction religieuse mahométane :

« Al-Lâ ou Allâh, forme assimilée dal-Ilâh, léquivalent de laccadien Il et du cananéen El, désignait comme ces derniers, la divinité impersonnalisée et se confondait couramment avec la première personne de la trinité sémitique, constituée par le Père, la Mère et le Fils. Limportance prise par la Mère, al-Uzzä, par le fils Hubal, et par les deux filles , al-Lât et Manât, avait éclipsé Allâh, le père de tous, le Dieu universel. La mission de Mahomet consistera à redonner sa place de premier et dunique à Allâh, ainsi quavait fait Abraham pour Elohîm et Moïse pour Yahvé.
Dans lesprit de Mahomet, le monothéisme primitif des Arabes était indéniable. Il sagissait dy retourner. » (p651 Histoire des religions II La Pléiade )

Au-delà de ce caractère originel de la religion musulmane et de son
aspect de réaction et de retour aux sources il faudra déterminer ce qui en fait loriginalité et en quoi cela répondait à des données matérielles et historiques propres à cette aire et aux relations quelle entretenait avec les aires environnantes. On trouve des éléments intéressants dans louvrage de Maxime RODINSON sur la vie de Mahomet.

Au sujet des invasions arabes, Engels rappelle que les tribus arabes nont pas surgi du désert pour la première fois soudainement sous Mahomet mais quelles ont régulièrement progressé dans toute cette aire, ce qui est important pour démystifier le caractère surnaturel de ces invasions:

« «2. En ce qui concerne cette grande invasion arabe dont nous parlions autrefois: le livre fait apparaître que, tout comme pour les Mongols, les invasions bédouines furent périodiques, que lempire assyrien et celui de Babylone ont été fondés par des tribus bédouines à lendroit même ou plus tard sélèvera le califat de Bagdad. Les Chaldéens, fondateurs de lempire babylonien, vivent encore dans la même localité et sous le même nom, les Beni Chaled. Lédification de grandes villes comme Ninive et Babylone sest faite exactement de la même façon que la fondation, il y a 300 ans aux Indes orientales, à la suite des invasions afghane, tatare etc. de villes gigantesques analogues, Agra, Dehli, Lahore, Multan. Linvasion musulmane perd par là même beaucoup de son caractère singulier. »

Non seulement linvasion arabe musulmane nest pas véritablement originale puisque lon retrouve le même phénomène avec les Mongols, les Tatares, etc. peuples également nomades, mais encore toute laire orientale arabe actuelle était depuis longtemps et régulièrement investie et occupée par des tribus arabes depuis la plus haute antiquité, et notamment à lemplacement des capitales des empires de lantiquité.

En outre Engels rappelle que les Arabes de lépoque pré islamique avaient atteint un degré élevé de civilisation et ne pouvaient donc pas être considérés uniquement comme des bédouins:

« 3. Il semble que dans le Sud Ouest, là où ils sétaient sédentarisés, les Arabes aient été un peuple aussi civilisé que les Egyptiens, les assyriens, etc. comme lattestent leurs monuments. »  
Dans une lettre du 2/06/1853 Marx reprend ce sujet :

«  Au sujet des Hébreux et des Arabes ta lettre ma beaucoup intéressé. Dailleurs: 1. On peut prouver, dans toutes les tribus orientales, un rapport général entre la sédentarisation dune partie de celles-ci et la persistance de la vie nomade chez les autres, depuis que lhistoire existe.1 2. Au temps de Mahomet, la route commerciale dEurope en Asie avait changé considérablement de parcours et les villes dArabie qui avaient eu une grande part au trafic avec lInde etc. , se trouvaient commercialement en décadence, ce qui a en tout cas aussi provoqué cette évolution. » (Correspondance tome III éditions sociales)


Toutes les sociétés orientales évoluent depuis le passage du stade chasseur/cueilleur au stade agriculteur/éleveur au travers de ce rapport général entre sédentaires et nomades. Dautre part la question du rôle des changements de voies commerciales dans la révolution islamique est à mettre en rapport avec le développement de la valeur déchange dans toute cette aire et avec les conséquences sur lorganisation communautaire des Arabes, en particulier des bédouins dont la survie était en étroite liaison avec les villes commerçantes.

Marx poursuit:

« 3. En ce qui concerne la religion, la question se ramène à une question générale, à laquelle il est donc facile de répondre: pourquoi lhistoire de lOrient se présente-t-elle comme une histoire des religions? 
Sur la constitution des villes en Orient, il ny a pas de lecture plus parlante, plus brillante et de plus convaincante que le vieux François Bernier (pendant 9 ans médecin dAurangzeb), « Voyages contenant la description des états du grand Moghol, etc. » Il explique aussi les questions militaires, le mode dapprovisionnement de ces grandes armées, etc. »

Cest de la lecture de Bernier que Marx va tirer une remarque fondamentale sur lhistoire de lOrient:

« Bernier décèle très justement la forme fondamentale de tous les phénomènes de lOrient - il parle de la Turquie, de la Perse, de lHindoustan - dans le fait quil nexistait pas de propriété foncière privée. Et cest là la véritable clef même du ciel oriental. »2

A quoi Engels répond dans une lettre du 6/06/1853 en confirmant et en développant sur les fondements matériels et historiques de cette absence de propriété foncière privée:

«  Labsence de propriété foncière est en effet la clef de tout lOrient. Cest là-dessus que repose lhistoire politique et religieuse. Mais doù vient que les Orientaux narrivent pas à la propriété foncière, même pas sous forme féodale? Je crois que cela tient principalement au climat, allié aux conditions du sol, surtout aux grandes étendues désertiques qui vont du Sahara, à travers lArabie , la Perse, lInde et la Tatarie, jusquaux hauts plateaux asiatiques. Lirrigation artificielle est ici la condition première de lagriculture ; or, celle-ci est laffaire, ou bien des communes, des provinces, ou bien du gouvernement central. En Orient, le gouvernement navait jamais que trois départements ministériels: les finances (pillage du pays), la guerre ( pillage du pays et de létranger), et les travaux publics, pour veiller à la reproduction. Aux Indes, le gouvernement britannique a réglé les numéros 1 et 2 et jeté complètement par-dessus bord le numéro 3 - et lagriculture indienne va à sa perte. La libre concurrence subit là-bas un échec complet. »

Mais il amène un élément pour expliquer le déclin commercial des Arabes avant Mahomet, et ceci en lien avec les caractéristiques propres à lOrient ci-dessus précisées:

«  Cette fertilisation artificielle du sol, qui cessa dès que les conduites deau se détériorèrent, explique le fait, autrement bien étrange, que de vastes zones soient aujourdhui désertes et incultes, qui autrefois étaient magnifiquement cultivées ( Palmyre, Petra, les ruines du Yémen, x localités en Egypte et en Perse, et dans lHindoustan); ceci explique également quune seule guerre dévastatrice ait pu dépeupler un pays pour des siècles et le dépouiller de toute sa civilisation. Cest dans cet ordre didées que se situe également , je crois lanéantissement du commerce de lArabie méridionale avant Mahomet, que tu considères très justement comme un des éléments capitaux de la révolution mahométane. »

Les conditions prédominantes dans tout lOrient déterminent lexistence et la pérennisation du MPA qui a besoin du système dirrigation des terres. Mais les guerres, souvent menées par des peuples nomades poussés par la surpopulation ou lappauvrissement des pâturages, ou des royaumes rivaux, peuvent anéantir rapidement et pour des siècles la civilisation dans ces aires en réduisant les infrastructures à des ruines. Le développement du commerce et par conséquent le mouvement de la valeur déchange en sont eux-mêmes ruinés. Ce qui influe sur les voies du commerce mondial et notamment entre Orient et Occident:

« Je ne connais pas avec assez de précision lhistoire du commerce des six premiers siècles de lère chrétienne pour pouvoir juger dans quelle mesure des causes matérielles générales , à léchelle mondiale, firent préférer la voie commerciale qui par la Perse mène à la mer Noire, et par le golfe Persique , à la Syrie et lAsie Mineure, à la route qui empruntait la mer Rouge. Il est une chose en tout cas qui ne fut certainement pas sans grandes conséquences: cest la sécurité relative des caravanes dans lempire persan bien gouverné des Sassanides, alors que le Yémen fut, de 200 à 600, constamment asservi, envahi et pillé par les Abyssins. »

Ainsi il est parfaitement clair que sous leffet de différentes causes historiques les voies commerciales sétaient déplacées de la Mer Rouge vers le Golfe Persique. Parmi ces causes, les guerres menées par les Ethiopiens en Arabie méridionale, appuyés par les Byzantins en guerre permanente avec la Perse avaient provoqué le déclin de la civilisation arabe du Sud:


« Les villes de lArabie méridionale, encore florissantes sous les Romains, nétaient au VII° siècle que de véritables déserts de ruines ; en 500 ans, les Bédouins du voisinage sétaient appropriés sur leurs origines des traditions fabuleuses et purement mythiques (voir le Coran et lhistorien arabe NOVAÏRI); et lalphabet avec lequel leurs inscriptions étaient composées était presque totalement inconnu, bien quil ny en eût pas dautre, de sorte que lécriture était tombée de facto dans loubli . Des choses de ce genre supposent, non seulement un refoulement, provoqué par des conditions commerciales générales, mais une destruction directe et brutale, telle que seule linvasion éthiopienne peut lexpliquer. Lexpulsion des Abyssins eut lieu environ 40 ans avant Mahomet et fut manifestement le premier acte du réveil national arabe, qui était en outre exacerbé par des invasions persanes venues du Nord qui savancèrent presque jusquà La Mecque.»

Engels tire donc aussi une série de remarques sur les superstructures idéologiques et il conclut ainsi sur Mahomet:

« Je ne vais aborder que ces jours-ci lhistoire de Mahomet lui-même; mais jusquà présent , elle me semble présenter le caractère dune réaction bédouine contre les fellahs des villes, sédentaires mais en déclin, en pleine décadence religieuse aussi à lépoque, qui mêlaient un culte de la nature abâtardi à un judaïsme et un christianisme également abâtardis. »

Nous ne savons pas si Engels a poursuivi ses recherches sur ce point, mais son analyse nous paraît à ce moment trop unilatérale, ne tenant pas assez compte de la lutte au sein des villes mêmes et par conséquent de la différenciation de classe à lintérieur des tribus citadines, comme à La Mecque dans la tribu des Qorayshites.

Cette différenciation a été produite par le développement du commerce et lautonomisation de la valeur déchange dans des villes dont la situation était privilégiée, rapprochant certaines couches de ces tribus, écartées des richesses ou du pouvoir de décision, des Bédouins qui étaient directement frappés par les troubles du VI° siècle et par une probable tendance à la surpopulation relative aux conditions du moment.

Il faut notamment tenir compte du fait quune civilisation ancienne exista tant dans lactuel Sahara que dans les déserts dArabie, et que les actuelles oasis ne sont plus que lévocation de grands lacs dont lassèchement, sous leffet de changements climatiques naturels, a probablement été accéléré par les déboisements et lélevage, en particulier des ovins, rendant la situation des populations de ces contrées de plus en plus difficile et dépendante des flux commerciaux et de leurs fluctuations. Ainsi les tribus de Bédouins qui dépendaient du commerce de lArabie du Sud ont du subir de plein fouet la décadence de cette région et les remaniements des routes commerciales, alors que celles de la région de La Mecque semblent au contraire en avoir profité.

Les conflits dintérêts ont ainsi frappé les relations entre tribus mais encore entre clans et entre membres dun même clan. Mais les conditions générales ne permettaient pas non plus lémergence des classes sociales modernes, doù la nécessité de trouver pour la classe des marchands une forme de domination qui sadapte au fondement tribal tout en unifiant les tribus contre les perses et les byzantins. Le développement de la valeur déchange devait être favorisé en évitant quil ne dissolve les liens communautaires. Doù, comme pour les juifs, le rôle dintermédiaires marchand entre orient et occident joué par les arabes durant tout le moyen-âge, et le rôle des croisades occidentales pour essayer de les en débouter.

Par la suite, le développement de la « civilisation islamique» est déterminé par ce rôle joué par les arabes, après lunification de la péninsule arabique et les invasions des empires romain et perse décadents, dans le commerce entre orient et occident. La monopolisation de ce dernier par les arabes est comme une revanche historique sur les maux quils ont endurés de la part des empires rivaux du Nord. Et les profits énormes quils en ont retiré ont plus que compensé la faible capacité productive des campagnes de lempire musulman.

Lassociation des tribus de Bédouins par Mahomet et ses successeurs à lexpansion arabe et à la domination commerciale arabe permit de surmonter ces difficultés tout en maintenant le caractère et les idéaux communautaires de celles-ci. Mais ceux-ci durent se modifier et sadapter aux nouvelles réalités ou entrer en pleine décadence.

7/ COMMUNAUTE, CLASSES ET ETAT DANS LAIRE ARABE

Nous avons déjà évoqué le caractère communautaire de lorganisation sociale dans le MPA, la persistance de ce caractère avec la propriété collective du sol dans tout lorient à la suite de Marx/Engels dans la partie II de ce travail. Or un grand nombre de ces caractères subsistent encore aujourdhui dans laire arabe et jouent un rôle important dans la lutte entre les classes qui sy déroule depuis la crise économique mondiale de 2008/2009. Notamment la persistance dune organisation tribale et dune certaine symbiose entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires. Mais nous avons également précisé lexistence des classes sociales et de lEtat , et par conséquent de la lutte des classes malgré cette persistance. Pour autant la forme idéologique qua revêtu cette lutte et cet Etat, la religion islamique, perdure aussi et ressurgit sous des variantes politiques quil convient danalyser si lon veut être à même de comprendre les évènements en cours dans laire arabe et ses différentes extensions dans le monde ainsi que ses perspectives futures.

Toutefois cette lutte ne parvient pas, dans le cadre du MPA, à déboucher sur une révolution des rapports sociaux qui permettrait aux forces productives de se développer sur une nouvelle base. Ce qui ne signifie pas que les forces productives ne se développent plus, mais que si elles ne stagnent pas ou ne régressent pas, comme dans le cas où des guerres mettent en ruine les infrastructures, ce développement aboutit toujours au même résultat, au même renforcement de lEtat despotique et du mode de production asiatique sur lequel il repose. Ce développement apparaît avant tout comme expansion et nous verrons que dans le cas de laire arabe à lépoque de la civilisation islamique ce trait est particulièrement évident et entraîne de lui-même un nouveau développement, mais toujours sur les mêmes bases productives et suivant les mêmes rapports sociaux de production. Ce qui nexclut pas, tout au contraire, lapparition de caractères originaux propres à la civilisation arabe islamique. Parmi lesquels lusage de la langue arabe écrite et parlée dans un territoire allant de locéan Indien à lAtlantique. Or pour le marxisme le langage et lécriture constituent des moyens de production et par conséquent des forces productives.

Pour ce qui est du langage:

« On ne peut expliquer lorigine du langage et des langues quà partir des caractères matériels du milieu et de lorganisation de la production. La langue dun groupe humain est elle-même un de ses moyens de production. »
« Il ny a donc aucun doutes sur la définition marxiste: le langage est un des instruments de production. »
« Les forces productives matérielles de la société sont, aux différents stades du développement , la force de travail physique de lhomme les outils et instruments dont on dispose pour la mettre en application (). »

( « Facteur de race et de nation dans la théorie marxiste » BORDIGA)


En outre, la division du travail et la technique productive demeurent étroitement limitées en dehors des villes où sorganise le pouvoir. Ce qui na pas empêché la civilisation arabe de lépoque de lempire islamique, du califat, dêtre à lorigine de la généralisation à dautres aires dun nombre important de découvertes et dinventions quelle a su intégrer et adapter voire développer. Mais comme nous le signalons ci-dessus, la richesse de cette civilisation provient en grande partie du commerce entre orient et occident, et entre Afrique et Eurasie. DAfrique provenaient une grande partie de lor et des esclaves qui circulaient alors dans le monde dit civilisé… Autrement dit une grande partie de la richesse universelle et de la principale force productive, même si le MPE (mode de production esclavagiste) était déjà en voie dêtre supplanté en Occident par le MPF (mode de production féodal).

Si une vieille civilisation arabe et des Etats avaient existé dans cette aire avant lIslam, comme au Yémen ou dans le Croissant Fertile, dans toute lArabie centrale habitée essentiellement par des Bédouins il nexistait pas ou plus dEtat proprement dit.

Les Bédouins étaient organisés en Tribus:

«  Les Bédouins qui se reconnaissaient un ancêtre commun formaient une tribu subdivisée en clans (groupes de tentes) et en familles. Le clan était le cadre de vie en dehors duquel toute existence était impossible en raison de la très forte solidarité (asabiya) qui unissait les hommes. »

( «  La civilisation islamique » J. BURLOT - éditions Hachette)

Au sein, ou au dessus de cette organisation communautaire il nexiste pas dEtat proprement dit, dorganisation placée au dessus de classes sociales opposées et antagonistes, qui aurait répondu aux intérêts dune classe dominante. Celui-ci est encore contenu par des liens communautaires très forts. Doù le fait que le développement de la valeur déchange et sa pénétration dans la péninsule arabique en tendant à les dissoudre provoque une crise dont lIslam sera la solution historique, tout comme le christianisme le fut pour le monde romain. Par la suite lhistoire se poursuit comme le dit Marx sous la forme dhistoire des religions au travers des schismes et des sectes de lislam.

«  Les Bédouins se conformaient à un idéal moral (muruwa: virilité) fait de courage, dendurance, de dignité, du sens de lhonneur et de lhospitalité. La justice reposait sur la loi du talion et la vendetta (Thar) , ce qui entraînait des meurtres en série, sauf si on payait le prix du sang par une compensation (Diya). Le clan, élément principal de cette société, était dirigé par un cheikh (ou Sayyid) , doyen qui, loin de disposer dun pouvoir absolu, gouvernait assisté du conseil formé par lensemble des chefs de famille. »


(« La civilisation islamique » J.BURLOT - éditions Hachette)

On en était donc encore, au mieux, au stade précédent la confédération de tribus. Mais désormais le processus dautonomisation des classes et des individus vis-à-vis de la communauté est enclenché et irréversible. Cest de ce processus que naît lEtat islamique3. Les différentes tribus doivent se soumettre à Dieu, cette soumission relève de lindividu, car la loi de Dieu sapplique à tout individu quelle que soit son appartenance communautaire. LIslam permet la réalisation dune nouvelle communauté qui ne répond plus aux règles tribales mais tend à les subsumer dans un ensemble plus vaste qui inclut lexistence des classes sociales et contient leurs antagonismes dans des limites imposées par lEtat:

« Médine formait, désormais, on la dit, un Etat. Un Etat dun type spécial, mais indubitablement un Etat. Cétait un Etat théocratique, cest-à-dire que le pouvoir suprême était dévolu à Allah lui-même. Allah fait entendre sa volonté par lorgane de Mohammad et par lui seul. Si nous estimons que la voix dAllah cest en réalité linconscient de Mohammad, il faut en déduire que nous avons affaire en principe à une monarchie absolue. Qui pourrait tempérer, infléchir, modifier, contredire la volonté dAllah?
Pourtant, en pratique, il nen est pas tout à fait ainsi. Cest quAllah ne fait entendre sa voix que dans les grandes occasions. Les décisions multiples qui doivent être prises pour diriger et organiser la vie de la communauté médinoise dépendent, en principe, des mêmes autorités quautrefois: les chefs des conseils . »
( Mahomet - M.RODINSON - idem -p.254/255)

Au sujet de la crise générée dans cette société tribale avec son organisation communautaire clanique en rapport avec le développement de la valeur déchange, encore une citation de J.Burlot:

«  La Mecque occupe une dépression entre des montagnes abruptes et dénudées. Elle avait été fondée environ deux siècles avant lhégire et les qorayshites qui sy sédentarisèrent. Ils firent de la ville un sanctuaire et un marché. La Kaaba, cube de maçonnerie dont on fit remonter la création plus tard à Abraham, jouissait dune grande notoriété, grâce à la pierre noire, une météorite qui y était enchâssée. Chaque année sy déroulait un pèlerinage en liaison avec les foires qui se tenaient dans les contrées environnantes. Ainsi à Ukaz une grande foire servait aussi de cadre à des concours de poètes arabes et on y venait pour dénoncer les traîtres et les ennemis et réclamer justice. La Kaaba et le pèlerinage procuraient aux Qorayshites un grand prestige auprès des autres tribus arabes. Bien située à mi-chemin entre le Yémen et la Syrie, La Mecque était devenue une plate-forme commerciale qui avait profité des troubles que le Yémen connut au VI° siècle. On semble déceler dans la période de jeunesse du Prophète une véritable course à lenrichissement qui portait ombrage à lancien idéal tribal. »

Ceci confirme ce quavancent Marx et Engels dans les citations précédentes.

Ainsi des classes se précisent au sein de la société tribale des Bédouins et la nécessité dun Etat découle des conflits dintérêt entre elles.

Avant même le VI° siècle, la tendance à la dissolution de la communauté tribale chez les Bédouins est patente. Mais les classes ne sautonomisent pas plus que lindividu face à la communauté, elles sont même souvent résorbées du fait des conditions précaires de la production. Car la société bédouine:
«  est basée en principe sur légalité. Chaque membre de la tribu est égal à chacun des autres. Tout groupe se choisit bien un chef (Sayed). Mais son autorité dépend strictement de son prestige personnel. Il doit veiller à maintenir celui-ci intact. Il en va de son rang. Aussi doit-il déborder de qualités, se conserver une clientèle par ses largesses et par son affabilité , faire preuve de modération en toutes circonstances, suivre la volonté secrète de ceux quil entend commander et pourtant faire preuve de vaillance et dautorité. Et, à la réunion générale du clan, le véto dun seul pouvait remettre en question une décision importante. Pourtant tous ne sont pas égaux à strictement parler. Certains clans se sont enrichis par la razzia, par le commerce, par le prélèvement de redevances sur les sédentaires ou même sur dautres nomades. Des personnalités même dun clan donné ont acquis à certains moments une fortune personnelle. Il y a donc des riches et des pauvres. Mais il suffit dune période de sècheresse ou dune péripétie guerrière pour ramener brutalement légalité dans la misère. »

(Mahomet - Maxime RODINSON - éditions du Seuil - points politique p.34/35)

HOURANI souligne quil existe une symbiose entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires. Néanmoins celle-ci tend continuellement à faire pencher la balance au profit des uns ou des autres, justifiant pour son rétablissement la restauration de lunité despotique centrale.

Une chose est à noter lors du développement du nouvel Etat, alors que le prophète sétait révolté contre lélite de La Mecque, cest cette même élite qui fraîchement convertie format la direction des troupes qui vont envahir les territoires perses et romains. Mais ce faisant, cette extension hors du désert dans les territoires plus fertiles et plus développés du croissant fertile et de la Mésopotamie jusqu aux plateaux iraniens à lest et lEgypte à louest vont modifier la forme même de lEtat. Il ne sagira plus dun Etat formé par des tribus commerçantes dominant des tribus nomades déleveurs de chameaux et de sédentaires agriculteurs de rares oasis surpeuplées, mais dun véritable Etat de substitution des Etats despotiques perses et romains.
Le déclin de lempire arabe est perceptible dès le XI° siècle, autrement dit en rapport avec le développement du MPF en Europe occidentale. La citation suivante de Hourani nous donne une partie de lexplication:

« Les grandes villes étaient aussi des centres manufacturiers qui produisaient des biens courants pour le marché local - textiles, ferronneries, poteries, cuirs et produits alimentaires transformés - et des articles de qualité, en particulier des tissus fins, pour une aire bien plus étendue. Certaines données indiquent, cependant, que la production pour les marchés extérieurs au monde musulman se restreignit à partir du XI° siècle et que le commerce de transit darticles fabriqués ailleurs- en Chine, en Inde, ou en Europe occidentale - samplifia. Cette évolution était liée à la renaissance de la vie urbaine en Europe, et en particulier au développement des industries textiles en Italie. »

(Histoire des peuples arabes - Albert HOURANI - éditions du Seuil - Point histoire. P158)



1 En ce qui concerne cette caractérisation de la grande aire orientale dont fait partie l’aire arabe, on peut dire à la suite de Albert Hourani (HISTOIRE DES PEUPLES ARABES p.140 à 148) qu’une symbiose se produit entre sédentaires et nomades et que certains évènements peuvent la perturber. C’est cette symbiose qui constitue l’essentiel du rapport général entre tribus nomades et sédentaires dont parle Marx. Mais elle se situe dans chaque cas particulier à un niveau de développement historique donné auquel correspond une structure économique et sociale déterminée. Dans l’aire arabe les tribus de marchands font le lien entre nomades et sédentaires et tendent à dominer l’ensemble. La société islamique est une société marchande qui repose sur ce type de symbiose. D’où le développement de villes importantes, sièges de la classe dominante, autour des centres de commerce dans une vaste étendue rurale et désertique.

2 Cette absence de véritable propriété foncière privée va constituer un obstacle majeur au développement du MPC dans les colonies et même après l’accession à l’indépendance des ex colonies cette donnée majeure continue à jouer un rôle de frein malgré le vaste mouvement d’expropriation qui touche les masses rurales. Les populations nomades constituent un obstacle particulièrement gênant pour le développement du MPC comme on peut le voir avec les Touaregs à cheval sur les territoires de plusieurs Etats du Sahel et d’Afrique du Nord. En Russie, la nationalisation des terres, après la phase révolutionnaire prolétarienne, faisait pendant à la persistance de la communauté villageoise et la propriété foncière privée n’a pu avoir de réalité légale qu’après les restructurations de l’époque de Eltsine ouvrant la voie à une modernisation du capitalisme et à sa domination réelle dans l’agriculture. Désormais la grande agriculture capitaliste peut anéantir la petite agriculture domestique et balayer les vestiges de la communauté villageoise. Nous essaierons de voir comment cette situation a évolué dans les principaux pays de l’aire arabe, et notamment au Maghreb, qui fut précocement colonisé par la France.

3 L’histoire des arabes fournit encore un exemple supplémentaire à l’appui de la thèse marxiste de la genèse de l’Etat dans l’histoire à partir de la division de la société en classes et sur la nature de classe de tout Etat. On peut ainsi mesurer à quel point est opposée aux enseignements du marxisme les délires de Controverses qui, s’appuyant sur l’idéologie bourgeoise colportée par certains auteurs, prétendent que les classes naissent a contrario de l’Etat, et qu’il pourrait exister un Etat sans classes. Même la dictature du prolétariat est un Etat de classe malgré ses spécificités. Ce qui n’exclut pas la possibilité dans certaines circonstances historiques qu’un Etat s’autonomise et tende à s’affranchir momentanément des classes, comme la monarchie absolue à certains moments de son histoire en Europe occidentale. Mais il s’agit alors de l’exception qui confirme la règle. D’ailleurs, à y regarder de plus près on trouvera toujours une fraction des classes dominantes derrière ce type d’Etat, comme l’aristocratie foncière, ou bien l’influence indirecte de nouvelles classes montantes, comme la bourgeoisie financière ou commerciale, d‘où la possibilité au début du développement d‘un nouveau mode de production que celui-ci apparaisse comme un produit de l‘action de l‘Etat: féodalisme ou capitalisme d‘Etat.

lundi 6 octobre 2014

A bas la guerre impérialiste en Irak et en Syrie !


Début août le gouvernement américain décidait le déclenchement d’une « action humanitaire » limitée – sous forme de bombardements ! – en Irak, après une campagne internationale de mobilisation de l’opinion publique à propos des minorités yazidis et chrétiennes qui auraient été menacées de « génocide » par l’avancée des rebelles Islamistes de « l’Etat Islamique en Irak et au Levant » (plus connus sous le sigle anglais ISIS). Aujourd’hui, personne ne parle plus des Yazidis ni des Chrétiens, c’est le sort des Kurdes qui est utilisé pour la propagande belliciste ; l’opération « humanitaire » s’est transformée en une véritable guerre, pour l’instant essentiellement aérienne. Les Etats-Unis en sont de très loin la principale force militaire : ils ont effectué plus de 200 bombardements en Irak, des dizaines en Syrie et envoyé plusieurs centaines de soldats en Irak (d’où ils s’étaient complètement retirés en 2011 ) ; mais ils ont réussi à former autour d’eux une large coalition internationale : selon eux, une quarantaine de pays en feraient partie, mais comme ils n’ont pas donné la liste cela jette quelques doutes sur cette affirmation.

Le gouvernement français, lui, avait tenu à manifester avec le maximum d’éclat sa participation à l’intervention américaine en étant le deuxième pays à effectuer des bombardements en Irak contre ISIS (ce qui a entraîné de la part de cette organisation, qui ne possède aucun avion pour bombarder la France, un appel à tuer des citoyens français dont un touriste en Algérie a été la malheureuse victime). Les gouvernements canadiens, hollandais, australiens, suivis par ceux de la Grande-Bretagne, de la Belgique et du Danemark ont eux aussi décidé de participer à la guerre aérienne, de même que les gouvernements de Jordanie, d’Arabie Saoudite, des Emirats et du Qatar. D’autres pays qui ont rejoint la coalition internationale ont annoncé l’envoi d’armes, comme l’Allemagne et l’Italie. L’Espagne a résolu de ne pas participer aux combats, mais elle a décidé de fournir une « aide logistique ». Sans faire partie de la coalition la Russie qui était invitée à la conférence internationale de la mi-septembre pour mettre celle-ci sur pied, a annoncé qu’elle fournirait une « contribution » à l’engagement militaire international (elle envoie déjà depuis quelques mois des armes au gouvernement de Bagdad).
Même si à ce stade il n’est pas question pour les différents Etats participant à la coalition d’envoyer des troupes combattre au sol, la France, le Canada, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ont, comme les Etats-Unis, envoyé, parfois depuis « plusieurs semaines », des « conseillers militaires » et autres « forces spéciales » en Irak pour entraîner et encadrer les combattants anti-islamistes, Kurdes ou non.

Une intervention uniquement motivée par de sordides intérêts impérialistes, non par de prétendus soucis « humanitaires » désintéressés

L’intervention militaire a été justifiée par les atrocités commises par ISIS dans les régions où il est présent (et dont il n’a pas hésité à publié parfois des vidéos sur internet) : massacre de prisonniers y compris civils, décapitation d’otages, etc. ; la terreur qu’il veut inspirer est une des armes d’ISIS, mais elle est utilisée aujourd’hui contre lui afin de susciter l’adhésion à l’intervention militaire : toute guerre a besoin de brandir des victimes innocentes, vraies ou fausses, pour se justifier.
Mais jusqu’à la dernière période, tant qu’elles avaient lieu en Syrie (où ISIS les a perpétrées dès sa création), ces atrocités n’émouvaient pas la bonne conscience des impérialistes occidentaux, bonne conscience qui n’est pas davantage émue par les crimes et les exactions commises par le régime de Bagdad qui s’appuie sur de véritables commandos de la mort pour maintenir son autorité par la terreur !
Tout a changé au début de cet été, quand les combattants d’ISIS, appuyés par des cadres militaires et des forces Baathistes de l’ancien régime de Saddam Hussein, ont mis en déroute l’armée régulière irakienne, et fait peser une menace directe sur Bagdad. La chute du régime mis en place après la guerre victorieuse de l’administration Bush et à l’ombre duquel ils ont eu accès au pétrole irakien, était hors de question pour les Etats-Unis : c’est cela qui les a décidé d’intervenir militairement, et non une prétendue pression de leur « opinion publique » qui n’est jamais autre chose qu’une création des medias.
Le gros des gisements pétroliers irakiens, exploités par des sociétés américaines (Exxon…), britanniques (BP, Shell), russes (Lukoil…), italiennes (ENI), françaises (Total) et chinoises (PetroChina…), se trouve dans le sud, en région chiite, où ISIS et ses alliés sunnites n’ont guère de chances de pénétrer. Mais une partie non négligeable est situé dans la région du nord autour de Mossoul, que les nationalistes Kurdes revendiquent depuis longtemps vis-à-vis de Bagdad ; agrandissant de près de 40% leur territoire, ils l’ont en partie occupée en profitant de la débâcle de l’armée irakienne et ils veulent maintenant la défendre contre les bourgeois sunnites ralliés à ISIS. Par ailleurs le gouvernement autonome du Kurdistan avait récemment décidé, contre l’avis de Bagdad, d’accorder des concessions aux grandes firmes pétrolières occidentales, notamment aux « majors » américaines Exxon et Chevron et à la française Total. En livrant des armes aux combattants kurdes (appuyant de facto l’indépendantisme kurde) (1), les Américains et les Français protègent les intérêts de leurs grandes sociétés pétrolières ! (2)
D’autre part, ni les grands impérialismes ni les Etats de la région, ne voient d’un bon œil la remise en cause des frontières issues de la colonisation et du partage impérialiste du monde, par un groupe « incontrôlé » comme ISIS, qui a repris la vieille chimère du nationalisme arabe version Baath d’une union entre la Syrie et l’Irak, en la repeignant aux couleurs de l’Islam radical.

Recompositions en cours au Moyen-Orient

L’accord conclu l’été dernier sous l’égide de la Russie pour l’élimination des armes chimiques du régime syrien avait marqué un tournant dans la politique américaine : il signifiait qu’étant donné son échec à trouver ou mettre sur pied une force politique fiable parmi les rebelles, la chute du régime El Assad comportait, pour l’administration Obama, trop de risques pour la stabilité de l’ordre impérialiste régional.
Les rebelles syriens sont divisés en multiples groupes armés plus ou moins autonomes ou plus ou moins regroupés dans des « fronts » divers, selon les subsides reçus de bourgeois locaux ou des pays voisins et des impérialistes, certains vivant de rapines, d’extorsions ou de contrebande. Les pays arabes du Golfe ont au départ financé les divers groupes les plus islamistes tandis que la Turquie leur accordait une aide, tout cela sous l’œil de Washington. Derrière leurs références réactionnaires communes à la religion et à la loi islamiques, et en s’appuyant sur la haine suscitée par le sanglant régime de Damas, tous ces groupes ne défendent en fait que des intérêts bourgeois particuliers et souvent rivaux ; par exemple ISIS a dû son succès en grande partie au fait qu’il a réussi à se financer en s’assurant par divers moyens le contrôle d’une partie de la production et de la contrebande du pétrole syrien vers la Turquie. Aucun de ces groupes ne mérite le soutien des prolétaires dont ils sont en réalité les ennemis tout aussi résolus que l’Etat syrien. Les efforts continuels (en argent comme en armements) des Américains (appuyés par les Français, les Britanniques et autres impérialismes) pour regrouper quelques uns de ces groupes dans une « Armée Syrienne Libre » à leur botte et pour recruter parmi les politiciens syriens dans l’immigration une force politique « islamiste modérée » jouissant d’un minimum de crédibilité en Syrie, , ont été des échecs répétés. Au point que la pro-américaine ASL (qui sur le terrain fait figure de véritable mafia) non seulement a reculé par rapport aux forces du régime, non seulement a été en butte à la concurrence d’autres organisations rebelles plus dynamiques, mais pour résister aux attaques de la nouvelle organisation qui a pris le nom d’ISIS, elle a passé une alliance avec un puissant groupe islamiste, le Front Al Nosra, qui se revendique ouvertement d’Al Qaïda, l’ennemi n°1 des Etats-Unis!
Les dizaines de bombardements des Américains et de leurs alliés en Syrie contre des positions d’ISIS et aussi d’Al Nosra (3), témoignent que l’ennemi de l’impérialisme américain en Syrie n’est plus le régime de Bachar El Assad, pourtant coupable de bien plus de crimes et des massacres que les Islamistes : nouvelle démonstration que ce n’est jamais le sort des populations qui détermine l’action des impérialistes et des bourgeois de tous les pays !
A travers l’instabilité présente, qui est le fruit tant de la crise économique que des féroces rivalités inter-bourgeoises, des réalignements de force sont à l’oeuvre au Moyen-Orient : l’impérialisme américain esquisse un rapprochement avec l’Iran qu’il menaçait de bombardements il n’y a pas si longtemps, la Turquie, après avoir utilisé ISIS (4), se prépare à envahir une partie de la Syrie pour y établir une « zone-tampon », Israël qui refuse toute autodétermination des Palestiniens, se déclare en faveur de l’indépendance des Kurdes, etc. En raison de ses ressources en pétrole, mais aussi de sa position géostratégique, la région est d’importance cruciale pour le capitalisme mondial ; et tant que subsistera ce dernier elle est condamnée à être le théâtre de violents heurts d’intérêts débouchant fatalement sur des guerres, « locales » ou plus générales, dont les populations sont les victimes. En plus des morts et blessés dans les combats et les bombardements, des centaines de milliers de personnes fuyant les affrontements ont dû quitter ces dernières semaines leur lieu de résidence pour se réfugier en Turquie ou dans d’autres parties de l’Irak ; ils s’ajoutent aux centaines de milliers de réfugiés syriens qui ont trouvé un refuge plus que précaire au Liban, en Jordanie ou ailleurs. Inutile de dire que le sort tragique de ces réfugiés condamnés à une misère noire ne tracasse pas les bourgeois…

Seule la guerre de classe peut s’opposer à la guerre bourgeoise !

Les gouvernements appellent la population en général et les prolétaires en particulier à une « union nationale » en soutien à l’intervention militaire en cours, reprenant presque mot pour mot les vieux discours utilisés il y a un siècle, lors de la première guerre mondiale. Chacun sait que ces appels grandiloquents à l’ « union sacrée » pour défendre la « patrie » ne servaient qu’à appeler les travailleurs à se sacrifier pour défendre les sordides intérêts de « leurs » exploiteurs, de « leur » capitalisme national. Les révolutionnaires bolcheviks dénoncèrent le mensonge de la « défense de la patrie » ; appelant au « défaitisme révolutionnaire », ils reprirent le mot d’ordre du socialiste allemand Liebknecht : le véritable ennemi des prolétaires est dans leur patrie, c’est la classe des capitalistes ; c’est contre eux qu’il faut lutter, c’est le capitalisme qu’il faut abattre par la révolution.
De ce point de vue rien n’a changé aujourd’hui. L’ennemi des prolétaires n’est pas un nébuleux « terrorisme» dont il faudrait se protéger par des interventions militaires et des guerres (pendant des années selon le Premier ministre britannique Cameron) sur d’autres continents et par des mesures répressives ici ; c’est « leur » propre bourgeoisie, « leur» propre capitalisme, cent fois plus coupables et criminels que tous les « djihadistes » réunis. Depuis son apparition, le capitalisme a mis la planète à feu et à sang, semant la misère et la destruction pour satisfaire sa soif de profits, provoquant des morts par dizaines et dizaines de millions dans des guerres, tout en menant sans interruption une guerre sociale contre ses prolétaires. Aujourd’hui il leur inflige des politiques d’austérité, il les jette à la rue et les livre aux brutalités et crimes policiers, pour tenter de restaurer sa santé économique chancelante ; les appels à l’union nationale pour la guerre, ne sont que le pendant des appels à l’union nationale pour la guerre économique. Et si le prolétariat ne réussit pas à l’arrêter avant, le capitalisme plongera inévitablement l’humanité dans une troisième guerre mondiale, encore plus destructrice que les précédentes, pour surmonter ses contradictions internes qu’il a de plus en plus de difficultés à contrôler.
Pour l’arrêter, il n’existe qu’une seule voie, celle indiquée par le marxisme et par toute l’histoire du mouvement ouvrier : la voie de la reprise de la lutte de classe, de l’organisation indépendante de classe, de la constitution du prolétariat en classe donc en parti (Le Manifeste Communiste) pour diriger la lutte prolétarienne jusqu’à la victoire de la révolution communiste internationale et l’instauration du pouvoir dictatorial du prolétariat, étape nécessaire pour éradiquer le capitalisme mondial.
C’est cette voie qu’il faut préparer en commençant par refuser toute union nationale avec les capitalistes et leur Etat, tout sacrifice pour les intérêts de l’économie bourgeoise, toute renonciation à la défense exclusive des intérêts prolétariens, tout appui aux interventions militaires, toute participation aux campagnes de mobilisation impérialistes, même et surtout quand elles se camouflent derrière des alibis « humanitaires ».

A bas la nouvelle intervention impérialiste au Moyen-Orient !
Non à l’unité nationale en soutien de l’impérialisme !
Pour la renaissance de la lutte de classe anticapitaliste !
Pour la révolution communiste internationale !

Parti Communiste International
5/10/2014
www.pcint.org

(1) La politique américaine est jusqu’ici la défense de l’unité irakienne ; c’est pourquoi ils s’opposent à l’évacuation du pétrole kurde par un oléoduc turc et à sa vente sur le marché mondial. Les intérêts turcs sont juste l’inverse.
(2) Les autorités françaises justifient aussi leur intervention militaire par le fait que des négociations sur de gros contrats d’armements sont en cours avec l’Arabie Saoudite. On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les marchands de canon (Anatole France), disait-on déjà lors de la première guerre mondiale…
(3) Des groupes rebelles pourtant financés par les Américains ont condamné publiquement ces attaques. Quant à Al-Nosra, qui accuse ISIS de ne pas vraiment combattre le régime de Damas et de ne pas suivre avec suffisamment de rigueur les principes islamistes ( !), il revendiquait d’être retiré de la liste américaine des organisations terroristes, c’est-à-dire d’être reconnu par les Etats-Unis.