PAGES PROLETARIENNES

mardi 25 février 2014

Ukraine: communiqué du PCI




La chute de Ianoukovitch ne résoudra pas les problèmes des masses prolétariennes




Depuis la fin novembre la capitale de l'Ukraine est le siège de manifestations sur la Place de l'Indépendance (Maïdan) pour protester contre la décision du gouvernement de signer un accord économique avec la Russie plutôt qu'avec l'Union Européenne.
Il faut dire que la situation économique et sociale de l'Ukraine est précaire. Ianoukovitch avait remporté les élections présidentielles en promettant de revenir sur les «réformes» antisociales de son prédécesseur, la fameuse Ioulia Timochenko, la blonde idole des médias occidentaux.
Mais avec une économie à genoux, étranglée par une dette à court terme dépassant ses capacités de financement, le gouvernement ukrainien qui refusait, par crainte d'une explosion sociale, de suivre les recommandations du FMI de coupes drastiques dans les avantages sociaux, a cherché à négocier une aide économique parallèlement avec l'U.E. et avec l'URSS. Les négociateurs urkrainiens demandaient entre autres à l'U.E. une compensation financière pour la perte de ses marchés avec la Russie, si le pays signait un accord avec l'Europe.
Finalement, les propositions russes étant plus favorables, c'est un accord avec la Russie qui a été signé: cette dernière a promis 15 milliards de dollars sans les lier, à la différence du FMI, «ni à une hausse, ni à une baisse, ni au gel des avantages sociaux, des retraites, des bourses ou des dépenses», selon des déclarations de Poutine lui-même (1).
Mais les illusions dans ce que pouvait apporter un rapprochement avec l'U.E. (bien que pour les responsables européens, il n'a jamais été question d'une intégration de l'Ukraine dans l'U.E., mais simplement d'un accord «d'association»), étaient telles que la signature de l'accord – encore préliminaire – avec la Russie, a déclenché les manifestations. Au départ limitées, ces manifestations ont gagné peu à peu en ampleur, jusqu'à rassembler peut-être des centaines de milliers de personnes.
A partir de la mi-janvier, elles ont pris un nouveau caractère en raison de la répression des autorités: non seulement les brutalités policières «habituelles» en pareil cas, mais également le vote de lois très répressives et le recours à des nervis pour s'attaquer aux manifestants dont certains ont «disparu» après avoir été enlevés (il y aurait des dizaines de cas de ce genre). Les revendications pro-européennes ont laissé la place à l'expression d'un mécontentement généralisé se traduisant par la demande du départ du président Ianoukovitch. 

Après la catastrophe économique qui avait suivi au cours des années 90 la disparition de l'URSS (selon un rapport de la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement, à la fin de ces années, le PIB du pays n'était plus en termes réels que 37% de ce qu'il était en 1990!), l'Ukraine avait connu une période de croissance économique au cours de laquelle se sont accrues les inégalités; une poignée de richissimes capitalistes – les «oligarques» – se s'accaparant les richesses du pays et finançant aussi les divers partis présents au parlement qui sont avant tout chargés de défendre leurs intérêts respectifs (2). Le mécontentement de la population était tel qu'en 2004 une dite «révolution orange», soutenue par les Américains, renversait le président Koutchma. Mais les nouvelles autorités (dont Timochenko) déçurent rapidement la population par les mesures d'austérité qu'elles imposèrent et une crise politique éclata en 2006, ouvrant la voie du pouvoir à Ianoukovitch. En 2008-2009 la crise capitaliste internationale frappa durement l'Ukraine (baisse de près de 15% du PIB en 2009), et la reprise économique se fait toujours attendre (2013 a été une année de récession après qu'en 2012 la croissance ait été nulle) (3).
Pays de 46 millions d'habitants, l'Ukraine est divisée en une partie orientale où se concentre une industrie lourde et dont la population est souvent russophone, et une partie occidentale moins peuplée et plus agricole, qui est traditionnellement plutôt hostile à la Russie. Divisé intérieurement, le pays est aussi la cible des appétits rivaux des puissances capitalistes de l'Est et de l'Ouest. Si les instances de l'Union Européenne ne veulent à aucun prix de l'intégration de l'Ukraine en raison des problèmes insurmontables que cela impliquerait pour les finances et les institutions européennes, l'Allemagne, la Pologne et d'autres pays du centre de l'Europe sont intéressés au premier chef par le maintien de la stabilité de ce pays, et ensuite par le marché qu'il représente. Les Etats-Unis ne restent pas inactifs et ils travaillent pour couper les liens du pays avec la Russie. De son côté, cette dernière pour des raisons géopolitiques évidentes, tient à garder l'Ukraine dans son giron. Des voix officieuses se sont même élevées à Moscou pour avertir qu'une grave crise en l'Ukraine débouchant sur une partition, pourrait aboutir à une guerre dont l'objectif serait d'annexer la Crimée où est basée la flotte russe de la Caspienne...

Les différentes puissances impérialistes ont été ces derniers jours à la manoeuvre pour peser sur la cours des événements. Après les massacres du 19 février qui ont fait des dizaines de morts (peut-être 90 dont une dizaine de policiers), un accord était signé entre le gouvernement et les partis d'opposition sous l'égide des ministres des Affaires étrangères allemand, français et polonais et d'un envoyé russe. Mais l'encre de cet accord n'avait pas séché que Ianoukovitch, constatant que ses partisans l'abandonnaient et que la police et l'armée le lâchaient, prenait la fuite; il était peu après destitué par un vote du parlement. Un gouvernement provisoire a été nommé sous la direction du parti de Timochenko, libérée après 2 ans passés en prison.
Les manifestants de Maïdan, initialement surtout des étudiants, se sont recrutés essentiellement parmi les couches moyennes, les petits bourgeois confrontés aux difficultés économiques; s'il y a sans doute eu des prolétaires, ils étaient noyés dans ce rassemblement interclassiste allant «du chômeur au PDG de Microsoft Ukraine» (4) à l'enseigne de la démocratie et du nationalisme ukrainien. Au fur et à mesure que le temps a passé, les partis d'opposition traditionnels ont été de plus en plus discrédités par leurs tentatives de compromis avec le pouvoir tandis que les organisations d'extrême-droite, ultra-nationalistes, chrétiennes et néo-fascistes prenaient de l'importance parmi les manifestants. Ce sont elles qui, organisées de façon paramilitaire, ont pris l'initiative d'occuper différents bâtiments ministériels, tandis que sur la place Maïdan elles faisaient la chasse aux éventuelles organisations de gauche.
La classe ouvrière ukrainienne, qui a pourtant derrière elle une riche histoire de luttes (souvenons-nous seulement des grandes grèves des mineurs du Donbass d'il y a une trentaine d'années) a été en tant que telle absente tout au long de ces dramatiques événements: il n'y a pas eu de grèves dans le pays, ni de manifestations significatives dans les gros centres ouvriers de l'est du pays. Certes, cela est sans doute au moins en partie dû aux divisions régionales attisées par les partis gouvernementaux (l'est avait voté très massivement pour Ianoukovitch contre Timochenko aux élections présidentielles de 2010). Mais il reste que les revendications et perspectives avancées par les forces politiques bourgeoises qui ont été à la tête du mouvement d'opposition n'avaient pas grand chose pour attirer les prolétaires soumis à une dure exploitation (la durée légale du travail dans l'industrie est de 48 heures, le salaire mensuel moyen inférieur à 200 euros, le taux de chômage officiel de 8%, après avoir culminé à 15% au milieu des années 90). Cependant l'absence du prolétariat en tant que force présente dans la crise politique ukrainienne est en définitive la conséquence de l'absence de la moindre organisation classiste qui représente et défende ses intérêts.
Les couches petites-bourgeoises sont, elles aussi, victimes des crises du capitalisme, et elles se mobilisent parfois avant même le prolétariat, comme nous l'avons vu ces derniers mois dans plusieurs pays du globe. Mais comme leur existence est liée au mécanisme capitaliste de l'extorsion du profit, elles sont par nature incapables d'avancer d'autres perspectives que les chimères d'une amélioration du fonctionnement de l'économie bourgeoise, d'un capitalisme démocratique et de la disparition des antagonismes de classes. Le prolétariat est la seule classe qui soit capable d'apporter une solution définitive à la misère et aux souffrances des larges masses, y compris petites-bourgeoises par le renversement du capitalisme; et en attendant d'avoir la force suffisante pour cette issue révolutionnaire, d'arracher, même temporairement, des concessions aux capitalistes par la lutte de classe ouverte. L'entrée en lutte ouverte du prolétariat a par conséquent aussi comme conséquence de rallier autour de lui au moins une partie des masses petites-bourgeoises en voie de prolétarisation. Mais s'il ne réussit pas à se lancer dans la lutte, s'il ne réussit pas à se libérer des forces collaborationnistes de tout type qui le paralysent, la bourgeoisie retournera inévitablement la rage des petits-bourgeois contre lui, en s'en servant pour l'écraser davantage, pour accroître encore son exploitation.
Victime désignée du règlement de la crise politique actuelle à laquelle il n'a pas pris part, le prolétariat ukrainien va avoir à subir à brève échéance de lourdes attaques de la part de la bourgeoisie, quelle que soit la nouvelle équipe au pouvoir: il n'y a pas d'autre moyen pour remettre sur pied le capitalisme national. Comme ses frères de classe de tous les pays, il ne pourra y répondre qu'en rompant les liens qui au nom du nationalisme, de la démocratie ou du régionalisme, l'enchaînent aux intérêts du capitalisme, qu'en prenant la voie de la lutte de classe indépendante, qu'en reconstituant les organisations de classe nécessaires à celle-ci, et, en particulier, l'organe suprême qu'est le véritable parti de classe, aux antipodes du parti bourgeois qui s'appelle «Parti Communiste».
C'est une tâche qui ne pourra être accomplie du jour au lendemain et qui ne pourra être menée à l'intérieur des limites nationales, une tâche difficile mais exaltante et qui est la seule réaliste: Les prolétaires n'ont à perdre que leurs chaînes, ils ont un monde à conquérir!

Parti Communiste International
24/2/214

www.pcint.org

(1) cf Catherine Samary, «La société ukrainienne entre ses oligarques et sa troïka», http://alencontre.org/video/la-societe-ukrainienne-entre-ses-oligarques-et-a-sa-troika-2.html
2) Au Parlement le «Parti des Régions» de l'oligarque Ianoukovitch a comme allié le Parti Communiste, tandis que dans l'opposition on trouve le parti «Patrie» de l'oligarque Ioulia Timochenko, le parti «Oudar» (coup de poing) dirigé par un ancien boxeur et encensé par Fabius, et le parti d'extrême droite nationaliste «Svoboda» financé par un autre oligarque.
(3) cf Catherine Samary, cit.
(4) cf http://pratelekomunizace.wordpress.com/2014/02/19/maidan-and-its-contradictions-interview-with-a-ukrainian-revolutionary-syndicalist/

lundi 24 février 2014

UNE POURRITURE PEUT-ELLE REVENIR AU POUVOIR ?



Le coup de la chaise roulante à la tribune personne ne l’avait commis aussi crapuleusement que la mère Timochenko. Même si une manifestante désabusée a glissé « la prison change les gens », personne ne se faisait d’illusion sur la place Maïdan. Voici notre select ambiance d’un bon article du Figaro.






Le retour de Timochenko, étoile ternie de la révolution

Pour beaucoup d'Ukrainiens, l'image de l'égérie de la révolution orange, en 2004, reste liée à
L'étoile de la «révolution orange» a beaucoup pâli dans le regard de ses compatriotes. Aussitôt libérée de sa prison hospitalière de Kharkov, dans l'est du pays, Ioulia Timochenko, 53 ans, est apparue samedi soir à la tribune du Maïdan. Assise sur un fauteuil roulant à cause d'une hernie discale, diminuée, l'ancienne première ministre n'en a pas perdu de sa pugnacité oratoire. Mais la foule n'en a pas pour autant chaviré. «Les hommes politiques ne valent pas une seule goutte de sang que vous avez versé. Quand les snipers tiraient leurs balles, elles se sont fichées dans le cœur de chacun d'entre nous. Et à chaque minute que des gens tombaient, je me suis sentie coupable de ne pas être avec vous», a-t-elle lancé à l'adresse des meneurs de barricades. Avant d'ajouter, dans un geste d'humilité: «Je m'incline devant vous et vous demande pardon.»
Le discours a suscité une indifférence polie, à l'exception de la seule consigne qu'elle ait lancée à la foule et qui a fait mouche: «Vous n'avez pas le droit de quitter Maïdan avant que tout soit fini.» Pour le reste, «elle a versé dans un pathos dont les gens, qui attendent des choses concrètes, sont fatigués. Elle a cherché à les flatter, mais ce n'est pas ce qu'ils attendent», estime Viktor, un professeur de philosophie quinquagénaire. «Ioulia est allée en prison pour ses pêchés, et c'est normal», ajoute ­Bogdan, un jeune manifestant qui contrôle les accès à la place.

Corruption et sens des affaires

Depuis le début du mouvement, en novembre dernier, plusieurs manifestants exigent le retrait de son portrait géant qui trône sur le sapin artificiel érigé sur le Maïdan. D'autres - c'est également le cas au sein des chancelleries européennes - lui reprochent d'avoir exacerbé la crise en exigeant, sans relâche, du fond de sa cellule, la mise à mort politique d'Ianoukovitch.
Ils se plaignent, enfin, d'avoir assisté à une aggravation de la corruption durant son mandat de six ans à la tête du gouvernement, ce qui lui a valu, en partie, sa défaite aux élections de 2010, face à son ennemi aujourd'hui déchu. Ironie du sort, celle qui aspire à incarner le désir d'intégration européenne de ses concitoyens a été condamnée à sept ans de prison pour avoir, en 2009, signé, avec la Russie, un accord gazier «outrepassant ses pouvoirs», selon l'acte d'accusation officiel. Moscou, et en particulier Vladimir Poutine, s'était toujours accommodé de cette dame, rebelle certes, mais qui a toujours gardé le sens des affaires. Une fois réintégrée dans le jeu politique ukrainien, Ioulia Timochenko pourrait reprendre le contrôle de sa formation politique, Batkivtchina, qu'assure aujourd'hui Arseni Iatseniouk, et ceci en prévision des élections présidentielles anticipées. Son charisme oratoire suffira à la distinguer du pâlot Vitali Klitschko, ex-boxeur et leader de la formation Oudar. Mais ce ne sera pas suffisant pour effacer son image, qu'elle conserve, y compris chez ses anciens supporteurs, de «femme du passé».