PAGES PROLETARIENNES

mercredi 28 août 2013

LA FIN DE LA MYSTIFICATION DE LA RETRAITE





(et de la mystification du temps libre)

LA RETRAITE UNE MORT SOCIALE

De Anne-Marie Guillemard (ed du CNRS 1972)

Tout en se basant sur de multiples travaux antérieurs d’autres sociologues, l’auteur décrit la réalité moderne de la « mise à la retraite » comme autre chose que le « repos mérité » vanté par tout le mouvement ouvrier, vieille auto-mystification commune à tous les lutteurs du prolétariat et aux saltimbanques politiciens bourgeois. La retraite envisagée à la fin du XIXe siècle pouvait se justifier comme repos mérité pour une classe ouvrière tôt exténuée et brisée biologiquement à la tâche pénible et aux longues heures de travail quotidiennes ; en outre le retraité pouvait rester dans son milieu d’origine, garder ses relations de travail à proximité. Les manifestations et  les débats politiques restaient ouverts aux vieux dont l’expérience était respectée… La retraite était pourtant déjà aussi un enterrement social « réformiste », plus préparation du corbillard qu’ouverture vers un avenir de liberté, de santé et de liberté. La retraite était déjà contre-révolutionnaire en ce qu’elle coupait le prolétaire de la vie de la cité. L’analyse scientifique, pourvue de nombreux tableaux et statistiques, de Anne-Marie Guillemard, est brillante et iconoclaste, elle eût pu tout à fait être rédigée par Marx (qui n’a pas eu le temps d’aborder le problème), lequel s’est éteint jeune le pauvre, à la petite cinquantaine.
La question des retraites inflationnistes est devenue comme le fameux trou récurrent de la Sécurité sociale, un sujet d’inquiétude feinte (pour votre bien) de la part des gouvernants et de leurs journalistes. Il faudrait « sauver les retraites », celle « par répartition » en premier lieu, c'est-à-dire la plus pourrie celle qui autorise les pires inégalités entre (avantagés) du public et laissés pour compte du privé, celle qui permet qui permet que certains et certaines n’ayant pratiquement jamais travaillé en France touchent la même petite pension que ceux et celles qui ont donné au moins trois décennies de leur vie à l’exploitation salariée, celle qui permet des pensions exagérées à l’encadrement industriel, commercial et syndical. Bref un foutoir. L’intérêt du livre de AM Guillemard  ne porte pas sur ces inégalités, ni sur la mystification qui prétend que les femmes sont toujours les plus défavorisées, mais explique sur le fond l’aliénation doublée de solitude extrême que représente la retraite pour le prolétaire, femme comme homme. Rédigée en 1972 cette enquête reste complètement actuelle et peut encore moucher le nez aux militants de tous poils, qui tentent de survivre en prolongeant leur militantisme comme une activité de retraité, c'est-à-dire de figurants dans la hiérarchie des appareils naturellement rajeunis, où sauf rares exceptions seuls un ou deux caciques peuvent encore prétendre mener le bateau. A la veille de nouvelles promenades syndicrates, avec gros du troupeau composé des retraités avantagés du public, une véritable réflexion sur la mort sociale que constitue la retraite, ce faux acquis du capital ascendant, s’imposait, rétroactivement[1]. Si toutefois ces monotones et pittoresques comédies syndicales ne sont pas balayées par l’indifférence du peuple prolétaire et les conséquences de l’intervention impérialiste dans la Syrie dégoulinante de sang… Les annonces du gouvernement « socialiste » fin août concernant les aménagements prévus pour 2025 ou 2030 nous ont fait crouler de rire, ledit gouvernement aura alors disparu depuis grosse lurette et certains ministres seront décédés : la gauche au pouvoir c’est la continuité de la droite elle-même continuité de la gauche ; les dirigeants bourgeoises s’empêtrent et s’entêtent à se refiler sans cesse la patate chaude qui va finir par refroidir ou en brûler quelques uns !
Adresse aux jeunes donc qui se croient immortels : l’espèce humaine est mortelle, avec ou sans capitalisme, un jour on ne voudra plus de vous au travail ; un jour vous apprendrez que vers la cinquantaine le cancer du sein et celui de la prostate vont toucher la plupart d’entre vous, bien avant que les pourris qui gèrent l’Etat bourgeois aient complètement siphonnés les « caisses » de… retraite. C’est programmé.

« … dans les civilisations traditionnelles règne une périodisation qui identifie le dernier âge au temps du plus grand épanouissement de l’homme et du plus grand pouvoir (…) dans nos sociétés s’est opéré un renversement de l’échelle d’âge : aujourd’hui vieillir, c’es déchoir.
Le fait d’avancer en âge ne correspond plus aujourd’hui, à l’image de l’homme qui s’accomplit : d’une part, parce que l’augmentation de l’espérance moyenne de vie (grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine) ne fait plus de la longévité une caractéristique digne d’égards, d’autre part, parce que le renouvellement rapide des connaissances ne permet plus aux personnes âgées de tenir un rôle de conseiller (dans la société traditionnelle, la vie était l’école permanente dans la mesure où la presque totalité des savoirs et des savoir-faire était de nature empirique : le vieillard était alors source de connaissances, car il accumulait constamment des capacités nouvelles). Puisque dans notre société industrielle vieillir n’est plus s’améliorer constamment, il n’y a plus d’échelle d’âge, elle perd toute signification. Il n’y a plus que des étapes très distinctes et totalement discontinues.
Notre société se caractérise par une ségrégation des groupes d’âge plus poussée que jamais. Cependant une mise à part est toujours ambiguë, elle peut signifier distinction ou discrimination. Dans notre contexte culturel, alors que la jeunesse est improductive mais porte en germe les promesses d’une future productivité en acquérant une formation théorique préalable dans les institutions d’éducation, alors que les adultes participent au travail collectif, aucune fonction positive n’est attribuée à la vieillesse. La mise à l’écart correspond à un rejet. La dernière étape de la vie est définie par l’oisiveté. La mise à la retraite marque le début de la discrimination. L’institution de la retraite obligatoire à âge chronologique fixe est donc un élément de la politique ségrégative de notre société. (…)
La retraite est repos mérité. Face aux impératifs du système de production, les travailleurs organisés ont réclamé la couverture de leurs besoins, à partir d’un certain âge, par la collectivité sociale, sans contrepartie de nouvelles prestations, mais en échange des efforts de toute une vie. La fraction active s’est engagée à prendre à sa charge l’entretien des inactifs. Le droit au repos est donc un acquis de la revendication ouvrière. Mais dans le moment même où la retraite assurait certaine garantie contre la misère, elle institutionnalisait la perte de capacité des vieux travailleurs et leur dévalorisation. Les travailleurs, à l’instant de leur cessation d’activité, vont découvrir la contradiction entre une civilisation qui valorise essentiellement le travail, la productivité, et ce temps libre qu’on leur accorde qui risque de n’être plus qu’un temps vide à leurs yeux. (…)
La retraite est aussi la vieillesse. En effet, définir la retraite par le non-travail ne nous donne pas les moyens de la distinguer des loisirs. La dimension vieillesse doit être prise en compte dans la définition de la retraite d’autant plus que l’éloignement du milieu de travail constitue un palier décisif dans le processus de vieillissement. (…)
Dans une logique capitaliste stricte, un acteur social est un agent producteur disposant de sa force de travail. Lorsqu’il n’est plus reconnu comme agent producteur, il n’existe donc plus en tant qu’acteur social. Le seul sens social qui lui reste est l’allocation qui lui est versée par la fraction active de la société au nom du droit au repos acquis par la revendication ouvrière, et les ressources matérielles et intellectuelles qu’il a pu épargner. En conséquence, si, pour le travailleur actif, nous appelons capacité de travail présente ce qui correspond à la réappropriation par le travailleur d’une partie du produit de son travail en vue de la reproduction élargie de cette capacité, nous dirons que l’acteur social retraité se définit par sa capacité de travail réalisée, et que celle-ci correspond à la partie épargnée des ressources consacrées à l’entretien de la capacité de travail passée.(…)

CYCLE DE VIE ET EVOLUTION DU SYSTEME DE RELATIONS SOCIALES

… la vie tourne autour de deux mondes, le monde du travail et le monde familial. Une fois quitté le premier, seul le second peut assurer l’équilibre social et personnel. Les issues sont alors : accentuation des relations familiales ou isolement. Il faut remarquer que ce raisonnement repose sur une hypothèse qu’il reste à démontrer : il faut une certaine densité de communication, une certaine intégration communicative, pour qu’il y ait équilibre personnel et adaptation harmonieuse. Cette densité indispensable est obtenue dans la première phase de la vie par l’action des institutions qui ont une fonction de socialisation : école et famille. Dans la vie adulte, c’est le travail qui confère pour l’essentiel son statut à l’individu, celui-ci étant inséré dans un réseau dense de communication. Lorsque l’individu cesse son activité rémunérée, non seulement son réseau de communication s’appauvrit, mais également sa position dans la société n’est plus nettement définie.(…) En effet, l’industrialisation a désintégré la famille patriarcale fondée sur un système vertical, et dont les anciens étaient le point d’appui. Aujourd’hui la famille a été réduite à sa dimension biologique : il s’agit d’unité conjugale, et par conséquent au moment où les enfants quittent le foyer, le couple perd l’attache familiale. Si le monde professionnel s’évanouit également, on voit facilement s’engager un processus de rétrécissement pouvant aller jusqu’à la rupture entre l’individu et le système social. Ainsi, une des issues, et non la moindre, de la transformation du système de relations sociales peut être l’isolement. (…)
Dans des conditions normales (bonne santé et indépendance financière relative) le vieillissement s’accompagne d’un éloignement ou désengagement réciproque de la personne qui vieillit et des autres membres du système social dont elle fait partie. L’éloignement peut être provoqué soit par l’intéressé lui-même, soit par d’autres membres de ce système. Une fois le désengagement achevé, l’équilibre qui existait pendant l’âge mûr entre l’individu et la société a fait place à un nouvel équilibre caractérisé par un éloignement plus grand et par une solidarité fondée sur une base différente. Ainsi, au fur et à mesure que le champ social se rétrécit (les pertes que subit l’individu, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan social, commencent à dépasser son aptitude à les réparer et l’inévitabilité de la mort prend un caractère de plus en plus contraignant), l’individu intègre sa nouvelle situation en se détachant du monde, construisant une « intimité à distance » vis-à-vis des êtres chers, vivant dans l’introversion et remplaçant l’action présente par les résidus symboliques des actions passées (les souvenirs). Le processus de désengagement est occasionné par une modification fondamentale du système de valeurs privilégié par l’individu.
Ce dernier se détourne de la réussite comme valeur centrale et lui substitue l’affectivité. Si cette phase délicate est dépassée, si la crise de la personnalité est résolue, l’homme désengagé « devient libre ». Car si l’homme prend ses distances à l’égard de la société, réciproquement la société s’éloigne de lui. Elle le libère des contraintes et des pressions normatives. On retrouve ici une théorie du cycle de vie, mais axée cette fois sur la personnalité sociale et non plus sur le système de relations sociales. La socialisation conduirait l’enfant à renoncer à son individualisme et à se conformer aux exigences normatives de la société, tandis que par le processus réciproque les individus âgés se verraient autorisés à retourner à l’individualisme, refusant les tâches sociales pesantes et trouvant leur satisfaction dans les autres possibilités offertes principalement dans le domaine affectif.  Cette théorie a le mérite d’évoquer la relation entre système social, personnalité et processus biologique en tant que réalité vécue (conscience de la mort). Il faudrait élargir et systématiser cette analyse. Elle ouvre le champ à une interprétation des conduites des retraités en termes de résolution, avec ou sans crise, du processus de désengagement. Mais la fermeture progressive du sujet au monde extérieur (désengagement), son attitude à l’égard du changement, son sentiment d’anomie, son niveau de satisfaction, son angoisse de la mort, sont l’expression, en termes de conduites et de représentations de l’évolution biologique, du vieillissement. (…)

PRATIQUES DE RETRAITE ET EVOLUTION DES STRUCTURES SOCIALES

On a vu que le procès de croissance et de vieillissement, comme le rapport entre travail et non-travail, sont définis par le système de valeurs de la société considérée, et prennent un sens différent en fonction de l’évolution socio-culturelle. Alors que dans une phase précapitaliste la vieillesse est source de pouvoir[2] et accumulation de connaissances, dans une société productiviste axée sur le travail, la retraite signifie à la fois mise hors circuit d’un élément peu rentable et non-activité reconnue par la société. On peut imaginer un autre modèle sociétal qui ne serait plus axé sur le travail mais sur le non-travail, c'est-à-dire sur la consommation. Le sens de la retraite serait alors modifié fondamentalement. La retraite deviendrait « vraie vie de loisirs », avec pour seule limite les ressources physiologiques et économiques du sujet. Nous passerions donc, avec l’évolution de nos sociétés sur le plan social et économique, d’une retraite mise à l’écart à une retraite de loisirs[3]. Enfin, dans une société qui ne serait pas ségrégative et n’attribuerait pas à chaque étape de la vie une fonction improductive ou productive, il n’y aurait pas de retraite, mais une nouvelle forme d’activité[4]. Dans cette société, accumulation de savoirs, travail et non-travail ne seraient pas séparés mais constitueraient les éléments d’un processus d’ensemble indissoluble. Chaque forme d’activité serait adaptée aux caractéristiques propres du stade biologique atteint, et la dernière phase de la vie correspondrait à ce qu’on appelle (souvent d’une manière ambiguë), le troisième âge. (…)

CONTENU DE CHACUN DES TYPES DE PRATIQUES THEORIQUES
Type I : la retraite-retrait
Contrairement aux autres types de pratique le seul niveau d’orientation sociale en rend compte entièrement. (…) Dans le cas de la retraite-retrait, tout se passe comme si l’acteur ne se définissait plus qu’en termes de nature humaine, comme s’il n’était plus que le support d’un processus biologique. Il est alors totalement coupé de sa situation sociale. Le non-travail se traduit pour lui par une expulsion de la société. Il n’est plus question pour lui de participation à une production collective ou d’appropriation collective. Son comportement n’est plus social, il est naturel ; et ce comportement univoque le définit totalement. Sa consommation est pure consommation de survivance, elle n’est plus liée qu’à des besoins naturels, excluant toute satisfaction de besoins sociaux ou la reproduction élargie de la force de travail. Les comportements quotidiens liés à cette pratique seront presque exclusivement constitués d’actes réflexes destinés à l’entretien de la vie (se nourrir, dormir, faire sa toilette…). Nous n’observerons aucune conduite exprimant une quelconque insertion sociale (participation à une association, contacts sociaux, activités paraproductrices…). Le champ social est réduit à l’extrême et le biologique domine l’ensemble des conduites.(…) La vie quotidienne du retraité-retrait est rythmée par l’alternance des activités nécessaires à l’entretien du biologique et de larges temps morts où l’on attend que vienne l’heure de l’activité fonctionnelle suivante. (…)[5]
Type II : la retraite-troisième âge
Dans ce cas, le passage du travail au non-travail correspond au passage d’une activité productrice, institutionnellement définie, à une nouvelle forme d’activité créatrice socialement reconnue. Le retraité-troisième âge s’adapte à sa nouvelle situation en s’insérant dans l’organisation sociale telle qu’elle lui est donnée. C’est en cela que nous pouvons interpréter son comportement en termes de rapport à l’organisation sociale. Cependant cette pratique ne vise pas à l’appropriation de produits réalisés mais introduit des effets nouveaux dans le champ social. Elle est créatrice. Ces comportements paraproductifs sont généralement issus de centres d’intérêts anciens qui, tout naturellement, prennent la place de l’activité principale au moment de la mise à la retraite. Ils peuvent être très divers d’un individu à un autre (activité de création artistique ou littéraire, interprétation musicale, recherches techniques personnelles, collection de timbres, jardinage…). Mais ils ont pour caractéristique commune de structurer la totalité de l’activité du sujet, exactement au même titre que l’activité professionnelle passée. C’est en fonction de cette nouvelle occupation, également régie par des systèmes de normes sociales (qui accordent une certaine position dans la structure sociale et précisent le contenu des attentes du groupe), que le retraité se définit entièrement.(…)
Type III : la retraite-famille et la retraite-loisirs
(…) La pratique famille correspond à un ensemble de conduites traditionnelles. Le retraité, ne contribuant plus à la production collective, retrouve son rôle de point d’appui du système des relations parentales et continue à s’approprier, par la médiation du milieu familial fermé, des valeurs sociales et culturelles et des biens matériels. Cette pratique prend donc son sens en fonction de l’organisation sociale, puisqu’elle privilégie l’insertion dans les structures familiales institutionnalisées. Elle se définit d’autre part en termes de consommation dans le cadre de la communauté familiale. (…)
La pratique loisirs est centrée sur la consommation de masse. Dans une société industrielle développée, se caractérisant par une relative abondance, la situation des individus n’est plus seulement définie en termes de participation  à un travail collectif, mais aussi par leur intégration à la société en tant que consommateur. Dans ce cadre, le passage du travail au non-travail va donc consister à abandonner le rôle de producteur, au profit d’un renforcement du rôle de consommateur (…) un marché du troisième âge.
Type IV : la retraite-revendication
Cette pratique[6] est centre sur le rapport établi entre être biologique et être social et cherche à le transformer[7]. Ceci se traduit notamment par le refus de la place qui est faite aux vieillards dans notre société. Le fait d’être mis au rebut, d’être considéré comme indésirable alors qu’on a rempli son devoir envers le corps social et gagné el droit au repos est contesté. Toutes ces revendications s’appuient sur la prise de conscience du fait que les retraités représentent un groupe d’âge solidaire, ayant des intérêts propres, et manifestent la volonté de se définir en tant que communauté pour défendre ses droits vis-à-vis du reste de la société[8].

DE LA NON-REPRODUCTION DE LA FORCE DE TRAVAIL A LA PRODUCTION D’UNE MORT SOCIALE
(…) D’ores et déjà, les résultats obtenus ont un certain nombre d’implications, d’une part dans le cadre d’une réflexion théorique sur la dernière étape de la vie, d’autre part au niveau de l’élaboration d’une politique sociale du troisième âge. En ce qui concerne la réflexion théorique, nous pouvons, à travers les résultats de cette étude, formuler certaines lois du comportement en situation de retraite. Au niveau de l’explication des pratiques sociales des retraités, nous avons pu dégager deux régularités fondamentales.
D’une part, lorsqu’un acquis a pu être constitué au cours de la vie active, lorsque certaines ressources ont pu être épargnées, on observe le maintien d’un certain niveau d’activité sociale, le type d’activité maintenu étant marqué par la situation matérielle, sociale et intellectuelle qui a été constituée au cours de la vie de travail : lorsque des potentialités ont surtout été accumulées, on observera l’actualisation d’une retraite troisième-âge ; lorsque des biens ont été accumulés, on observera l’actualisation d’une retraite-loisirs ; lorsque seuls des niveaux conflictuels de ressources subsistent, on observera des conduites dont le sens est la participation ou la revendication.
D’autre part, si un acquis suffisant n’a pu être constitué pendant la période active de l’existence, on assiste, au moment de la retraite, à une paralysie progressive de toute l’activité sociale du sujet, à son repli sur l’être biologique. Nous avons nommé cette pratique la retraite-retrait, mais il serait plus conforme à la réalité observée de la nommer mort sociale. Une existence qui se réduit à des actes réflexes destinés à l’entretien du corps, à l’immobilisme, à l’isolement, à une absence de projection vers le passé ou l’avenir, équivaut à l’envers de toute existence sociale, à la présence de la mort.
Le plus préoccupant est que cette conduite typique est apparue avec la plus haute fréquence dans notre population. (…) Pourtant une analyse en profondeur des mécanismes de détermination de la retraite-mort sociale permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles cette pratique est la plus attestée dans la réalité. Si, pour actualiser une pratique loisirs, famille ou troisième âge l’on doit cumuler des ressources sur plusieurs dimensions, dans le cas de la retraite-retrait la simple présence de certains éléments négatifs parmi les ressources conduit irrémédiablement à son actualisation. Ainsi, le fait d’avoir effectué des tâches de pure exécution dans le procès de production fait tendre la pratique de retraite vers une mort sociale, même si l’état biologique et le niveau des allocations touchées sont satisfaisants. En revanche, un haut niveau de revenu ne suffit pas pour se réinsérer dans la société dite de consommation. Pour pratique une retraite-loisirs, il faut non seulement disposer d’un bon niveau de revenu, mais aussi être en bonne santé. Il faut de surcroît s’être constitué un large réseau de relations sociales au cours de sa vie active, et que celui-ci n’ait pas été trop amputé par l’avance en âge. Si certaines de ces dimensions ne sont pas présentes, il est peu probable que le retraité actualisera un retraite de ce type. On pourrait faire les mêmes remarques pour les retraites-famille ou troisième âge[9]. Elles impliquent toutes deux que l’on cumule des ressources sur plusieurs dimensions pour être actualisées. (…)
Au fur et à mesure de l’avance en âge, le jeu des déterminismes sociaux se fait plus étroit et les chances de mobilité sociale et de conduites en rupture deviennent plus restreintes, sinon inexistantes. La vieillesse est alors la phase de la vie consacrée à la pure reproduction des comportements déjà appris. Le moment où la possibilité d’émergence de nouveaux rapports sociaux, où l’introduction de nouveaux modèles de conduites productrices ou consommatoires est compromise.
La vieillesse est le moment de rigidification des conduites. Il ne s’agit pas de la rigidité, souvent évoquée, qui trouve sa source dans un phénomène naturel : l’involution biologique, phénomène général dont les seules variations, enregistrées d’un individu à l’autre, seraient sa précocité ou son aspect tardif. Il s’agit d’une rigidité dans les conduites introduites par le jeu cumulatif des déterminismes sociaux, qui ne permet plus que la reproduction détériorée des comportements déjà appris. Les effets de la formation acquise dans l’enfance au sein de la famille ont été redoublés par l’Ecole, qui supposait cette formation préalable, pour conduire à un certain niveau d’appropriation du capital culturel (symbolisé par le niveau d’instruction). L’action de la situation de travail a consacré, par ses sanctions, ces déterminations initiales en transcrivant le capital culturel en capital économique, et en ses corrélatifs : pouvoir et relations sociales, ainsi qu’en un certain système de dispositions à l’égard du temps libre.
Au niveau terminal de l’évolution, la retraite ne peut plus être que reproduction des comportements déjà appris et des inégalités initiales. Il est de plus en plus difficile, étant donné que les retraductions sont soumises aux mêmes lois que celles qui présidaient à la répartition initiale du capital économique et culturel entre les classes, de briser le cercle qui fait que les biens et les aptitudes vont à ceux qui possédaient déjà des ressources.
C’est cette longue chaîne de déterminismes sociaux qui fait qu’à chaque étape de la retraduction de la hiérarchie culturelle, sociale et économique, celle-ci se voit renforcée et les écarts creusés. Le moment de la retraite est alors le moment de la consécration des inégalités sociales. Les contrastes sont rendus encore plus apparents, dans cette dernière phase de la vie, entre les plus démunis et les autres. Ainsi telle existence qui nse définissait en termes de simple reproduction de la force de travail , au niveau de la vie active, apparaît comme une non-existence, une mort sociale, au niveau de la situation de retraite, alors que le cadre salarié, plus favorisé, verra généralement un certain niveau de son activité sociale préservé. Remarquons que les retraductions successives, avec l’avance en âge, des processus sociaux de différenciation qui conduisent à leur redoublement en situation de retraite, constituent cette dernière en une zone privilégiée d’observation de la société pour le sociologue. Il se trouve dans une situation quasi expérimentale pour démonter les mécanismes sociaux de marginalisation en même temps que ceux de reproduction du système.
Nous avons vu que, dans cet enchaînement de déterminations sociales, qui constitue l’histoire individuelle d’un sujet et par laquelle une société reproduit son ordre social, il est une étape particulièrement importante en regard des pratiques de retraite : la place occupée dans le processus de production, retraduction plus ou moins fidèle ou déformée de la place occupée dans le système culturel. Elle conditionne aussi bien le rapport que l’on entretient avec son travail que celui que l’on entretient avec son temps libre, en même temps qu’elle commande en partie la vitesse d’évolution du processus de vieillissement. En effet, si le vieillissement, en tant que variable explicative, est souvent arrivé aux premiers rangs des facteurs déterminants dans les modèles explicatifs proposés, ce n’est pas en tant que phénomène naturel mais en tant que facteur social. En expliquant une partie des conduites des retraités par le degré de leur vieillissement biologique, nous n’avons pas recouru à une analyse naturaliste du type de celle que nous avions récusée en élaborant notre problématique (analyse des conduites des personnes âgées par une nature : la vieillesse). Nous avons seulement pris en compte une des multiples retraductions du facteur social explicatif fondamental des conduites de retraite : la situation de travail.
En effet, nous avons pu montrer que la situation de travail exerce un effet direct important sur les pratiques de retraite, mais qu’elle agit également très largement, d’une façon souterraine, par la médiation de certaines de ses retraductions (revenu, environnement social, vieillissement), celles-ci venant multiplier et transformer son effet initial.
En mettant à jour l’hétérogénéité des pratiques de retraite, en montrant que la pratique de retraite la plus attestée dans la réalité est la mort sociale, en faisant apparaître que l’actualisation de ces pratiques est liée à des mécanismes sociaux fondamentaux, nous avons du même coup mis en évidence certains mécanismes généraux de production de la mort, qui, s’ils opèrent d’une façon régulière pour la catégorie sociale des retraités, peuvent certainement être attestés aussi pour d’autres catégories. Ainsi, dans certaines conditions, le processus de cessation d’activité, qui interrompt la nécessité sociale de reproduction de la force de travail, est en fait un processus de production de la mort.
Or,  ce qui est frappant, c’est que les conditions dans lesquelles, en situation de retraite, la vie sociale n’est pas reproduite, ne sont pas des situations marginales. Il ne s’agit pas de « ratés » du système mais d’un processus général d’une grande régularité. Ce n’est pas la marginalité, l’absence de coopération au sein de la production collective qui mènent à la négation de toute existence sociale. Ce sont, au contraire, une place définie dans le processus de production, une certaine position dans le système culturel, qui conduisent inéluctablement à la mort sociale.
Pour les classes sociales défavorisées, la retraite équivaut à la mort sociale selon un processus général dont nous avons essayé de définir les principales articulations. On pourrait cependant nous objecter que le vide sociale que nous avons nommé mort, puisque le sociologue ne peut saisir la mort qu’en creux, par « l’absence » (absence d’activités sociales, etc.), n’est en fait que le revers de la sagesse, d’une vie intérieure intense que les outils du sociologue ne permettent pas de saisir. Il nous a semblé pourtant, à travers cette étude que la retraite-retrait n’était pas une pratique empreinte de sérénité, qu’elle était plutôt vécue par les intéressés d’une façon conflictuelle, d’une façon dramatique même, parfois. Pour ceux qui la vivent, la retraite-retrait est une période de crise marquée par la vie de travail et fixée sur l’horizon de la mort. Le rappel des résultats de cette étude – l’importance au sein de la population des retraités-retrait, le fait que cette retraite-mort sociale est produite par un long enchaînement de déterminisme sociaux – devrait tendre à renverser l’ensemble des principes d’action généralement adoptés à l’égard des problèmes des personnes âgées.
Elaborer, comme on le fait aujourd’hui, une politique sociale pour personnes âgées en se limitant à des actions sur les conditions de vie de la population retraitée ne peut conduire quà un aménagement extrêmement partiel de la situation. Ce n’est qu’an agissant sur le montant et la nature des ressources accumulées au cours de la période productive de l’existence qu’il sera possible d’apporter des solutions aux problèmes des personnes âgées.
C’est en modifiant les données de la vie de loisirs et de travail des actifs, en intervenant en amont, que l’on pourra exercer la seule action de redressement profonde et efficace. Et c’est d’une façon plus globale, dans la mesure où nous avons pu voir que les types de pratique de retraites n’étaient que l’expression des tendances sociales générales, en gérant d’une façon plus adéquate les rapports entre travail et non-travail, entre nature et culture, que l’on pourra donner un contenu, un sens autonome, à cette étape de la vie.


[1] Dans le même sens que ce que je décrivais dans mon livre sur l’aristocratie syndicale et leur ridicule comédie sur la lutte en carton pâte pour « les retraites » et jamais la retraite.
[2] C’est encore le cas dans les régimes staliniens et musulmaniaques.
[3] Hypothèse vraiment farfelue et anticommuniste de cette auteure car depuis les Dumazedier et Crozier des sixties jusqu’à Michel Rocard, la théorie de la « retraite loisirs » n’est que supercherie sauf pour les cadres retraités et les adhérents à la CCAS d’EDF et Cie.
[4] Là oui bravo, idée d’inspiration communiste, mais pas goulaguienne !
[5] Internet n’existait pas encore, il est devenu une échappatoire relative pour de plus en plus de retraités, sans vraiment empêcher  la solitude, et participe d’un rite informatif guère plus évolué que la fidélité horlogère au « vingt heures » de la téloche antique.
[6] Typique des militants syndicaux et gauchistes à la retraite…
[7] Mon œil ! Défiler et boire le pastis après-coup tel est l’ultime but de ces suivistes.
[8] Ce que je nomme le ghetto gériatrique, corpo et syndicrate.
[9] On peut faire les mêmes remarques (en pire) pour le chômeur !

lundi 26 août 2013

LA POUDRIERE DU CROISSANT ARABE



Un constat terriblement invalidant le capitalisme décadent nous rend impuissant politiquement, comme Rosa Luxemburg l’avait déjà constaté au faîte de la Première boucherie mondiale. Que dire, que réagir devant le spectacle atroce des enfants syriens gazés au sarin ? Qui a fait ça ? Personne ne lève le doigt. L’horreur sert pourtant les sinistres camps rivaux, car chacun fait porter la responsabilité sur « les autres », « le camp d’en face ». Personne ne peut plus vraiment s’indigner, contre qui ? contre quoi ?
Le prolétariat, ou du moins sa jeunesse étudiante manifestait pour moins que çà dans les sixties, maintenant plus personne ne manifeste tellement l’horreur apparaît indescriptible et presque normal dans le spectacle subi. Le jeu de cons ses canailles impérialistes, petits et grands du monde entier, semble dépasser l’entendement. Voici en tout cas un article sur les parages qui explique bien, même venant d’un journaliste bourgeois que le capitalisme ne peut plus qu’entretenir en permanence la guerre, et pas que la guerre mais une guerre de barbarie où la population civile, les enfants et les femmes doivent être exterminés. Plus loin qu’Hitler c’est possible avec la bourgeoisie moderne démocratique et armée jusqu’aux dents.
Le Point.fr - Publié le 21/08/2013 à 14:42 - Modifié le 22/08/2013 à 14:50
Le Qatar a versé 7 milliards de dollars aux Frères musulmans. En riposte, l'Arabie saoudite en donne 12 à l'armée. Récit d'une lutte discrète mais sans merci.
On comprend désormais davantage pourquoi les États-Unis et l'Union européenne peinent à sanctionner le nouveau gouvernement égyptien après la sanglante répression des manifestants pro-Morsi qui a fait près d'un millier de morts en une semaine. Leur plus grand allié au Moyen-Orient, l'Arabie saoudite, pèse de tout son poids pour protéger l'armée égyptienne, de retour aux affaires un an après l'accession à la présidence du Frère musulman Mohamed Morsi.
"Les positions de la communauté internationale [sur l'Égypte] ont pris une étrange direction", s'est ainsi étonné lundi le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Saoud al-Fayçal, qui s'est même montré menaçant : "Nous n'allons pas oublier ces positions hostiles aux nations arabes et islamiques si elles sont maintenues", a-t-il ainsi prévenu. Tandis que l'Union européenne discutait au même moment de la possibilité de suspendre l'aide financière de 5 milliards d'euros qu'elle a promise à l'Égypte en 2012, le ministre saoudien a assuré que les pays arabes étaient prêts à compenser toute sanction occidentale.
Riyad au secours de l'armée
Déjà, au lendemain de la destitution du président islamiste Mohamed Morsi, le 3 juillet dernier, les monarchies du Golfe avaient annoncé le versement au nouvel exécutif égyptien de 12 milliards de dollars, dont 5 milliards pour l'Arabie saoudite, 4 pour le Koweït et 3 pour les Émirats arabes unis. Un geste d'autant plus vital pour Le Caire que, contrairement à l'aide occidentale versée par le biais de livraisons de matériel militaire ou d'aide aux ONG, les pétrodollars du Golfe vont directement alimenter les réserves vides de la banque centrale égyptienne.
Vendredi, le roi Abdallah a amplement justifié son soutien au Caire au nom de la "lutte contre le terrorisme, l'extrémisme et la sédition", autrement dit les Frères musulmans. Une prise de position rare pour un pays à la diplomatie habituellement plus feutrée. Grands partenaires de l'Égypte sous l'ancien régime au nom de l'axe sunnite pro-américain Riyad-Le Caire, les Saoudiens n'ont pas digéré le renversement de leur "ami Moubarak" à la suite de la révolution du 25 janvier.
Washington ami des Frères
"La chute du raïs a constitué un véritable traumatisme en Arabie saoudite, car les États-Unis ont lâché Moubarak pour se rapprocher par la suite des Frères musulmans", note le politologue et consultant Karim Sader (1), spécialiste des monarchies du Golfe. Guidés par leur pragmatisme politique, les Américains se sont rapidement accommodés du pouvoir frériste, d'autant plus que les islamistes étaient ultra-libéraux au niveau économique et qu'ils garantissaient la sécurité d'Israël. Un véritable camouflet pour Riyad qui cultive une aversion historique pour la confrérie islamiste.
"Les Frères musulmans constituant un mouvement islamiste jugé déstabilisateur par son potentiel révolutionnaire, ils étaient capables à terme de contester la logique dynastique dans les pays du Golfe", explique au Point.fr David Rigoulet-Roze (2), chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (Ifas). Peuplée de 28 millions d'habitants, l'Arabie saoudite, une monarchie islamiste absolue fondée officiellement en 1932 et dirigée depuis par la dynastie Saoud, n'a pas été épargnée par les soubresauts du Printemps arabe.
Crainte de contagion
L'est du pays, riche en pétrole, a été le théâtre en 2011 de manifestations des chiites, population minoritaire dans le pays (10 %), exigeant la fin des discriminations à leur encontre. Mais elles ont été étouffées par une vaste répression policière qui a fait neuf morts. L'arrestation, en juillet 2012, d'un dignitaire chiite prônant la scission des région chiites pétrolifères de Qatif et d'Al-Hassa a toutefois relancé la contestation. Quant aux 90 % de sunnites qui peuplent le royaume, ils sont majoritairement jeunes, politisés et ne bénéficient que trop peu du reversement de la manne pétrolière. "Tous les ingrédients d'un Printemps sont réunis en Arabie saoudite", souligne le politologue Karim Sader.
Voilà pourquoi l'intervention de l'armée égyptienne, sous couvert d'une révolution populaire, a été accueillie à bras ouverts par Riyad. Premier pays à féliciter le nouveau président égyptien de transition, Adly Mansour, l'Arabie saoudite a rapidement usé du même vocabulaire belliqueux que l'armée à l'encontre des manifestants islamistes. Le prince Saoud al-Fayçal les accuse notamment d'"avoir incendié des bâtiments publics, amassé des armes et utilisé des femmes et des enfants comme boucliers humains dans une tentative de gagner les faveurs de l'opinion publique". Il est vrai que le nouvel homme fort du pays, le général Abdel Fattah al-Sissi, est un ancien attaché militaire égyptien en Arabie saoudite.
Embarras du Qatar
L'élimination politique des Frères musulmans a été saluée par l'ensemble des pétromonarchies du Golfe, à l'exception notable du Qatar, qui a accueilli les événements avec circonspection. C'est que l'émirat n'a pas ménagé ses efforts pour soutenir les islamistes "modérés" arrivés au pouvoir au lendemain du Printemps arabe. "Outre la connivence idéologique entre cette formation et une partie l'appareil d'État du Qatar, les Frères musulmans présentaient l'avantage d'avoir la légitimité des urnes", explique Nabil Ennasri (3), doctorant spécialiste du Qatar à l'université d'Aix-en-Provence. "Doha avait compris que ce mouvement devenait l'épicentre de la vie politique de beaucoup de pays arabes et qu'il valait donc mieux jeter les bases d'une coordination mutuellement profitable."
Très vite, Doha a gratifié les Frères d'une aide de 7 milliards de dollars. Car, contrairement au royaume wahhabite, le conservateur émirat gazier, avec ses 220 000 nationaux totalement dépolitisés, ne risquait pas d'être à son tour contaminé par la vague révolutionnaire frériste. S'il n'est pas allé jusqu'à dénoncer un "coup d'État" à la destitution de Morsi, Doha a en revanche condamné l'"usage excessif de la force" contre les partisans islamistes aux abords de la mosquée Rabaa al-Adaweya, qui a fait il y a une semaine au moins 578 morts et plus de 3 500 blessés.
Erdogan seul au monde
"Le Qatar se retrouve dans une position délicate, car il ne peut abandonner les Frères, sur lesquels il a engagé de l'argent, mais il n'a pas les moyens de s'opposer à l'Arabie saoudite", souligne le politologue Karim Sader. "L'émirat rompt ainsi avec sa diplomatie agressive et retrouve sa position passée de médiateur, sous l'impulsion du nouvel émir Tamim ben Hamad al-Thani". Avec la chute du pouvoir islamiste, l'Arabie saoudite tient en tout cas sa revanche sur son rival qatari. "En brisant la transition des Frères, les pétromonarchies ont converti la dynamique révolutionnaire du Printemps arabe sous forme de logique contre-révolutionnaire", estime le chercheur David Rigoulet-Roze. Le seul pays sunnite à avoir osé tenir tête à Riyad n'est pas arabe, c'est la Turquie.
Depuis l'éviction de la confrérie islamiste dont est issu son parti, Recep Tayyip Erdogan n'a de cesse de fustiger l'inaction internationale face au "massacre" en Égypte, quitte à provoquer une crise de leadership au sein du monde sunnite. Dimanche, le président turc est allé jusqu'à affirmer qu'il n'y avait "aucune différence" entre le chef de l'armée Abdel Fattah al-Sissi et Bachar el-Assad.
(1) Karim Sader, contributeur du dernier numéro de la revue Confluences Méditerranée intitulé Qatar : jusqu'où ? (éditions l'Harmattan).
(2) David Rigoulet-Roze, auteur de Géopolitique de l'Arabie saoudite (éditions Armand Colin) et de L'Iran pluriel (éditions L'Harmattan).
(3) Nabil Ennasri, auteur de L'énigme du Qatar (éditions Iris).