PAGES PROLETARIENNES

samedi 17 août 2013

EGYPTE: GUERRE DE CASTES CONTRE GUERRE DE CLASSE

Les camarades du PCI ont été plus rapides pour publier leur prise de position ci-dessous, avec laquelle je suis globalement d'accord. Cependant les graves événements en cours posent la nécessité d'une réflexion plus approfondie où la lutte de classes n'est peut-être pas aussi prépondérante que ne le mettent en avant ces camarades. Je reviendrai sur les questions soulevées par cette sorte de lutte de castes (caste militaire contre castes religieuses, islamistes, coptes, etc.) qui a pris le dessus sur le simple binôme hypocrite démocratie versus dictature. Le coup d'Etat qui a mis fin à la mystification électorale en écartant les incapables arriérés, a obtenu le soutien de la petite bourgeoisie des zones urbaines, ce qui n'en fait pas pour autant une aile "progressiste" de la bourgeoisie dans l'impasse de la crise mondiale. Au même moment les massacres qui n'en finissent pas en Syrie semblent trouver un même écho en Egypte dans le sens d'une "partition civile"(guerre civile ne veut plus rien dire dans le foutoir généralisé) en deux camps étrangers au prolétariat. Vu la répercussion mondiale de ces graves événements, et la propension à comparer l'islamisme rampant partout à une cinquième colonne, il nous faudra relire Bilan sur les leçons de la guerre d'Espagne et éviter les comparaisons simplistes avec le pronunciamento de Franco en 1936, mais force est de noter la proximité idéologique du binôme fascisme/antifascisme et islamisme/démocratie (même si chaque camp traite l'autre de "fâchiste"). Fin de révolution de jasmin pour les ténors inconstants, inconsistants et qui se gourent toujours de la médiacratie internationale, ou surtout de plus en plus perte de contrôle de Washington malgré sa tentative de jouer le carte "islamophile" révélant qu'il n'est pas possible de s'accommoder des castes totalitaires islamiques (qui envoient leurs partisans arriérés au casse-pipe), autant de questions auxquelles il faudra répondre dans le déroulement des événements. (JLR)

 

 

Massacre  de manifestants Islamistes en Egypte

La seule voie pour les prolétaires est la lutte indépendante de classe et non la confiance dans l'Armée bourgeoise !


Prés de 500 tués en Egypte selon les chiffres officiels (plus de 2000 selon les Frères Musulmans), rétablissement de la loi d'urgence (abrogée en 2012 après avoir été en vigueur pendant 60 ans), déclarations du ministre de l'intérieur selon lesquelles la «sécurité» serait rétablie telle qu'elle existait avant la chute de Moubarak, tel est le premier bilan de la bestiale l'intervention de l'Armée le 14 août. Alors que certains avaient vu dans le renversement du gouvernement Morsi une «nouvelle étape de la révolution», ou que d'autres s'imaginent que la répression ne touchera que les Frères Musulmans, l'Armée a voulu démontrer par le massacre de manifestants islamistes qu'elle entend à tout prix renforcer le talon de fer de l'ordre bourgeois. Morsi n'y arrivant pas, il a été balayé et ses partisans refusant de se soumettre à l'Armée ont été écrasés dans le sang. Que les prolétaires égyptiens ne s'y trompent pas: ils sont dans la ligne de mire des tueurs militaires!
La destitution du président égyptien Morsi (qui jusqu'au bout se croyait soutenu par les Américains) (1), oecuméniquement bénie par le Patriarche Copte et le Recteur de la Mosquée Al-Azhar, avait été saluée chaleureusement par la bourse du Caire qui s'est envolée de 7% – la plus forte hausse depuis... la victoire électorale de Morsi! C'est la démonstration de la déception des capitalistes devant l'incapacité du gouvernement des Frères Musulmans à résoudre les graves problèmes du pays. Elle a aussi été applaudie bruyamment par l'Arabie Saoudite et les monarchies pétrolières du Golfe, et, discrètement, par Israël. Les premières ont promis sans attendre à l'Egypte, qui en a cruellement besoin, une aide financière de 12 milliards de dollars; quand au second il s'est félicité que l'Armée égyptienne ait remis en place le blocus de la bande de Gaza et il a autorisé le déploiement de troupes égyptiennes dans le Sinaï pour y «rétablir l'ordre».
 Après de laborieuses négociations, un gouvernement provisoire avait été formé au Caire; le parti salafiste Al Nour (extrême-droite islamiste), le deuxième parti au parlement, qui avait rejoint depuis des semaines les opposants aux Frères Musulmans, s'est opposé à la nomination soutenue par les partis laïques du démocrate El Baradei, jugé trop «laïc», au poste de premier ministre: on avait donc créé pour lui un poste honorifique de «vice-président» (dont il a démissionné après les massacres du 14 août).
 Le nouveau gouvernement illustre parfaitement l'orientation des forces qui, sur la vague des manifestations, ont été les auteurs du renversement de Morsi. Soutenu par les partis bourgeois démocrates «de gauche», il comporte, outre des politiciens traditionnels, y compris de l'époque de Moubarak, d'anciens ministres, à commencer par le ministre de la Défense, le général Al Sissi, auteur du coup, et le ministre de l'Intérieur, pourtant dénoncé pour la brutalité de la police qu'il dirige. Le message était clair: la répression et les mesures antisociales demandées par les capitalistes vont continuer et s'accroître. Habilement, les Salafistes n'ont pas voulu participer à ce gouvernement qui ne tardera pas à décevoir les attentes des masses; ils se préparent à détourner l'inévitable mécontentement vers leurs impasses réactionnaires.
Malgré la répression sanglante qu'ils ont subie, les Frères Musulmans paraissaient avoir encaissé le choc; ils étaient capables de mobiliser des dizaines de milliers de manifestants au Caire derrière le drapeau de la démocratie bafouée affichant une résistance inattendue aux militaires. Ils se présentent à la bourgeoisie égyptienne et à l'impérialisme comme un recours possible en cas d'échec, prévisible, du gouvernement actuel. Si les négociations qui se sont déroulées en coulisses entre eux et l'Armée n'ont pas abouti, l'impérialisme poussera à leur reprise, tant les Américains que les Européens redoutent que la sanglante répression militaire ne débouche sur une longue période de troubles (2).

Mais la clé de l'évolution de la situation se trouve dans les réactions ouvrières.

Dès le renversement de Morsi, la Fédération Egyptienne des Syndicats Indépendants appelait à la fin des grèves, écrivant dans un communiqué que «les héros des grèves doivent devenir les héros du travail et de la production» (3)! Lors de la formation du gouvernement, le président de cette Fédération de larbins du capitalisme a été nommé Ministre du Travail...
La FESI s'est constituée après la chute de Moubarak en alternative aux anciens syndicats officiels de la Fédération Syndicale Egyptienne honnis par les travailleurs (la FSE existe toujours et elle a évidemment également appelé à suspendre les grèves, pour un an, et appelé les travailleurs à soutenir le nouveau gouvernement). Il ne s'agit en rien d'une organisation indépendante de classe; ses cadres viennent de la FSE et sa constitution a reçu l'aide de l'impérialisme américain par l'intermédiaire de l'AFL-CIO (centrale syndicale régulièrement utilisée par la CIA pour ses activités à l'étranger); les premières pierres en avaient été posées avant même la chute de Moubarak pour tenter de contrôler l'agitation ouvrière.
Mais les appels de la FESI n'ont pas eu le succès escompté. Une nouvelle vague de grèves a éclaté, principalement dans l'industrie textile, mais aussi dans d'autres secteurs. La plupart de ces grèves se mènent en dehors des syndicats et la méfiance des ouvriers envers les partis politiques existants est soulignée par les journaux égyptiens. Le 31 juillet les travailleurs de l'entreprise textile géante Misr Spinning , qui fait un peu office de centre de la lutte ouvrière à Mahalla (nord de l'Egypte), faisaient reculer la direction: au bout de quelque heures de grève elle acceptait de maintenir les congés de l'Aïd et le paiement d'une prime; parmi les revendications il y avait aussi la dissolution du syndicat officiel (FSE) dans l'usine qui est dirigé par la Sécurité d'Etat. Selon la presse, les ouvriers agiteraient la menace d'une grève générale contre le nouveau gouvernement, accusé de suivre la même politique anti-ouvrière que Moubarak et Morsi.
La lutte des prolétaires égyptiens contre le capitalisme et toutes les forces bourgeoises qui le défendent, Islamistes, Armée ou autres ne fait que commencer. Cette lutte est celle des prolétaires du monde entier!

Parti Communiste International,  15/8/2013

www.pcint.org

(1) Le Monde du 6 juillet a publié un  échange de Morsi avec Al Sissi qui lui annonçait son éviction, où le premier croit pouvoir affirmer que les Américains ne toléreraient pas son renversement. Et quand Morsi dit au général que c'est lui qui l'a nommé et qu'il peut le révoquer, Al Sissi répond que c'était en réalité l'Armée qui l'avait désigné. cf http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/07/06/egypte-un-coup-d-etat-prepare-a-l-avance-par-les-militaires_3443524_3212.html.
(2) Les Etats-Unis étaient inévitablement au courant du coup d'Etat en préparation et ils lui ont donné le feu vert en laissant tomber Morsi, ; ils exerçaient cependant publiquement des pressions sur les militaires (suspension de certaines livraisons d'armes) pour favoriser des négociations avec les Frères Musulmans. Le quotidien de la finance américaine, le Wall Street Journal, parlait sans rire dans son n° du 29/7 d'une «différence philosophique» entre Washington et Le Caire sur la façon de traiter ces derniers; en fait de philosophie, il s'agit pour les Américains de maintenir leurs contacts avec les Frères de façon à pouvoir si nécessaire jouer cette carte pour défendre la stabilité du pays en même temps que leurs intérêts.
(3) cf http://english.al-akhbar.com/node/16585