« Le marxisme est une conception révolutionnaire du monde qui doit toujours lutter pour des connaissances nouvelles, qui ne hait rien autant que la pétrification dans des formes valables dans le passé et qui conserve le meilleur de sa force vivante dans le cliquetis d'armes spirituel de l'auto-critique et dans les foudres et éclairs de l'histoire ». Rosa Luxemburg
PAGES PROLETARIENNES
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vendredi 14 décembre 2012
mercredi 12 décembre 2012
UN TRAVAIL DE FAINEANT SUR LA GAUCHE ITALIENNE
L’épicerie
Coleman & Cie :
Dans sa boutique hétéroclite, outre ses œuvres complètes
recompilées régulièrement, Y.Coleman aura publié autant ses observations sur
les modes gauchistes en adepte de l’idéologie libertaire démocratique,
libertaire et sermonneuse : Voltairine de Cleyre, un certain Goldner, puis
Munis et enfin Michel Roger. On peut s’interroger sur la trajectoire de sa
boutique « sans patrie ni frontières » comme long monologue « mondialiste »
bcbg, qui finit par être intéressé - en fin de parcours trotskyste puis
gauchiste rangé des voitures – à publier les « sorcières » de l’introuvable
et innommable « Gauche communiste », rangée jadis dans l’ultra-gauche
souffreteuse, et qu’il eût mieux convenu d’identifier plus tôt comme maximaliste
prolétarienne.
Toujours marqué par sa formation à LO (… de rose),
Coleman a commencé en 2002 sa carrière d’épicier marginal du gauchisme décati
en nous promettant de nous concocter un ragoût d’anarchisme et de marxisme. Il
a tant touillé sa pauvre recette marxiste mal apprise, avec une condescendance
hautaine de maître-queue, que la sauce en est devenue peu ragoûtante. Il a
longtemps posé au commissaire politique obsédé par l’antisémitisme (c’est
encore à cette aune qu’il adoube dans son placard introductif le classeur « gauche italienne ») ;
les groupes concernés avaient bien besoin que monsieur le juge es gauchisme
bienséant vienne pardonner des calomnies lointaines ! Il se prend au
demeurant pour un dinosaure du gauchisme sous formol et spécialiste méconnu de
tous les autres groupes hors parlement vitrifiés par son congélateur
néolithique. Il est jaloux du pitre Bourseiller, parvenu qui lui a ravi la
place honorifique de pro de la marge gauchiste à Sciences Po. S’il savait le
pauvre les merdes peu prestigieuses qui sont enseignées par les nuls de cet
antre bourgeoise !
Besoin de reconnaissance ? Ajouter une corde de plus à son arc éditorial
artisanal ? Tout cela certainement mais aussi à ranger cette « gauche
communiste » sur le même rayon que les groupes gauchistes qu’il a épinglé,
parfois avec pertinence concernant leur bêtise, jamais du point de vue
révolutionnaire prolétarien. Dans sa présentation il classe donc cette « Gauche
communiste » dans son bazar pour « lectrices et lecteurs » (n’oubliez
pas l’abonnement…) et ajoutant une insanité de son cru boutiquier, ce zèbre « révèle »
que « les questions qui préoccupent altermondialistes et indignés et
surtout les ouvriers et les exploités en lutte (hic !)… étaient déjà l’objet
de rudes débats ». D’emblée notre épicier du gauchisme en boite et au kilo
rabaisse les questions politiques du mouvement communiste prolétarien du passé
au niveau de l’agitation fougueuse et désordonnée de la petite bourgeoisie
mondiale sans tête et à la queue de toutes les modes contestataires bourgeoises.
Il est vrai que le père putatif de Coleman se nomme S. Hessel !
Michel Roger, pressé de rééditer sa thèse de 1980, n’a
pas réfléchi au deal pervers du boutiquier à géométrie politique invariable de
petit bourge oecuménique qui « vise à faire connaître des individus, des
textes, des groupes… qui ont marqué et qui marquent le mouvement
révolutionnaire» (quelle prétention et fausse modestie!). Franchement, il
n’y a rien à attendre de ce genre de lilliputienne édition à compte d’auteur,
le web et des dizaines de livres, et des centaines d’articles de groupes
politiques sérieux fournissent tout ce qu’il est nécessaire de savoir sur le « principal
courant révolutionnaire marxiste » du XXe siècle ! Coleman ajoute sa
propre confusion et ignorance en qualifiant la « Gauche communiste »
de bordiguiste, façon très… trotskienne d’enterrer encore ce courant
internationaliste qu’il serait dérisoire de limiter à l’apport du seul Bordiga,
comme le démontre par après l’auteur dans sa description vivante des multiples
acteurs de ce courant, pas nécessairement tous italiens ni intellectuels.
Coleman s’est dépêché également de publier Munis de la même manière, et pour
les mêmes raisons, les idéologies gauchistes étant liquéfiées – plus d’essais
ni de comptines ne paraissent en librairie de ces Marie souillon de la
révolution - ; comme l’anarchisme ce ne sont plus que des scories des
modes bourgeoises, alors les fureteurs de politique déviante ou cadenassée
viennent rôder vers les vrais écrits révolutionnaires, toujours subversifs,
pour épicer à nouveau leur commerce.
Comme l’argent certains disent que l’édition n’a pas d’odeur.
Ce n’est pas plus vrai que pour l’argent.
Les idées révolutionnaires ne sont pas monnayables au profit de rad-socs,
faux radicaux confusionnistes et hautains, dont le niveau de conscience « mondialiste »
équivaut à celui d’un magazine bourgeois comme Marianne.
REEDITION D’UNE
VIELLE THESE
L’ouvrage qui est reproduit souffre de cet « encadrement »
bien sûr. De plus il est daté, alors que bien d’autres documents et réflexions
sont venus enrichir l’histoire, pour ne pas dire « les histoires » de
la « Gauche communiste », non limitable aux seuls révolutionnaires
italiens en émigration après avoir échappé au fascisme. Dans les premières
pages, l’auteur aurait faire l’effort de rewriter sur la question du
maximalisme, notion qui n’apparaît pas clairement ; celle-ci ne
caractérise pas simplement une aile réformiste radicale du parti socialiste
italien comme le croit certains avec simplisme, mais dépeint la réelle position
intransigeante de la « Gauche communiste historique » de Rosa
Luxemburg à Bordiga.
Dans l’ensemble sur le plan factuel et chronologique,
la thèse de Roger reste valable et la conclusion, apparemment rewritée et
allongée, est excellente. Le livre reste une mine d’or pour néophyte, au
surplus agrémenté de photographies, qui permettent toujours d’éliminer l’anonymat
abstrait et de rendre visage humains à ces « terribles révolutionnaires »,
qui peuvent poser nonchalamment sur l’herbe de la fête de l’Huma (d’une époque
héroïque pas frites-merguez-Lavilliers). M.Roger peut être qualifié comme un
historien de référence pour les nombreux ouvrages qu’il a réalisé sur le
mouvement révolutionnaire moderne (Gauches révolutionnaires belge, russe,
française, etc.). Concernant une approche actualisée, plus en prise sur le vide
révolutionnaire actuel, un autre travail eût été nécessaire en gardant les
paragraphes les plus solides et les documents, mais à partir d’un type
questionnement qui pose d’emblée le pourquoi de l’étiolement de toute cette
école historique alors que ses conclusions n’ont jamais été autant d’actualité
et en perspective pour le prolétariat mondial moderne. La thèse reste valable
contre les racontars concernant Gramsci qui fût longtemps aux côtés de Bordiga
avant de diverger lors de la bolchévisation ; Gramsci est salué d’ailleurs
à sa mort par Bilan comme un compagnon de combat.
J’ai déjà dit les faiblesses du passage sur l’histoire
de l’émigration italienne, qui renvoie à une autre époque du prolétariat (Etat
national faible, dominante agraire, persécutions fasciste et stalinienne,
etc.), causalités qui n’ont plus les mêmes conséquences : dès les années
post 68, ce n’est pas la glorieuse tradition « Gauche italienne » qui
triomphe en Italie mais tous les bâtards du gauchisme et du terrorisme. Et,
malgré une courte embellie dans les 70, les groupes internationalistes italiens
périclitent à un niveau inférieur à celui où ils en étaient du vivant des
Bordiga et Damen.
La thèse comporte des faiblesses (dûes à sa
présentation universitaire) et que l’auteur aurait pu corriger ; ainsi il
ne se prononce pas sur la nécessité de fonder la 3ème
Internationale, ou en tout cas cela reste vague p.57). La thèse présentait déjà
un aspect plus humain que les rébarbatives versions de groupes en s’attachant à
restituer la dimension individuelle des combattants. Ottorino Perrone est ainsi
remis à sa juste place… avec ses ennuis pulmonaires non précisés (tabagie et alcool).
Les approximations pour expliquer le cas Ambrogi – possible balance du GPU et
de la police italienne – trébuchent sur l’incomplétude (p.112) : il faut
savoir que ceux qui eurent « un fil à la patte » étaient l’objet de
chantages cruels (femmes et enfants pris en otages par les sbires staliniens ou
fascistes » ; rien que pour cela, ce furent des années plus terribles
que celles que nous vivons, et qui doivent relativiser les critiques faciles
concernant des militants au glorieux et courageux passé. Il eût été utile de
préciser que le successeur de la Tchéka n’était pas encore un simple organisme
de répression policière mais encore prétendait… défendre la révolution avec l’aide
des camarades étrangers, pour finir par torturer et éliminer physiquement les
opposants au nom de la … défense de la révolution (comme les islamistes
égyptiens et tunisiens… mais sans révolution eux).
Entre parenthèses, il me semble qu’il y a une
confusion à deux reprises sur les noms de Virgilio Verdaro et Arnaldo Silva (p.
105).
La deuxième partie sur l’espoir de régénérer les
partis communistes souffre aussi de son absence d’actualisation, notamment
parce qu’il y a eu de nombreux débats (en particulier dans le CCI) qui ont
approfondi cette question. Concernant « le paon » Trotsky, les choses
ne sont pas très claires. Michel qui nous avait fait connaître l’excellent
livre de Verreken (qui défend la thèse d’un Trotsky mal entouré) penche plutôt
pour un Trotsky autocrate, magouilleur et infâme, ce qui n’était pas son avis
après les années 80. Du reste je m’interroge par contre encore comment un
ministre d’Etat « prolétarien », fusilleur à Kronstadt, a pu
connaître une telle célébrité et une telle admiration par la jeunesse petite bourgeoise
occidentale. En tout cas il se comporte comme un salaud de mauvaise foi avec
les italiens qui l’ont pourtant courageusement soutenu face à Staline ; « le
paon » était-il plus « nationaliste » donc que les italiens en
se couchant devant Staline les premiers temps ?
Le comportement outrancier des oppositionnels
trotskystes vis-à-vis de la « gauche italienne », très « grands-russiens »
au fond pose le problème de l’attitude d’un groupe dominant aux époques de
dispersion du parti mondial de la révolution, l’argument d’autorité qui veut
imposer la sujétion n’est que le signe avant-coureur de l’opportunisme
organisationnel trotskyste qui précède le soutien aux positions bourgeoises
(front unique avec la social-démocratie, antifascisme, etc.). M.Roger aurait pu
être explicite sur « le groupe juif » oppositionnel, qui avait
déchaîné l’ire des communistes italiens, ce groupe apparaît incongru (pourquoi
pas un groupe de barbiers ?) mais il a une histoire et des positions
politiques étonnamment claires (cf. mes ouvrages sur Marc Laverne).
La troisième partie sur la création de la fraction
émigrée avec Bilan est confuse, (p.184 en particulier), pas très claire, plutôt
du genre conseilliste attardée sur la question de la conscience apportée de l’extérieur,
faisant dire à Lénine ce qu’il ne dit pas, et Michel avait eu l’occasion d’éclaircir
cette question dans le CCI encore valide. Sur le moment de la guerre d’Espagne,
il n’y a rien à redire, tout est bien analysé ; y compris cette excellent
remarque, contre tous les cinglés accrocs aux armes, que l’échec était certain
sur le plan militaire et que les armes ne remplacent pas la lutte prioritaire
sur le « front de classe ». La description de la militarisation des
anars et des ouvriers par l’Etat bourgeois républicain est une douche froide
pour tous les fans de la mythique « guerre révolutionnaire » !
Enfin la quatrième partie souffre plus encore du
manque d’enrichissement des travaux parus depuis trente ans, d’abord l’Histoire
de la Gauche par Bordiga soi-même (indispensable et très éclairant), le livre
de Damen, différents mémoires de maîtrise et surtout l’excellent travail de
mémorialiste de Lucien Laugier sorti du caveau par la revue Tempus Fugit (et d’autres
textes concernant la « Gauche » italienne et internationale). Idem
sur les RKD, M.Roger disposait d’une documentation plus riche qu’en 1980.
Enfin, comme le constate Daniel Mothé (interview in
Tempus Fugit), il n’y avait pratiquement pas d’ouvriers à la direction des
partis oppositionnels, trotskystes et italiens. M.Roger sanctifie parfois un
peu trop, il ne sert pas la vérité historique du mouvement révolutionnaire en
disant que la « Gauche italienne » n’était constituée que d’ouvriers.
Les soldats ouvriers furent nombreux des années 30 aux années 40, après guerre il
resta plus de chefs, intellectuels professionnels, que de soldats ; la
rédaction de Bilan n’était constituée que de grands intellectuels et de
collaborateurs aux développements souvent adipeux. Et c’est toujours le cas
pour les héritiers. Hélas.
Le livre peut-être commandé directement à yvescoleman@wanadoo.fr, ou en particulier à la librairie Le point du jour, 58 rue Gay-Lussac, 5e Paris.
dimanche 9 décembre 2012
UN MAXIMALISME INDESTRUCTIBLE
(extrait du chapitre 3 de mon livre le plus vendu: Histoire du maximalisme, notion qui est enfin reconnue par les groupes politiques honnêtes que la bourgeoisie et le stalinisme dénigraient naguère comme "ultra-gauches", sauf le CCI avachi). Je reprends ce passage de mon livre pour montrer que contrairement à l'analyse superficielle de M.Roger la particularité du mouvement révolutionnaire prolétarien issu d'Italie, qui en fait le plus grand continuateur de Marx et de l'Internationale communiste, ne s'explique pas par une "tradition d'émigration" et "une forte pression démographique", explications de type tautologie sociologique. J'ai souligné dans plusieurs de mes livres qu'il faut rechercher plus la causalité de cette transhumance italienne vers le monde entier comme la conséquence de l'unification nationale tardive, une faible industrialisation par rapport aux autres pays européens. De plus les italiens se sont toujours plus ou moins vantés d'avoir perdu toutes leurs guerres... Sacrés italiens! En réalité c'est cette situation atypique d'émigration de pays agricole, comparée aux prolétariats autochtones peu migrants, qui plaçait directement les prolétaires italiens à l'échelle d'une vision internationale des rapports de classe, qui explique l'apparition d'une "Gauche italienne" internationaliste aussi pointue théoriquement comme d'un prolétariat immigré porteur de l'idée révolutionnaire contrairement à nos immigrés modernes porteurs de leur misère religieuse.
LES MAXIMALISTES ITALIENS NOUVEAUX JUIFS MODERNES?
M.Roger n'a pratiquement pas utilisé les sources fiables et autrement impliquées du militant et mémorialiste Lucien Laugier, proche compagnon du Bordiga des dernières années, qui explkque bien cette spécificité de l'émigration italienne sur laquelle Bordiga a peu réfléchi (sur ce point M.Roger a raison, le personnage important finalement c'est l'immigré O.Perrone):
"(...) dans tout l'entier mouvement communiste, les révolutionnaires qui ne capitulent pas devant Staline et réussissent à échapper à l'élimination physique sont naturellement portés à se regrouper sur le plan international. Les bordiguistes adoptent dans le même champ d'action : non plus le seul PC d'Italie, mais toute l’Internationale.
Phénomène comparable à "l'exception russe de 1917" (pour les marxistes orthodoxes qui espéraient le début de révolution à partir d'un pays industrialisé), la constitution d'une "fraction maximaliste révolutionnaire" italienne à l'étranger - interdite et pourchassée en Italie fasciste - confirme la capacité historique du prolétariat à réaffirmer la théorie marxiste dans les pires "terribles années" (on a donc très honte de l'isolement autistique des mini-fractions de notre confortable aujourd'hui). Allez, je tente une image: tenter d'interdire à la théorie révolutionnaire de se développer dans les années 1930, c'est comme lorsque vous comprimez un ballon d'enfant rempli d'eau, il éclate ou bien l'eau finit de toute manière par s'échapper par un orifice. Invariante la théorie maximaliste? Non, indestructible dans la mesure où elle se développe par-dessus les frontières nationales et bannit tout drapeau national dans les manifestations contre les Etats oppresseurs. Une leçon dont devraient s'inspirer nos frères de classe dans les pays arabes où la lutte repointe son nez, contre les couches petites bourgeoises nationalo-démocratiques.
LES MAXIMALISTES ITALIENS NOUVEAUX JUIFS MODERNES?
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"(...) dans tout l'entier mouvement communiste, les révolutionnaires qui ne capitulent pas devant Staline et réussissent à échapper à l'élimination physique sont naturellement portés à se regrouper sur le plan international. Les bordiguistes adoptent dans le même champ d'action : non plus le seul PC d'Italie, mais toute l’Internationale.
Bordiga,
au sixième Exécutif élargi de 1926, et dans une déclaration que reproduit en
partie la brochure du Courant communiste international, avait souligné cette
vocation des militants de gauche du communisme italien, voués, par leur
appartenance à une nation traditionnelle d'émigrés, à essaimer en divers points
du monde : « il nous arrive un peu comme aux hébreux : si nous avons été battus
en Italie, nous pouvons nous consoler en pensant que les hébreux aussi, sont
forts non en Palestine mais ailleurs». (Page 42) Aucune vantardise dans cette
affirmation. Les « bordiguistes » à cette époque, détiennent la majorité
parmi les Italiens émigrés en France et en Belgique. La brochure explique
longuement cette prépondérance. Avant 1926, dans l'émigration italienne
politisée qui s'est affiliée au PCF, il y a environ un millier de partisans de
Bordiga. Le chiffre tombe rapidement après le congrès de Lyon (cf. première
partie) qui enlève la majorité aux « bordiguistes » ; mais la centaine ou plus
(mais 200 au maximum) de militants qui sont restés fidèles à Bordiga est
composée des plus actifs, les plus jeunes, ouvriers pour la presque totalité,
aguerris et habitués à la clandestinité par la lutte contre les fascistes. Ils
sont organisés, structurés, imprégnés d'un esprit de fidélité aux principes
qu'on ne rencontre habituellement pas dans les autres PC occidentaux de
l'époque et surtout pas dans le PCF.
Le
refus de rompre avec l’I.C. s'est toujours donné à leurs yeux une raison
théorique, et cette raison, qu'elle ait été fondée ou non, donnera toujours à
la gauche italienne émigrée une constance qui, pour le lecteur actuel, se
traduit par une image d'intransigeance et de continuité qui ressort davantage
encore si on la compare à celle que laissent les mésaventures du Trotskisme à
la même époque".(cf. Mon livre sur Laugier et S ou B, + les écrits de Laugier sortis de l'ouli par la revue Tempus Fugit). (et reportez-vous sur mon deuxième blog, Archives maximalistes, pour lire le texte du postier magnifique Laugier : La gauche italienne dans l'émigration.
Phénomène comparable à "l'exception russe de 1917" (pour les marxistes orthodoxes qui espéraient le début de révolution à partir d'un pays industrialisé), la constitution d'une "fraction maximaliste révolutionnaire" italienne à l'étranger - interdite et pourchassée en Italie fasciste - confirme la capacité historique du prolétariat à réaffirmer la théorie marxiste dans les pires "terribles années" (on a donc très honte de l'isolement autistique des mini-fractions de notre confortable aujourd'hui). Allez, je tente une image: tenter d'interdire à la théorie révolutionnaire de se développer dans les années 1930, c'est comme lorsque vous comprimez un ballon d'enfant rempli d'eau, il éclate ou bien l'eau finit de toute manière par s'échapper par un orifice. Invariante la théorie maximaliste? Non, indestructible dans la mesure où elle se développe par-dessus les frontières nationales et bannit tout drapeau national dans les manifestations contre les Etats oppresseurs. Une leçon dont devraient s'inspirer nos frères de classe dans les pays arabes où la lutte repointe son nez, contre les couches petites bourgeoises nationalo-démocratiques.
VICTOIRE
PARTIELLE DU FASCISME ET DEFAITE DE LA GAUCHE ITALIENNE
Le
milieu des années 1920 confirme qu’on se trouve au début de la
contre-révolution mondiale. Tout espoir ne semble pas perdu en surface. En
Russie comme en Occident, les combattants du maximalisme communiste ne baissent
pas les bras. Malgré sa victoire électorale en Italie, le fascisme reste une
idéologie revanchiste secondaire[1]. Sa
version allemande est hésitante et encore emberlificotée dans un programme à
demi-socialiste. La théorie de la race aryenne pure ne séduit que quelques
sectes. Le programme en vingt cinq points de Hitler publié en 1920 ne peut pas
être pris au sérieux par les élites bourgeoises car il comporte pour moitié des
revendications minimum typiquement socialistes et son putsch de brasserie de
1923 n’est pas du niveau de celui de Kapp-Lütwig. L’Italie mussolinienne ne
peut pas être prise comme exemple de solution aux agitations ouvrières qui
secouent l’Europe. La bourgeoisie italienne avec son monarque a pris peur face
à la réussite de la révolution en Russie et face à l’agitation révolutionnaire
incessante en Allemagne. Les grèves de Turin lui ont fait craindre la
contagion. Les promesses parlementaires de la démocratie n’étaient pas
crédibles pour les ouvriers qui continuent à s’expatrier traditionnellement de
ce pays en retard industriel. Par chance, l’opposition des orientations ne met
pas simplement face à face socialement et économiquement prolétariat et
bourgeoisie. Le traité de Versailles a encore un goût amer pour tous les
anciens combattants. Pays sous-développé, l’Italie n’a pas attendu la crise de
29 pour voir la misère s’installer. Ce pays qui faisait partie du camp qui
avait gagné la guerre, était frustré des attentes cupides de la victoire. Il
n’avait pas obtenu satisfaction pour ses revendications coloniales. La
« victoire mutilée » avait servi de terreau à la naissance du
nationalisme fasciste contre laquelle les communistes dits
« bordiguistes » ne purent rien et où nombre d’entre eux périrent
sous les coups des escouades de « chemises noires ». L’évolution vers
la solution bourgeoise fasciste aura été étonnamment très rapide alors que le
grand mouvement des grèves de Turin avait laissé supposer l’ouverture d’une
longue période révolutionnaire.
Pour
comprendre la faiblesse du mouvement ouvrier italien à se développer, il n’est
pas possible de conserver l’argument de l’absence du parti communiste au début
du mouvement turinois. Il faut prendre en compte l’unification tardive de
l’Italie comme nation. Il faut prendre en compte l’attitude du parti socialiste
et du syndicat CGL qui s’opposèrent à la généralisation à toute l’Italie de la
lutte des ouvriers turinois, et le fait que Turin était la principale usine du
pays. Turin ne pouvait être l’usine Poutilov de la révolution italienne espérée
car, contrairement à la Russie, pourtant comparable aux niveaux du faible nombre
de centres industriels, il n’y avait plus la guerre comme
« carburant » à la révolte, et encore moins une guerre dans la
défaite. Personne à l’époque n’oubliait la grève générale du 9 novembre 1921 à
Rome pour protester contre les escouades fascistes qui avaient assassiné un
cheminot. Elle dura cinq jours jusqu’au 14 novembre ; personne n’avait pu
la faire cesser ni le gouvernement ni les fascistes à leur deuxième congrès.
La
victoire fasciste en Italie est presque
prématurée étant donné la tension sociale et politique qui subsiste en Europe
malgré l’isolement de la Russie et l’écrasement de la révolution de novembre
1919 en Allemagne. Le parti de Mussolini ne s’impose pas sans mal. S’il est
installé au pouvoir par le roi en 1922, il ne gagne sa légitimité que par les
élections de 1924 en ne se passant pas de crier sur les toits que la terreur
règne en Russie bolchévik. Son installation réelle en 1925 obéit ensuite à
trois caricatures du parti bolchévique : la dictature d’un guide suprême,
un parti unique et un système corporatif syndical qui confirme qu’aucun Etat
moderne ne peut fonctionner sans SES organes corporatifs. Dans les autres pays
européens, les vieilles aristocraties et la bourgeoisie industrielle ne croient
pas nécessaire de recourir encore à ce qui est encore nommé confusément
« l’Etat corporatif », déjà en avance pourtant sur l’Etat
oligarchique féodal et son confrère démagogue libéral par ses discours
militaristes qui se concrétiseront dix ans plus tard dans la guerre d’Abyssinie.
Cette guerre de l’impérialisme italien – étranglé par les fausses promesses de
dédommagement à la suite de la grande guerre - contre l’Ethiopie féodale, sera
elle aussi une préparation à la guerre mondiale comme la guerre en Espagne à la
même époque ; la guerre en préparation avait ainsi pour terrain principal
en devenir l’Europe et l’Afrique, donc le monde. Ce n’est aussi qu’en 1926 que
Mussolini fait voter des lois d’exception qui interdisent toute activité aux
partis divers comme à la « fraction de Gauche de l’I.C. », qui ne se
nomme donc pas à l’époque fraction de la Gauche italienne. Les communistes
maximalistes italiens exposés aux premières loges de cette expérience inédite
d’adaptation de la bourgeoisie à la crise capitaliste historique qui avait
conditionné la Première Guerre mondiale, vont tout naturellement analyser ce
phénomène d’une façon plus perspicace que toutes les autres sections de
l’Internationale communiste. C’est d’eux que proviennent d’ailleurs les
premiers rapports à l’I.C. sur la nature du fascisme ; et qui n’ont pas
pris une ride depuis lors malgré des décennies de calomnies ou l’oubli des
livres d’histoire officielle. Victoire politique posthume des meilleurs
représentants de la classe ouvrière italienne, internationaliste par essence,
puisqu’elle n’a jamais cessé de s’expatrier du fait du retard de la nation
italienne. Même vaincue et martyrisée sous le knout fasciste, elle avait
produit les meilleurs théoriciens du maximalisme communiste. Il faut toujours
considérer ce qui se passe EN MEME TEMPS au niveau mondial pour en comprendre
les conséquences dans tous les pays. Même sans les médias totalitaires
contemporains, les informations circulent alors. Après l’impact incontestable
de la révolution en Russie en 1917, ses suites dramatiques montrent qu’elle
peut devenir un MAUVAIS EXEMPLE. La répression des grèves de l’émeute des
marins de Kronstadt filtre. Plus tard, même si le traité félon de Rapallo entre
la République soviétique et l’Allemagne de Weimar n’est connu que de quelques
uns, le doute s’insinue. Qui prend garde au surplus qu’en cette même année 1922
un certain Staline est nommé secrétaire général du parti du vivant de Lénine,
non pour sa méchanceté intrinsèque mais parce qu’il est le parfait représentant
des couches intermédiaires qui ont ravi le pouvoir à la classe ouvrière ?
Dans ce contexte international incertain, la double offensive patronale et
fasciste en Italie a progressé. Nulle coalition parlementaire de gauche ne
pouvait la freiner. C’est ce que comprirent parfaitement les communistes autour
de Bordiga qui, par contre, espéraient contrer la bourgeoisie par un front
unique syndical « à la base », mais qui ne satisfaisait pas l’IC. La
victoire de Mussolini va de pair avec la défaite de Bordiga dans l’I.C.
En mars, au second congrès du
PCI, sont approuvées les « thèses de Rome » qui définissent que le
« front unique » des partis, prôné par l’I.C., dénature les thèses du
programme maximum et ne serviront ni à assurer la victoire contre le fascisme
et encore moins celle du prolétariat. Confrontés à l’ire bolchevik
opportuniste, Bordiga et la direction du PCI, posent leur démission, trop
gentiment. En parallèle à la lente progression du fascisme se déroule une
comédie tragique : la bolchévisation. Mis en minorité au niveau international,
mais pas dans le parti italien premier touché par le fascisme, Bordiga est
dégoûté et laisse la direction aux centristes suivistes de l’orientation
confusionniste de l’I.C. avec Gramsci, lui-même bientôt oublié et répudié dans
les geôles de Mussolini. Cette politique d’autorité dans les débats, de retour
en arrière pour se coaliser avec le socialisme traître de la IIème
Internationale dans un combat perdu d’avance contre une des fractions de la
bourgeoisie, et pour « coller aux masses », annonçait déjà la
bolchévisation, c'est-à-dire une politique de soumission aux désidératas de
l’I.C. Bordiga ne baisse pas la garde et il est le premier à remettre en cause
en juin 1923 la bolchévisation avec l’hérésie du projet de « gouvernement
ouvrier », croyance chez les leaders du Komintern en un nouveau
gouvernement Kerenski partout, et marche vers la prise du pouvoir des partis
communistes. Ce nouveau virage ne s’effectue pas avec galanterie mais par la
destitution de responsables et des calomnies se répandent dans les partis
affiliés au Komintern (l’I.C.). Le principal facteur de dissolution du
mouvement communiste maximaliste au niveau international n’est pas le fascisme
balbutiant mais une politique interne de dévitalisation des partis
communistes : la bolchévisation.
CONTRE
LE VIRAGE DE LA BOLCHEVISATION
Bordiga,
comme en ce qui concernait le fascisme, se porte à nouveau à l’avant-garde
théorique. Dans son texte de 1925 « La nature du parti », Bordiga
fustige la bolchévisation :
« La
manœuvre des dirigeants « bolchévisateurs » de Moscou visait à
« exercer sur les camarades ouvriers une pression démagogique pour nous
présenter comme des intellectuels qui, au sein de leur élite, méprisent les
travailleurs » (…) « La thèse des centristes est d’ailleurs démentie
par les cent faits : les chefs provenant des ouvriers eux-mêmes se sont
révélés au moins aussi capables que les intellectuels d’opportunisme et de
trahison, et, en général plus susceptibles d’être absorbés par les influences
bourgeoises… L’I.C. et le parti bolchevique, aussi après la révolution, ont eu
et ont à leur tête des intellectuels. Et notre parti, par-dessus le marché, a
une Centrale composée de professeurs et d’avocats (…) Or… si je voulais
« rigoler » et relever des allusions sur le rôle des ingénieurs, je
pourrais rappeler que, par la centralisation et la collectivisation de la
grande industrie, disparaîtront précisément les avocats et les professeurs
d’une philosophie plus ou moins idéaliste et bourgeoise et qui sont donc par
définition réactionnaires ». Bordiga explique ensuite que la
bolchévisation est un leurre où des intellectuels gardent la fonction de
liaison entre cellules… mais comme fonctionnaires du parti étatique ; des
intellectuels de l’ombre, les « nègres » écrivaient les discours des
leaders « ouvriers ». Bordiga qui sous-estime encore la soumission
demandée par l’Etat « prolétarien » russe concluait :
« Nous affirmons que l’ouvrier, dans la cellule, ne sera porté à discuter
que des questions particulières et à caractère économique intéressant les
travailleurs de l’usine donnée. L’intellectuel interviendra toujours et si ce
n’est plus avec la force de son éloquence, c’est par le monopole de l’autorité
de la Centrale du parti, pour trancher chacune et toutes les questions :
la politique du parti finissant par être confinée au corps des fonctionnaires,
caractéristique exquise d’organismes fédéralistes et opportunistes »[2]. Dans
son discours à l’Exécutif de l’I.C., Bordiga avait été net du point de vue
maximaliste: « La thèse selon laquelle un parti communiste doit être
absolument formé sur la base des lieux de travail est théoriquement fausse.
D’après Marx et Lénine, et suivant une thèse de principe connue, formulée avec
précision, la révolution n’est pas une question de forme d’organisation. Pour
résoudre le problème de la révolution, il ne suffit pas de trouver une formule
organisative. Les problèmes qui se dressent devant nous sont des problèmes de
pouvoir et non des problèmes de forme. Les marxistes ont toujours combattu les
écoles syndicalistes et semi-utopistes qui disent : rassemblez les masses
dans telle ou telle organisation, syndicat, association, etc., et la révolution
sera faite (…) « dans presque aucun
pays les cellules d’entreprise ne sont arrivées à s’occuper de problèmes politiques »
(…) « Le danger sur lequel nous attirons l’attention ne consiste pas dans
un recul de l’influence des intellectuels, mais, au contraire, dans le fait que
les ouvriers ne se préoccupent que des revendications immédiates de leur
entreprise et qu’ils ne voient pas les grands problèmes du développement
révolutionnaire général de la classe ouvrière ». En 1923, il y avait eu
plus grave que les sectes fascistes et le putsch ridicule d’Hitler,
l’écrasement de l’insurrection en Allemagne et l’occupation de la Ruhr par les
armées française et belge, du fait que l’Allemagne ne paye pas les réparations
de 1918. Après la mort de Lénine, déjà paralysé depuis plusieurs mois, l’étau
s’est resserré en Russie contre les vieux bolcheviks qui, bien que
corresponsables des dérives opportunistes représentaient toujours la volonté
internationaliste de changer le monde. Tout se précipite en 1926, la
« gauche bordiguiste » est défaite.
En janvier lors de la 3e conférence du PCI à Lyon, Bordiga a
rejeté la transformation du parti en parti de masse dans le recul (« La
bourgeoisie nous a gagné de vitesse » 1926) contre les centristes
staliniens ; ce qui confirme ce que nous avons établi au chapitre
précédent, car, de toute façon, en émigration il n’était pas possible de prétendre
être un parti de masse. Le 21 février 1926, dans une réunion à Moscou où sont
présents Trotsky, Togliatti et Staline, Bordiga charge Staline, alors que
Trotsky se tait. Il constate l’échec de la stratégie anti-fasciste propagée par
Moscou qui annonce le changement de nature des PC dans l’éloignement de la
perspective révolutionnaire. Gramsci sera lui aussi marginalisé dans sa prison
en Italie. La même année, Trotsky et Zinoviev sont exclus du parti. Trotsky
sera exilé en 1927 au moment de la cruelle collectivisation des terres. Les
nazis sont devenus le second parti au Reichstag. Au mois de juin 1926, un
décret loi du gouvernement Brühning s’attaque à la protection sociale et l’aide
aux chômeurs est diminuée de 14%. En décembre 6 millions d’allemands sont au
chômage. En novembre, aux élections législatives le parti nazi est cependant en
recul. L’opposition au stalinisme va se centrer autour de la personnalité de
Trotsky un peu partout déjà, inaugurant la personnalisation des problèmes par
les médias bourgeois modernes. Malgré ses erreurs et sa compromission dans les
répressions de l’Etat « prolétarien » Trotsky fait figure de héros,
nouveau Robespierre ou nouveau Jaurès du maximalisme communiste
« pur ». Dans plusieurs pays occidentaux des cercles se rallient à
son analyse de « l’Etat ouvrier dégénéré » en laissant de côté que
toute la révolution avait dégénéré, en restant admiratifs de
« l’exemple » russe et en ignorant les « gauches »
critiques du Komintern du vivant de Lénine, en Hollande, en Allemagne et parmi
les dérangeants communistes italiens émigrés. Profitant de l’aura du
« prophète désarmé », les adeptes de Trotsky, partisans d’un
trotskisme-léninisme bègue refuseront toute action commune au début des années 1930 avec les
« maximalistes » dits ultra-gauches.
Ils signeront ainsi leur perte pour le camp du prolétariat.
Le PCF, tout le monde le
sait maintenant, n’était pas un vrai parti communiste à sa fondation. Il
restait un parti de bureaucrates parlementaires et de francs-maçons peu
déterminés à perdre leurs privilèges et à lutter à la façon des bolcheviks.
Malgré des lessivages successifs, il n’y arrivera jamais ou plutôt sera
récupéré par la bourgeoisie sans avoir eu le temps de devenir un vrai parti
révolutionnaire. 1924 c'est l'année de la « bolchévisation » qui
donnera momentanément un coup de fouet aux partis communistes occidentaux, à la
suite de l'exemple du PC russe (100.000 nouveaux adhérents). Adopté par l'I.C.
en janvier 1924, ce "tournant" vise, en prétendant dépasser le
fonctionnement électoraliste des partis socialistes sur base de la
"section d'habitation", à réorganiser les partis communistes à partir
des "cellules d'usine" pour que celles-ci deviennent « le centre
de gravité politique et d’organisation ». C’est une hérésie de première du
point de vue marxiste, la conscience des prolétaires n’étant pas dépendante du
seul lieu de travail. Dans le
« Bulletin communiste », périodique théorique de la SFIC avant de
devenir l'organe du « Cercle communiste Marx et Lénine » de Souvarine
- qui servira de tribune à beaucoup d'exclus - le secrétaire général adjoint du
PCF, le "capitaine" Albert Treint[3]
proclame, à la suite de Zinoviev : « Enracinons le parti dans les
usines »:
« Les partis
socialistes, uniquement soucieux du but électoral, se bornent à organiser leurs
membres en sections d’habitation, qui mènent une vie somnolente et se
réveillent seulement aux approches des élections (…) Aussi les sections
socialistes offrent-elles un champ extrêmement favorable aux opérations
des petits bourgeois dits "avancés", qui, beaux parleurs, préparent
leur future candidature sans faire aucun sacrifice réel à la classe ouvrière
(...) L'utilisation dans un sens révolutionnaire des élections bourgeoises et
du parlementarisme, le fait aussi que les communistes habitent souvent loin du
lieu où ils travaillent, obligent le Parti communiste à conserver encore la
section d'habitation comme base secondaire de son organisation. Mais, de plus
en plus, la cellule communiste d'usine doit devenir la base principale du
Parti» [4]. Mise
en vogue après la mort de Lénine, qui pensait lui aussi qu’il était souhaitable
de remplir le parti d’ouvriers, cette politique d’ouvriérisme va servir de
marche-pied au stalinisme. Ce n’est pas une politique démoniaque en soi. Les
premiers bolchevisateurs naïfs croient aussi avoir trouvé la solution pour
sauver le communisme de l’étouffement. La volonté de redressement qui part du
sommet de l’I.C. et de son centre à Moscou n’est pourtant, au fond, que l'objectif
d'épurer les partis communistes, d'en extraire les militants suspects de
soutenir l'Opposition de gauche, de marcher avec Trotsky contre Staline,
Zinoviev et Kamenev. Tour à tour seront exclus les fondateurs, les meilleurs
soutiens des bolcheviks et de Lénine : Souvarine, Monatte, Rosmer, Loriot,
Dunois, Delagarde, etc. Ce premier tournant de l'histoire du PCF est couramment
présenté comme la deuxième naissance du PCF, se ressaisissant contre les
intellectuels francs-maçons à la Frossart. Treint a eu un rôle prédominant dans
cette politique opportuniste, liquidatrice, que la Gauche Italienne dénonce
déjà fermement. Voici Treint présenté par l'historien Robrieux (ex-membre du
parti stalinien moderne, rallié au PS): « Fonceur, dur, totalement dévoué,
simpliste et sincère à sa manière, marxiste d’école primaire, autoritaire,
romantique ». Sous la louange perce l'opprobe, Robrieux a surtout pris ses
sources chez le vieux Souvarine aigri qui lui a légué son antipathie pour
Treint. Selon Jean Rabaut, Treint n’est « ni un lâche ni un carriériste,
ni un vulgaire client des puissants ». Mais nous ne sommes pas là pour
personnaliser l'histoire comme le font les historiens bourgeois. Treint s'est
fait l'instrument d'une politique opportuniste qui ne pouvait que tirer en
arrière et participer de la régression de l'I.C. La direction de l'IC suivie
par Treint en particulier favorisait la mise en place d'un encadrement
néo-syndicaliste sur la base de l'usine : « Ainsi, c’est par le jeu même
du système de production capitaliste que la cellule communiste d’usine
constitue l’organisme du parti ayant le contact journalier, prolongé et
plusieurs heures durant avec la totalité de la classe ouvrière… La cellule
communiste d'usine doit par tous les moyens...utiliser ce meeting quotidien de
production capitaliste pour en faire un meeting d'agitation communiste et de
préparation révolutionnaire» (Treint, op.cit.). C'est le même repli sur l'usine
qui est encouragé par les révolutionnaires "conseillistes" en
Allemagne. En fait, repli sur l'usine ou confusion de la cellule de parti avec
le lieu de travail, l'aboutissement est le même : la lutte politique est
affaiblie, et surtout détruite sur le terrain propre au syndicalisme, là où
l'Etat contrôle le mieux les ouvriers en permanence. A l'époque, toutes les
leçons ne sont pas tirées sur les dangers d’affaiblissement du maximalisme
communiste par le syndicalisme. La position de Treint n’était ni
contre-révolutionnaire ni stalinienne, comme cela lui a été reproché par les
anarcho-bordiguistes religieux des années 1970-1980, c’est une erreur comme il
le reconnaît en compagnie de Barré, Chirik et Deglise dans une lettre ouverte à
Trotsky du 20 décembre 1928, déclarant répudier « formellement les
opinions erronées qu’ils ont émises sur l’Opposition de 1923 qui a vu
clairement la situation en Russie »[5]. Treint
est doublé sur sa droite par un Monatte qui reproche aux cellules du PC de ne
pas assez s'occuper de recrutement syndical ![6] En
vérité, dans la logique de cette politique opportuniste, l'appartenance à un
milieu social ouvrier compte peu, ce qui importe c'est l'intégration à
l'appareil du parti. Cette politique provoquera de nombreux départs de
militants découragés, comme Madeleine Ker, qui, le 10 juillet 1927, diffuse son
papier « Pourquoi je démissionne du parti communiste ? » :
« Les rares militants qui datent de l’époque fabuleusement lointaine du
congrès de Tours (1920), ont suivi, au cours de ces trois dernières années, les
progrès de la maladie organique qui dévore implacablement le Parti Communiste.
Ces vices de constitution qui auraient pu s'amender dans l'action qui
renouvelle les forces se sont accrus sans arrêt, pour aboutir à cette formation
monstrueuse d'un organisme étiolé, paralysé qu'enserre et comprime de tous
côtés l'armature bureaucratique si bien appelée « Appareil ». C'est
par les cadres de fonctionnaires, par cet « Appareil » zélé, compact,
jaloux de ses prérogatives que les mots d'ordre de Moscou descendent jusqu'à la
masse des militants. Du Bureau Politique à l'indigente cellule, la consigne
passe à travers les échelons, Région, Rayon, sous-Rayon, cellule. De la base au
sommet, un criblage savant s'opère au moyen des élections à trois et quatre
degrés et nulle minorité ne peut percer en nombre les mailles des filets étagés.
Qui parle de démocratie dans le Parti quand la Direction n'admet que
l'approbation unanime ? Qui ose soutenir que les militants ont le droit de
penser et de s'exprimer quand les brimades et les menaces d'exclusion pleuvent
sur ceux qui ne « sont pas d’accord ». Comme fiche de consolation, il
ne reste au pauvre militant que le sport de la discussion devant quelques
copains de sa cellule. Mais que celle-ci ne s'avise pas de lui donner raison.
Sans plus de ménagement que s'il s'agissait d'un bistrot en délicatesse avec
les règlements, on ferme la cellule, quitte à la rouvrir avec des éléments
épurés. Il s'agit bien ici de faits actuels. Nous n'en sommes plus à la période
de répression brutale où l'on entendait Doriot et Suzanne Girault se vanter
comme d'une victoire d'avoir vidé le Parti des trois quarts de ses adhérents,
vieux de quelques années». L'idéologie
néo-syndicaliste sous-tendue dans le tournant « bolchevisateur »
ouvriériste est ce qui permet un amoindrissement de la vie politique, une
attitude de moins en moins critique face au conservatisme stalinien, face à
« l’appareil ». Treint et Suzanne Girault n'auront été que les
girouettes de cette politique, ils sont écartés en mars 1926, sur ordre de
Staline, et exclus du Bureau Politique en juin 1926. En 1928, le 9e exécutif de
l'IC sur la question française déclare: « L’Exécutif approuve et confirme
l’expulsion prononcée par la conférence nationale des chefs de la fraction trotskiste,
Treint, Suzanne Girault, etc. Les accusations que ces chefs portent contre
l’Internationale communiste et la révolution russe, et qui alimentent la
campagne de nos pires ennemis impérialistes et social-démocrates, leur
indiscipline directement proclamée, procèdent d'une idéologie sociale-démocrate
étrangère au communisme que la conférence a eu raison de bannir des rangs du
parti». Ainsi, après avoir combattu les fondateurs, combattu l'opposition de
gauche trotskiste, les « bolchevisateurs » sont traités à leur tour
de « trotskistes » et jetés aux orties. C'est bien dans la manière du
stalinisme qui élimine chaque équipe successive qui lui a servi à gravir une
marche du podium, pour ne rien devoir à personne... Il existe de moins en moins
cet état d'esprit de débats fraternels dans l'IC et dans les PC. Pourtant les
éléments sincères se refusent encore à toute personnalisation, il y a une
opposition de gauche, pas une opposition "trotskiste", ainsi que
l'écrit Herclet à Rosmer: « les trotskistes, s'ils connaissaient la grande
discussion sur le rôle des syndicats, que Trotsky voulait militariser. Je suis
bien certain qu'au moment de cette discussion ils auraient été avec Lénine
contre Trotsky»[7]. Mais tout va très vite,
les évènements jalonnent la progression de « l’Appareil », en 1927
c'est la défaite de la révolution chinoise. Faut-il quitter les PC ? Beaucoup
ne pensent pas comme Madeleine Ker. Elle est partie trop tôt. Il faut encore
combattre pour tenter de REDRESSER le courant opportuniste. Il ne faut pas se
laisser exclure, il faut lutter pied à pied pour ne pas laisser récupérer par
la bourgeoisie une organisation internationale que le prolétariat avait eu tant
de mal à mettre sur pied. Marc Chirik écrira en 1947 que cette période de bolchévisation
signifiait que les soviets à la tête de l'IC avaient leur sainte Discipline, témoignant
qu’il n’avait pas été dupe : « Une véritable inquisition régnait,
avec ses commissions de contrôle torturant et fouillant dans l'âme de chaque
militant. Un corset de fer passé sur le corps des partis, emprisonnant et étouffant
toute manifestation tendant à la prise de conscience révolutionnaire. Le comble
du raffinement consistait à obliger les militants à défendre publiquement ce
qu'ils condamnaient dans les organisations, dans les organismes dont ils
faisaient partie. C'était l'épreuve du parfait bolchévik»[8]. Marc
Chirik croit-il comme beaucoup d’autres que la « bolchévisation »
pouvait permettre un redressement des PC ? Personne à ma connaissance ne
lui a posé la question de son vivant, les historiens et les militants plus
jeunes ne font pas toujours preuve de curiosité quand il le faudrait. Il s’est
vanté d’une exclusion en Palestine alors qu’il était encore adolescent ;
ce qui n’a pu être vérifié (sa légende made in CCI)[9]. Il
se retrouve à nouveau membre du PC mais en France, sur les positions de
l'Opposition de gauche. Exclu en février 1928 dans la même charrette que Treint
par le futur pétainiste Doriot, il participe à la formation du « Comité de
redressement communiste ». Le Comité de Redressement lance des appels par de
petits fascicules imprimés aux militants du PC pour ne pas laisser
l'organisation aux mains de l'ennemi, voyant d'abord plus le danger de
l'opportunisme de la droite de l'IC (Rykov et Kalinine) que
« l’insuffisance et le caractère bureaucratique de la politique centriste ».
Pourtant menacés par les staliniens, les exclus ne renoncent pas : « Il ne
suffit pas d’édicter des décrets d’en haut, de remplacer les fonctionnaires par
d’autres fonctionnaires et de créer de nouveaux contrôleurs, il faut rendre la parole
aux ouvriers dans le parti et dans leurs organisations de classe, faute de
quoi, le militant, soustrait au contrôle de la base, se bureaucratise et
devient le plus souvent un instrument aux mains des classes et couches sociales
hostiles au prolétariat»[10].
Défendre pleinement le bolchévisme et la révolution russe, comporte :
- 1e La libération de
Trotsky et des autres bolchéviques déportés et emprisonnés.
- 2e La cessation des
exclusions et la réintégration des exclus.
En un mot, il faut cesser
le "feu à gauche" contre l'Opposition et ouvrir le "feu à
droite" d'une manière énergique contre l'opportunisme».
Une minorité est apparue
dans le Comité de Redressement. Elle continue à affirmer : « Nous
travaillerons au redressement du parti et de l’Internationale, tant que ce
redressement sera possible, mais le jour où ce redressement serait devenu
impossible, nous ne consentirions pas à cacher la vérité aux ouvriers.
Continuer à lutter pour le redressement dans les cadres d'organisation, lorsque
ce redressement serait devenu impossible, cela ne pourrait aboutir qu'à la
capitulation devant le centrisme impuissant à la remorque de la droite
triomphante». L'éclatement des groupes oppositionnels se confirme pourtant. Les
deux principaux animateurs du Comité pour le Redressement, Henri Barré et
Albert Treint se retirent du comité de rédaction du journal « L’Unité
léniniste » en désaccord avec Suzanne Girault qui prétend que le centrisme
stalinien est la manifestation du « commencement de redressement bolchevique
et (que) par suite l’action fractionnelle doit être atténuée puis cesser ». La minorité du Redressement Communiste dénonce au
contraire « l’impossibilité croissante pour l’Opposition de poursuivre son
travail de redressement… les brimades, exclusions, déportations » La
minorité dénonce en plus les méthodes de Suzanne Girault :
« En refusant cette
discussion au sommet comme à la base ; en mettant la main sur notre
journal commun « L’Unité léniniste », et sur les ressources amassées
en commun qui en assurent la parution ; en se refusant à participer à une
Conférence internationale de l’Opposition, Suzanne Girault empêche les ouvriers
de connaître notre point de vue et de se prononcer en connaissance de cause.
Commencer à se servir contre nous des arguments et des méthodes de Staline, à
l'intérieur même de l'Opposition, c'est, sans le vouloir peut-être s'orienter
vers la capitulation devant le stalinisme. Il est temps pour Suzanne Girault et
ses amis de se ressaisir. Il n'y a que deux voies : celle de la capitulation ou
celle de la lutte à fond pour le véritable redressement communiste. Cette
deuxième voie, la seule juste, nous ne la fermons à personne et nous demandons
à nos compagnons de lutte d'hier, de ne pas se la fermer eux-mêmes» (Pour le
Comité de Redressement, Barré et Treint). Certains "compagnons de route
d'hier" rentrent dans le rang stalinien. Le manœuvrier Zinoviev a
capitulé, et sera éliminé physiquement par les mercenaires de « l’Etat
ouvrier ». Treint a rejoint l'Opposition mais Suzanne Girault a demandé et
obtenu sa réintégration docile dans le parti stalinisé. En résumé, la
bolchévisation était une politique volontariste exigée par la direction de l’IC
à Moscou de regroupement large et sans principes.
Le combat pour le redressement des PC était-il vain?
Dans le sillage du KAPD
disparu, l'éphémère « Réveil communiste » de Dautry et Prudhommeaux
en 1929, considère le redressement du Komintern comme impossible : « Les
éléments qui se placent sur le terrain du redressement du Komintern sont les
agents conscients ou inconscients, directs ou indirects, de la politique
contre-révolutionnaire du Komintern : les Paz, les Treint, les léninistes ou trotskistes 100%, les bordiguistes à la lettre de
« Prometeo », qui sont les endosseurs de la funeste politique de la
bolchévisation (...) Il est impossible pour un communiste conscient de rester
plus longtemps dans le Komintern. Sa place est au dehors pour lutter
ouvertement, loin de toute équivoque contre la bourgeoisie, la
social-démocratie et le Komintern, alliés plus ou moins masqués du capitalisme»[11].
Tout comme le nom de leur revue, "réveil" opposé à
"redressement", ce groupe choisit la facilité sans aucune chance de
succès. Les redresseurs n’en ont pas eu non plus de leur côté lors de la
conférence de 1933. L'heure n'est pas
non plus à la formation d'un nouveau parti : « mais l'Opposition dont le rôle est de
développer et de sauver le communisme, se doit en se constituant en groupe
indépendant, de surveiller attentivement cette évolution prochaine et de la
polariser vers le communisme»[12] (…) « De là vient aussi la différence fondamentale
entre le régime intérieur de la social-démocratie d’avant-guerre et le régime
intérieur stalinien. Non seulement la IIème Internationale n’a jamais chassé de
ses rangs la gauche allemande et les bolcheviques russes, mais ces camarades
pouvaient collaborer à sa presse et parler à ses congrès en toute liberté. Au
contraire, la direction stalinienne a chassé, déporté ou emprisonné tous les
opposants de sa politique. C'est cette différence capitale que nous devons
avoir présente à l'esprit dans l'examen des rapports entre l'Opposition et
l'I.C. Car, sans le régime intérieur imposé par les staliniens, il est évident
pour chaque oppositionnel que sa place serait dans les rangs de l'I.C. pour les
mêmes raisons que les marxistes d'avant-guerre sont restés au sein de la IIe
Internationale. Les staliniens qui chassent l'Opposition savent qu'une lutte de
fraction menée dans l'I.C. sur la base du centralisme démocratique aurait
abouti à leur liquidation complète. Ce n'est pas de son plein gré que
l'Opposition se trouve coupée des partis communistes ; les staliniens le savent
bien ; et par là, ils démontrent que les intérêts de la bureaucratie régnante
leur sont plus sacrés que ceux du prolétariat»[13]. Que
d’illusions qui se perpétuent ! La IIème Internationale avait gardé ses
fractions mais pour mieux les museler en 1914 ! Les militants de
l’Opposition se qualifient de communistes critiques pas de « trotskistes »,
mais on retrouve là, de la part de la contre-révolution stalinienne, la même
tactique de dénigrement dont j’ai parlé en introduction : on affuble d’un
qualificatif péjoratif les opposants en les réduisant à n’être plus que les
exécutants de Belzébuth Trotsky ! Or, déjà dans les isolateurs en Sibérie,
comme en a témoigné Ante Ciliga, les opposants refusaient d’être qualifiés de trotskistes,
car ils estimaient que le combat de Trotsky était le leur et faisait partie de
la lutte pour « sauver le communisme ». Cet esprit de communisme
critique suivra en France la fétichisation par Trotsky de l’expérience en
Russie, bridant toute critique de la théorie de l’Etat ouvrier dégénéré. Celui
que les trotskistes appellent alors « le compagnon de Treint » et
l'ancien secrétaire du PC Treint, sont à leur tour mis en minorité dans
« L’Unité léniniste » par ceux qui pensent que le PC est
"redressé". Ils s’en vont donc poursuivre le combat en rejoignant la
Ligue Communiste. Treint et Marc ne seront restés que quelques mois dant cette
organisation patronnée par Trotsky. La ligue est secouée par des querelles
byzantines de tendances et d'influences, des scissions incessantes, et fait
l'objet d'un travail de sabotage constant de la police française et russe, sur
lequel l’oppositionnel belge Vereecken apportera un témoignage probant[14]. Albert Treint, Marc Chirik et leurs
compagnons de tendance dans la Ligue ont rompu en 1932 avec cette organisation
pour la même raison qui les avait conduit à délaisser « L’Unité
léniniste », contre les concessions au centrisme stalinien
« bolchévisateur ». Le courant oppositionnel dit trotskiste devient
de plus en plus « opportuniste » derrière Staline. Les éléments trotskistes
de l'Opposition de gauche persistent à s'accommoder d’une continuité (dépassée)
du soutien au « pays des soviets » et tirent en arrière le combat de
l'Opposition. L'ossification du trotskisme en fils bâtard du stalinisme se
précise à la veille des évènements de 1936. Son soutien « critique »
à la gauche stalinienne et sociale-démocrate le conduira à la participation à
la seconde guerre impérialiste. Ce sont les « fractions de gauche »
qui vont s’avérer plus cohérentes et fermes sur les principes bien que la
postérité des historiens amateurs n’ait gardé en vitrine que les vedettes de
l’Opposition trotskiste[15].
Dans les comptes-rendus de réunions de
la CE de la Ligue Communiste[16]
et dans un texte cosigné par Treint et Chirik, on lit un aperçu des clivages
déjà existants. Il est très difficile de retrouver des textes de Marc Chirik de
l'époque, de même qu'ultérieurement dans l’organe
« L’Internationale » de l'Union Communiste, parce qu'il n'a pas dû
écrire beaucoup (maîtrisant encore mal le français) et parce que les
"vieux" occupaient encore le devant de la scène. Il rompt avec Treint
en 1933, puis début 1938 avec Union Communiste et rejoint individuellement, et
tardivement la Fraction italienne qui publie Bilan. Quand nous avions posé la question à Marc (en
mars 1985) :
-
« pourquoi ne cessez-vous de croire à toute possibilité de redressement
des PC qu'en 1935, contrairement aux ultra-gauches du "Réveil
Communiste? », Marc nous répondit :
« Effectivement
la Fraction voyait de moins en moins la possibilité de redresser. De toute
façon, elle attendait la conférence générale prévue pour cette année-là ;
depuis cinq ans nous n’avions pas tenu de réunion générale. Nous étions
convaincus tous depuis un certain temps que toute possibilité de redressement du PCF était finie.
Deux évènements aident à trancher : le pacte Laval-Staline. Le journal de la
Ligue Communiste "La Vérité" titre : « Staline reconnaît
que la France doit s’armer » et ajoute en gros caractères
« SALAUD », et le 14 juillet Duclos fait marcher les ouvriers
derrière le drapeau tricolore... Il n'était plus question de s'appeler
« fraction du PC », mais « Fraction de la Gauche
communiste ». Aussitôt après ce congrès, nous diffusons le Manifeste de
rupture et l'appel aux ouvriers à sortir du PCF». Pour la Fraction belge :
« 1935 consacra la transformation des partis communistes en organes
capitalistes »[17].
L'échec des tentatives renouvelées pour redresser les PC rongés par
l'opportunisme stalinien dans le reflux croissant de l’espérance
révolutionnaire, renvoyait à la nécessité politique ultérieure du regroupement
des forces éparpillées par la contre-révolution. Reconstituer les forces
organisationnelles émiettées sur la base des principes politiques maximalistes,
sauvegardés face à la dégénérescence de l’I.C. et à la nationalisation de ses
PC, était déjà une gageure depuis la fin des années 1920 de la part des
communistes Italiens et les Allemands.
L’IMPOSSIBLE GREFFE DE LA GAUCHE ALLEMANDE
SUR
L’ ITALIENNE (à suivre)
[1] La lutte contre le fascisme naissant est conçue comme
lutte contre le capitalisme et ses mercenaires. La lutte au cours de ces années
1920 ne peut donc être conçue comme « antifasciste » ainsi que
l’écrit le gauchiste littéraire A.Bihr selon qui l’antifascisme se serait
« forgé dans les luttes ouvrières et populaires de l’avant-guerre »,
fourrant la grève générale contre Kapp en 1920 dans les maquis européens et
dans la guerre espagnole de 1936 (cf. Les mésaventures du sectarisme
révolutionnaire, in Les chiffonniers de l’histoire, op.cit.).
[2] Extrait de ma conférence à la médiathèque d’Arcueil du
21 mars 2009 : « La révolution et les intellectuels ». Bordiga
ne vise pas ici à caractériser une carence intellectuelle des ouvriers mais le
cadre de l’usine comme limitatif pour appréhender l’ensemble des problèmes
sociaux. Au contraire, Otto Rühle, démoralisé au début des années 1940, imagine
que l’ouvrier, hors de l’usine, est un petit bourgeois ; thèse reprise par
tous nos modernes intellectuels désenchantés. L’appréciation de Rühle n’était
pas entièrement fausse, sauf que l’ouvrier sait qu’il ne peut pas jouer
longtemps au petit bourgeois si la paye tarde ou s’il est jeté à la rue.
L’ouvrier n’est pas plus conscient dans l’usine où il est abruti et souffre. Sa
conscience éclôt dans la dichotomie de l’oppression au travail et le caractère
temporaire et limité de sa vie privée. Aujourd’hui comme hier.
[3] Qui s’était rendu célèbre à la tête du PCF avec cette
autre formule (électoraliste) : « Il faut plumer la volaille
socialiste », mais qui sera par la suite un opposant valeureux à la
dégénérescence en compagnie du … jeune et étonnant Marc Chirik.
[4] Cf. Bulletin communiste, 4 avril 1924.
[5] Histoire de la Ligue communiste et de la Fraction de
gauche (1930-1932) par Michel Roger, cf. page 8. Cette étude très précise et
rigoureuse révèle aussi l’estime de Trotsky pour Treint (ed à compte d’auteur, comme
d’hab pour l’histoire véritable des fractions révolutionnaires maximalistes).
Ce ressaisissement de Treint devrait faire réfléchir toutes les sectes modernes
qui excluent à tour de bras des camarades dans l’erreur sans leur laisser la
possibilité de se racheter car comme disait Jésus : « que le premier
qui n’a jamais commis d’erreur, me jette la première pierre ! ».
[6] Monatte se défend face à Treint de n'avoir jamais
voulu « constituer un réseau de commissions syndicales indépendant de la
direction du Parti », Bulletin Communiste n°24, mai 1924.
[7] Lettre à Rosmer publiée dans le Bulletin Communiste
(l’ancien) n°5, 1925.
[8] Cf. « Problèmes actuels du mouvement
ouvrier » Internationalisme n°25, 1947, reprint en 1983 in Revue
Internationale n°34, CCI. Robert Camoin remet en cause cette trajectoire de MC,
cf. tome II de mon Marc Laverne et le CCI. Pour la publication de ce recueil de
textes de MC, j’avais soumis mon projet détaillé à l’approbation du secrétariat
international du CCI (lettre du 22 novembre 1992) et obtenu son accord.
[9] MC devait avoir sa dose d’auto-mythification, sans se
rendre compte qu’il ne pouvait être toujours pris au sérieux. Il me dit un jour
qu’il avait refusé de devenir secrétaire de Trotsky. Je ris sous cape. Il était
incapable d’écrire une langue sans faute orthographique et grammaticale. C’est
sa seconde épouse Clara, directrice d’école à Caracas, qui rewritait en tapant
ses textes à la machine jusqu’à se faire saigner les doigts.
[10] Documents édités par le Comité pour le Redressement
Communiste, 1928.
[11] Le Réveil Communiste n°5, février 1929.
[12] Cf. Bulletin préparatoire à la Conférence d'avril
1933.
[13] Ibidem, Bulletin préparatoire, avril 1933, in Marc
Laverne et la Gauche Communiste de France.
[14] Dans un livre publié à compte d’auteur à « la
pensée universelle » et vite épuisé.
[15] Au cours des années 1980, dans mes recherches, en
particulier dans les archives des lambertistes (le CERMTRI), j’ai souri en
découvrant un procès-verbal du 22 novembre 1931 de la commission exécutive de la
Ligue communiste qui notait, parmi les présents avec Albert Treint, les
principaux géniteurs du regain trotskiste en France des années 1950 à la
période post 1968 : Pierre Frank, Pierre Naville, Yvan Craipeau, Gérard
Rosenthal et… le jeune Marc Chirik le principal lui géniteur de la GCF (1945)
et du CCI (1975) et sorte d’éminence grise des contempteurs du gauchisme
post-68, des esthètes situationnistes et de la gauche au pouvoir en France. Il
ne fût pas seul dans cette tâche mais notre travail aura conduit à le rétablir
sa juste place (centrale) dans cette histoire du mouvement maximaliste.
R.Camoin m’a reproché de l’avoir déifié. Ce fût en tout cas un plaisir de
l’avoir connu et d’avoir milité fraternellement avec lui. Quant à Camoin, il se
prend pour le vrai démiurge : il a demandé à plusieurs personnes de
réaliser son hagiographie de son vivant ! Et personne n’en veut… car il
n’a jamais rien fait que lire et écrire.
[16] Fallait-il mener le combat pour le redressement des
PC ? Pour la gauche italienne et cette gauche française la réponse était
positive contrairement à la gauche allemande qui, se tenant à l’extérieur, eût
une durée de vie moins longue.
[17] Communisme n°26, mai 1939.