PAGES PROLETARIENNES

vendredi 19 octobre 2012

BEAUCOUP D’OBSTACLES SUR LE CHEMIN D’UNE REACTION DE CLASSE, MAIS LESQUELS AU JUSTE ?




Tous les petits groupes ou cercle maximalistes se sont posés la question évidente dans le désordre mondial actuel : comment lutter contre le capitalisme ? Alors que règne la dispersion des luttes ouvrières, cloisonnées dans des usines vouées à une faillite « fataliste » en France, réactions ponctuelles et violentes en Chine, toutes luttes présentées comme luttes ringardes (mineurs espagnols) etc. La Grèce revient comme un disque rayé, surtout pas comme exemple, pour répandre cette croyance que la lutte de la classe exploitée serait vouée à tourner éternellement en rond. La presse bourgeoise a rendu compte ainsi de la dernière manifestation en Grèce, entrée dans les moeurs et si peu dérangeante pour l'ordre mondial:
"Bien sûr que les nouvelles mesures vont passer, mais il faut garder la flamme allumée". Comme Evangelia Gaïtanidis, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue jeudi en Grèce  contre les politiques d'austérité, sans illusion, mais pour ne pas baisser les bras. "Les décisions sont déjà prises" par le gouvernement et par les bailleurs de fonds du pays, qui s'apprêtent à faire adopter un nouveau train de mesures de redressement. "Notre sort dans l'immédiat est joué, mais malgré tout il faut résister", insiste cette trentenaire, employée d'un syndicat. Sur l'avenue Patission, qui longe le siège du syndicat GSEE, le soleil tape fort, et les rangs étaient encore clairsemés au début de la manifestation, endeuillée à son terme par la mort d'un sexagénaire, victime d'un arrêt cardiaque. "Sur 150 employés, nous sommes seulement deux aujourd'hui à être en grève, les autres ont peur, ou n'y croient pas", explique Vassilis, 32 ans, employé de banque. Partisan de l'opposition de gauche radicale, il affiche l'espoir de "faire tomber le gouvernement". "Et qu'on ne vienne pas me parler d'euro, cela me suffit de savoir que nous sommes déjà en faillite."Dans la soirée, à Bruxelles, le Premier ministre conservateur A.Samaras, devait tenter d'obtenir de ses partenaires au sommet européen une promesse - ou un encouragement - pour que le pays soit maintenu sous perfusion, en échange de ces nouveaux sacrifices qui vont encore faire chuter le niveau de vie. Plus d'une heure plus tard, en contrebas du Parlement, où la foule ne cesse de d'affluer, une soudaine poussée de tension rappelle les embrasements de juin 2011 et février 2012, quand deux gouvernements successifs ont fini par devoir céder le pas. Mais seulement de loin : si tout le monde - retraités, dames âgées et autonomes - s'en donne à coeur joie pour insulter un cordon de policiers qui vient de bloquer un des accès, les trublions ne sont que quelques dizaines, cagoulés et masqués, à lancer cocktails Molotov et pierres. Comme souvent, le spectacle se joue juste sous les balcons de l'hôtel où les télévisions internationales plantent leurs caméras. D'ailleurs, en arrivant dans leur champ optique, les rangs de la manifestation s'animent, pour scander, au rythme d'applaudissements, l'inusable slogan anti-junte, "Pain, éducation et liberté". Disciplinées et organisées comme rarement, les forces de l'ordre n'ont pas grand mal à repousser leurs attaquants et le défilé dans les rues adjacentes. Quelques gaz lacrymogènes sont lancés, mais les matraques sont à peine dégainées. Robe-chemisier bien coupée, collier en or et sandales à talons, Angeliki Simatou, 65 ans, ne décolère pas : "C'est la première fois que je manifeste, j'ai longtemps fait preuve de patience, mais là, le nouveau train de mesures va nous achever", lance cette commerçante. "Le gouvernement n'y résistera pas", prédit-elle, approuvée par un professeur de mathématiques qui donne pour sa part "trois mois aux Grecs pour faire tout sauter". À la retraite depuis quelques mois, il attend toujours de recevoir un premier versement de pension, dont il ignore le montant : "Tous les jours, on nous annonce de nouvelles coupes", relève-t-il. "Les gens réagiront vraiment quand ils sentiront l'impact des mesures", combinant coupes salariales pour les fonctionnaires, baisses des pensions et des aides sociales, juge pour sa part Ilias Nikolakopoulos, politologue parmi les plus réputés du pays. "Il faut que les gens se fassent entendre, partout il y a des protestations, l'Europe commence à prêter l'oreille", juge-t-il. "Ce sera nous, ou les Espagnols, les Italiens, les Portugais, les Français aussi peut-être, d'ailleurs, leur tour vient, mais il faut arrêter cette politique", veut aussi espérer Maria Orianopoulou, une comptable de 48 ans ».
Voilà pour la journée d’hier, puis tout  le monde est allé au lit. La Grèce est un puits sans fond, et les manifestations de protestation ne font que tourner en rond. Des cercles étriqués de maximalistes en France n’avaient pas cessé de proclamer que la Grèce « montrait l’exemple ». Quel exemple ? Celui de tourner en rond. Gauche néo-stalinienne et gauchistes n’ont pas d’alternative autre que « tant pis » alterné avec le slogan « démission du ministre ». La classe ouvrière est quasi inexistante comme classe homogène (une forte proportion d’ouvriers immigrés sert de bouc-émissaire) et le spectacle de « l’envahissement »  relatif d’africains et de musulmans éloigne les prolétaires du cru d’une lutte internationaliste ; sur le sujet le parti néo-stalinien, le KKE, tient un double langage pervers : défenseur de l’Etat national il prétend défendre tous les peuples… Il paraît qu’au coin des rues, certains, même d’obédience syndicale stalinienne, parlent d’une seule solution : la révolution. Mais laquelle, celle qui consisterait à ne renverser que l’Etat grec ?
Même date jour pour jour  il y a un an, Tendance Communiste Internationale (ex Battaglia Comunista) décrivait le même genre de manif en Grèce, en étant plus précis sur le sale boulot des néo-staliniens (ce que la presse européenne évite de mentionner) :
(article titré : Les staliniens défenseurs de l’Etat)
 « … Le 19 octobre en Grèce, en lien avec la grève générale de 48 heures contre la politique d'austérité de la bourgeoisie, se sont déroulées d'énormes manifestations organisées par les deux principaux syndicats, GESEE et ADEDY. À Athènes seulement, ce sont près d'un million de personnes qui ont défilé vers la place Syntagma pour exprimer leur colère contre le vote des mesures d'austérité au Parlement. Plus de 10.000 policiers ont été déployés dans les rues d'Athènes, afin de réprimer la manifestation et c'est à plusieurs reprises que les manifestants ont été attaqués par la police anti-émeute. Le 20 octobre, ce sont les députés qui devaient finalement décider par leur vote, du montant de la facture à présenter en vue de réduire le niveau de vie de millions de travailleurs et de travailleuses grecs. Mais, à cette occasion, les manifestants ont été confrontés à une situation particulière. Les staliniens du PAME - qui, habituellement, organisent leurs propres manifestations et les tiennent dans d'autres lieux - occupaient déjà la place Syntagma. Plusieurs témoignages révèlent qu'ils formaient des cordons de militants armés de gourdins (dont certains servaient de hampes à des drapeaux rouges). Ils interdisaient l'accès de l'esplanade située devant le parlement aux autres manifestants. Ces témoignages rapportent aussi que les gens devaient montrer leurs cartes de membres du KKE (le Parti communiste grec) ou du PAME (le syndicat stalinien) pour passer. À ce moment-là, la police ne s'était pas encore montrée (ses agents étaient encore dans leurs fourgons situés dans les rues voisines). Afin d'apparaître comme la véritable "opposition responsable", les staliniens étaient prêts à jouer le rôle de la police. Lorsque certains manifestants du mouvement libéral "Den Plirono" ("Je ne paie pas") ont compris ce qu'il se passait, ils ont commencé à protester et à s'avancer vers le cordon du PAME. Une source grecque nous dit ce qui est arrivé ensuite : Il s'agissait clairement d'un plan prémédité du KKE dans la mesure où il en a fait la répétition, certes moins dramatiquement, ailleurs dans le pays. À Ioannina, le PAME a menacé et tabassé des manifestants qui s'étaient opposés à lui et qui essayaient d'atteindre des bâtiments officiels. En Crète, des membres du KNE (l'aile jeunesse du Parti communiste) ont menacé des manifestants avec des bâtons devant l'hôtel de ville. Au cours de la manifestation, un membre du PAME, Dimitris Kotzaridis, est mort, semble-t-il, du fait d'avoir inhalé le gaz lacrymogène de la police (il avait des difficultés respiratoires). Cela n'a pas empêché le KKE de prétendre qu'il était mort des suites d'un coup à la tête porté par un manifestant ennemi. Effectivement, leur propre communiqué de presse sur l'incident est effrayant au point de rappeler le type de propagande que les staliniens ont utilisé lors des Procès de Moscou, ainsi que la politique qu'ils ont pratiquée en Espagne au cours des années 1930. (…)  Déclaration du Bureau de Presse [du KKE, ndr] concernant l'assaut meurtrier organisé contre le rassemblement du PAME à Syntagma et la mort du syndicaliste du PAME, Dimitris Kotzaridis : À cette occasion et dans ce but, des groupes organisés ainsi que des anarcho-fascistes, armés de cocktails Molotov, de gaz lacrymogène, de grenades assourdissantes et de pierres, ont lancé une attaque dans le but de disperser l'imposant rassemblement de travailleurs et autres personnes sur la place Syntagma et surtout là où les militants du PAME étaient concentrés. …La haine des cagoulés contre le mouvement des ouvriers et du peuple et contre le PAME exprime la fureur des forces qui servent le système et le pouvoir bourgeois. Le gouvernement a des responsabilités immenses dans cette entreprise.
L'accusation d'"anarcho-fascistes" fait écho aux effrayants appels de Vychinski pour la "Mort aux Trotskistes-fascistes” dans les Procès de Moscou. Il y a deux ou trois ans, le KKE s'est vanté d'avoir placé, au sommet de l'Acropole, la bannière "Peuples d'Europe levez-vous !" (pourquoi pas "Ouvriers d'Europe soulevez-vous”, avions-nous alors demandé ?). Il avait envoyé des délégations à travers l'Europe pour défendre cette cause. À l'évidence, sa cause est réactionnaire. Défendre l'État bourgeois est tout à fait normal pour les staliniens qui ne sont communistes que de nom. Par ailleurs, les bravades individualistes et anonymes des "black blocs" servent, entre les mains de l'État, "le jeu démocratique" [qui inclut le KKE], comme cela s'est produit le 15 octobre à Rome. Ce n'est sûrement pas comme ça qu'on peut élargir la conscience de classe. En attendant, la guerre fratricide entre les manifestants, dont le KKE est responsable, a surtout accentué le tour de vis social de l'État grec… ».
(Signé : La Tendance Communiste Internationaliste Traduit avec l’aide de la FGCI , que nous remercions). Qu’ils remercient.
L’analyse était intéressante, il faut en effet renvoyer dos à dos les marginaux cagoulés et les flics staliniens. Ce 18 octobre 2012, la manif grecque a encore demandé la démission d’un énième ministre. Les néo-staliniens et les trotskiens ont crié que les banques « ont de l’argent » et menacé terriblement d’une grève générale contre les coupes budgétaires… La violence de rue est aussi contre productive que les journées d’action syndicales ronflantes. Mais jusqu’ici n’était pas posé le vrai problème de la lutte en Grèce (qui n’est pas national) mais celui d’une internationalisation de la lutte du point de vue des prolétaires et non pas des rigolos « indignés ».
A la fin de l’année 2011 la version anglaise du courant Tendance communiste internationale (ex Battaglia) écrivait (Revolutionary Perspectives, 59 automne 2011) s’interrogeant sur les obstacles au développement de la lutte de classe, du fait du piétinement et de l’isolement des luttes :
« Le fait est qu'il y a beaucoup d'obstacles sur la route d'une réaction de classe entravée par la menace du chômage et ses effets démoralisateurs sur les travailleurs. D'autres entraves cependant sont plus immédiates et plus pressantes. Quelle lutte contre le capitalisme ? Le premier obstacle surgit du mouvement “Occupy” ainsi que des autres mouvements de ce genre. La question qui est posée ici est celle de “l'anti-capitalisme”. Certains de ceux qui campent sur les places des villes se basent sur l'idéologie “non-globale” de Naomi Klein, d'ATTAC et Cie. Ce n'est pas du tout anti-capitaliste mais seulement anti-“big business” et anti-monopole. On retrouve cela dans des revendications imbéciles comme l'appel à “démocratiser les institutions financières”. On ne peut réellement être anticapitaliste qu'en ayant conscience de la nature profonde du mode de production capitaliste. Ce qui est essentiel de prendre en considération ici est le rapport d'exploitation travail-capital et c'est justement ce que toute lutte anticapitaliste doit d'abord briser. La tare du mouvement “Occupy” est que c'est un mouvement inter-classiste et qui, de ce fait, ne touche pas réellement les masses prolétariennes et n'est pas lié aux grèves qui, en portant des coups aux intérêts des exploiteurs, sont ce que redoute le plus le capitalisme. Le second obstacle est la pléthore d'organisations qui se veulent être la voix de la classe ouvrière et qui possèdent, en leur sein, de nombreux ouvriers. Il s'agit des trotskistes et des staliniens qui se disent “pour le socialisme” mais qui, de longue date, ont rompu avec la vision marxiste du socialisme en tant que mouvement d'émancipation de la classe ouvrière. Les trotskistes de Grande-Bretagne, par exemple, sont toujours pendus aux basques du Parti Travailliste. On peut voir cela dans “le mouvement contre les attaques sur les salaires” [“anti-cuts movement”, ndt]. Au lieu de dire clairement que la crise et les attaques qui en découlent sont la preuve que le système capitaliste est à détruire, ils “estiment” que les travailleurs ne peuvent pas comprendre ce message. Voilà pourquoi ils appellent à lutter contre les Tories [le parti conservateur, au pouvoir, ndt]. Ils n'ont pas la stupidité d'appeler ouvertement à soutenir le Parti Travailliste (ce qui, pour eux, serait dangereux vu l'histoire récente de ce parti), mais leur position consistant à vouloir mettre les Tories à la porte implique forcément de mettre les Travaillistes au pouvoir. Pire que le “réformisme” des trotskistes est la survivance du stalinisme. Alors que la plupart des anciens Partis communistes ont adopté la voie du soutien à la démocratie capitaliste, certains d'entre eux continuent à rêver d'un retour à une sorte de régime stalinien. C'est le Parti Communiste Grec qui vient d'en être une illustration parfaite. Le 20 octobre, à Athènes, il a orchestré de violentes bagarres avec les autres manifestants dans le but évident d'essayer de se poser comme la réelle opposition sérieuse au gouvernement du PASOK (parti socialiste comme le Parti Travailliste). Cet épisode, sur lequel nous revenons dans cette revue, démontre comment des forces, qui se disent être dans notre camp, ont en fait des objectifs pro-capitalistes.
Sans attendre, les authentiques révolutionnaires ont une vraie bataille à mener pour que le prolétariat rejette non seulement les illusions des “anti-capitalistes” mais aussi les manipulations de la gauche traditionnelle. Nous avons besoin de créer un mouvement qui unifie tous ceux qui peuvent comprendre les problèmes dont nous parlons ici.
Ce mouvement (ou parti) doit être guidé par une vision claire de la société que nous voulons. Nous l'appellerons “le programme communiste”. Il doit se baser sur les luttes autonomes de la classe ouvrière qui se libère, de manière croissante, des chaînes qu'un siècle de réaction nous a imposées. Son but doit être l'abolition de l'exploitation du travail salarié, de celle de l'argent tout comme celle de l'État, des armées permanentes et des frontières nationales.
Nous devons réaffirmer la vision développée par Marx, selon laquelle nous nous battons pour une société de “libres producteurs associés”, société dans laquelle le principe est “de chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins”.
Aujourd'hui, il y a beaucoup de groupes et d'individus dans le monde qui, comme nous, défendent cela; mais, nous sommes soit trop dispersés soit trop divisés pour prendre l'initiative de former un tel mouvement unifié. Certains sont opposés, par principe, à la formation d'un tel mouvement, car ils pensent que le mouvement spontané se suffit à lui-même. Nous aimerions partager leur confiance. Nous pensons que les révolutionnaires responsables devraient réexaminer leurs divergences et se demander si, à la lumière de cette période de la lutte de classe qui s'ouvre aujourd'hui, les divisions qu'ils pensaient avoir jusque là persistent. Nous devrions nous baser sur nos nombreux accords et non pas sur le peu de désaccords qui existent entre nous. Nous devrions chercher à travailler ensemble dans les luttes, non pour simplement recruter tel ou tel individu pour notre propre organisation, mais pour chercher à élargir la conscience de ce que signifie réellement lutte de la classe ouvrière. Face aux obstacles que nous avons soulignés plus haut, il serait suicidaire de ne pas le faire »
DES OBSTACLES NON PRIS EN COMPTE
Ainsi pour la TCI, les obstacles ne seraient que de trois ordres : le poids du chômage, le sabotage des néo-staliniens et l’incapacité des petites organisations révolutionnaires à inspirer confiance. Ce n’est qu’en partie vrai. Mais on va voir, que comme pour les anarchistes, les gauchistes et les autres cercles maximalistes, on en reste à une vision trade-unioniste du combat et que la politique (et celle de la bourgeoisie en particulier) est oubliée.
Prenons comme exemple de courte vue immédiatiste et usiniste le petit cercle de La Mouette enragée de Boulogne sur mer, voici la description en partie juste que ces anars font de la lutte en Espagne : « « La grève des mineurs repart de la base et se propage du León aux Asturies alors que les syndicats UGT et CCOO l’ont arrêté sans n’avoir rien obtenu après 65 jours de lutte. La grève des mineurs espagnols a pris fin le 3 août dernier après 65 jours de combat. Au final le gouvernement espagnol n'aura cédé en rien sur ses coupes budgétaires mais les mineurs et leurs familles étaient épuisés financièrement et au bout de leur possibilité. Et pourtant, le rapport de force n'a jamais été favorable au gouvernement et à ses forces de répression. Les mineurs ont utilisé tous les moyens pour faire plier le ministre de l’industrie : blocage de routes, autoroutes et voies ferrées, enfermement dans les puits, manifestations, la Marche Noire etc... Tout cela avec des syndicats à la ramasse, se contentant de suivre le mouvement. Toutes ces actions ont été marquées par une forte solidarité de la population, d'abord celle des bassins miniers mais aussi dans toutes les villes et villages traversés par les Marches noires avec comme démonstration de cette solidarité l'immense manifestation madrilène du 11 juillet. Mais voilà, la solidarité n'est pas allée assez loin et d'autres secteurs ne sont pas mis en lutte avec les mineurs provoquant leur épuisement. Les syndicats majoritaires n'ont guère aidé à la poursuite du mouvement, bien au contraire, tous préoccupés qu'ils sont par leur représentativité dans ce secteur, en témoigne les luttes entre UGT, CCOO et USO. La solidarité financière a été défaillante : l'USO n'aidant que ses adhérents, les autres syndicats ayant recours à un organisme de crédit à qui les travailleurs devront rembourser leurs jours de grève !  Malgré tout, cette grève a été marquante en Espagne et en Europe et son fiasco n'est à l'évidence pas digéré par les travailleurs qui ont mené une lutte particulièrement dure pendant plus de deux mois. Le conflit vient de resurgir dans des mines, des sous-traitants et des secteurs auxiliaires dès le 23 août. Piquets de grève, blocages... sont donc de retour. UGT et CCOO, absents et surpris par la détermination des grévistes ont d'abord minimisé l'ampleur d'un mouvement de grève et d'action qui ne fait que se développer, de s'organiser et de se solidariser de bassin à bassin. Il faut insister sur la participation primordiale des femmes et familles de mineurs qui assurent actions, logistique, relais avec et par le tissu associatif et des centres sociaux entre autres. La (ré)pression, au travers de licenciements de grévistes s'accentue ; c'est un vrai combat qui s'engage ».
C’est la description d’une banale lutte « populaire », ultra syndicalisée et encadrée jusqu’à la défaite. Avec cette différence que nos groupe maximalistes ne se livrent pas comme ces anars bonne pâte à ces « quêtes ridicules » des gauchistes, qui servent à évacuer le combat politique pour des miettes (si elles parviennent aux ouvriers), et La Mouette enragée, ne l’est plus lorsqu’il s’agit de servir de bedeau questeur pour les collectes syndicales de la CGT dans le Pas de Calais.
La minuscule « fraction » du CCI  (FGCI)– vieille scission qui sert de traductrice à la TCI – n’est pas loin de cette sanctification de la lutte des mineurs espagnols : « … les mineurs espagnols montraient l’exemple : Les mineurs des Asturies reprennent la voie que nous a montré le prolétariat en Grèce. La résistance et le combat contre les mesures économiques dramatiques que la bourgeoisie assène dans tous les pays ne peuvent se limiter à des occupations pacifiques de places de ville et de discours creux sur une « plus grande ou meilleure démocratie », ou voire une « nouvelle société »... "plus démocratique". C'est à partir des lieux de production, en particulier en paralysant cette dernière par la grève ou par l'occupation, que la classe ouvrière doit combattre contre les attaques qui tombent les unes après les autres. C'est à partir de ces lieux qu'elle doit se lancer dans la rue et chercher à étendre et unifier son combat ».
Les grèves de protestation ponctuelles qui se déroulent inévitablement dans ce genre de situation (et soigneusement encadrées par les traîtres professionnels syndicaux) ne sont ni nouvelles, ni étonnantes ni l’annonce du « grand soir ». Face à la disparition des grandes usines, et la dilution du prolétariat en une foule de petites unités dispersées, la théorie de l’occupation de la boite, base arrière ou lieu de salubrité prolétarienne, avant la conquête de la rue, a du plomb dans l’aile. Il faudrait dépoussiérer votre marxisme ouvriériste camarades non syndiqués !
La base de l’organisation future du prolétariat risque fort de ne plus avoir pour cadre l’usine ou l’entreprise (il faut laisser la théorie de l’occupation ministérielle de la boite à nos doux syndicalistes anars), mais la zone industrielle, les banlieues ouvrières, le métro ou les gares SNCF, etc. (à imaginer).
Le Bulletin communiste internationaliste de cette même « FGCI » (fraction de la maigrichonne gauche  communiste internationale), pose quand même de bonnes questions, oubliant un moment son emballement pour le cas grec et se tournant vers l’Espagne :
« Pourquoi la colère ouvrière réelle, généralisée, la volonté de se battre, le sentiment qu'il faut y aller tous ensemble, n'ont-ils pas réussi à modifier de manière significative le rapport de forces entre les classes ? La manifestation ouvrière à Madrid, malgré son succès et le renfort de la population ouvrière de la capitale espagnole, a fini par représenter une impasse et une sorte de fin - momentanée au moins. Pourquoi ? Est-ce simplement dû au fait que les syndicats ont gardé le contrôle sur la mobilisation ouvrière, sur l'organisation de la Marche sur Madrid, sur les mots d'ordre et les revendications - souvent régionalistes et corporatistes -, au fait qu'ils ont même en partie réussi à retourner contre les ouvriers l'usage de l'auto-défense contre la répression en en faisant un mythe et une fin en soi, limitant ainsi au maximum tout risque de réelle extension et généralisation du mouvement ? Certainement, les syndicats et les forces politiques de gauche ont joué leur rôle et tout fait pour enfermer les ouvriers dans leur spécificité de « mineurs » et dans les « sauvons notre région » - et malheureusement aucun groupe communiste n'a pu, ou n'a su, intervenir, s'opposer aux côtés des ouvriers aux impasses et sabotages syndicaux, et avancer des mots d'ordre et des perspectives d'actions alternatives. Mais ceci ne suffit pas à expliquer les limites des luttes ouvrières actuelles - car les limites de la mobilisation en Espagne sont sensiblement les mêmes que celles que le prolétariat international rencontre un peu partout. Pourquoi le rôle des agents de la bourgeoisie en milieu ouvrier, syndicats, partis de gauche, gauchistes, et leur action ne suffisent pas pour expliquer que la classe ouvrière n'arrive pas à ce jour à porter ses luttes au niveau requis par la situation (gravité de la crise capitaliste et des attaques) ? Alors que jamais dans l'histoire du capitalisme - nous pesons nos mots -, les conditions objectives n'ont autant favorisé l'évolution du rapport de forces entre les classes en faveur du prolétariat. Jamais dans l'histoire du capitalisme, la bourgeoisie a dû attaquer le prolétariat avec une telle force - nous n'en sommes qu'au début - et de manière aussi frontale, dans tous les pays et dans tous les secteurs, au même moment, alors que l'ensemble de la classe ouvrière - bien que subissant le matraquage mensonger incessant de l'idéologie bourgeoise - n'en reste pas moins loin d'adhérer aux grands thèmes nationalistes, démocratiques, anti-terroristes, anti-fascistes ou autres de cette idéologie. Ces attaques frontales et massives ne font que commencer et vont même redoubler, non seulement parce que la crise économique est insoluble du point de vue capitaliste mais aussi justement parce que la bourgeoisie n'a d'autre choix que de pousser à ce que l'ensemble de la société se mobilise et s'engage dans une nouvelle guerre impérialiste généralisée ».
Si l’analyse est partiellement juste – le régionalisme est dénoncé mais déploré l’absence de drapeau rouge (comme reflet indirect de quoi ? de la présence des gauchistes !) - elle apparaît encore insuffisante et impuissante à expliquer la paralysie du prolétariat et sa soumission aux successifs sabotages syndicaux. Absence du parti communiste mondial, répliqueraient les bordiguistes. Simple mon cher Watson !
Tous ces maximalistes vont vous dire qu’on paye encore la confusion entrainée par la chute du bloc de l’Est, mais aucun ne va évoquer le refroidissement impliqué par l’échec ou la comédie démocratique des révolutions de jasmin, terminées en eau de boudin musulmaniaque, ni la persistance de guerres confuses et très meurtrières comme en Syrie et au Mali. Faudrait-il imaginer comme les stupides idéologues idéalistes de Perpective internationaliste et de Controverses en Belgique, qu’il suffirait de compenser en promettant la société communiste la vraie, la pure aux prolétaires dispersés ?
Les révoltes dans les pays arabes, pourtant si bien téléguidées depuis Washington, avaient suscité un certain espoir dans la classe ouvrière mondiale. Vu de loin. De près, et après avoir vu le film tourné sur la place Tahrir, lamentable, débats anémiques, slogans « allah akbar » + « dégage » à la tonne, le tout enveloppé des voiles nationaux et de quelques pauvres femmes voilées, toujours plus ou moins en danger, même voilées.
La division de la classe ouvrière par une utilisation intensive de la compétition religieuse pèse lourdement sur le cerveau des vivants, et sur l’esprit internationaliste ! Il  faut donc réfléchir sur les carences politiques avant de s’emballer sur des luttes (certes ouvrières) mais strictement économiques et nullement porteuses d’une dynamique internationaliste.
La « fraction » de ce point de vue – qui raisonne avec le bla-bla du grand gourou disparu Marc Chirik des années 80 (la lutte en extension et en profondeur) – reste au ras des pâquerettes,  puis se trompe carrément en accusant le CCI (l’organisation mère) de ne pas avoir assez surenchéri sur le terrain : « A aucun moment, le CCI n'appelle l'ensemble de la classe ouvrière à rejoindre les mineurs et à transformer la "marche noire" organisée par les syndicats en une véritable manifestation ouvrière. Pire même, le tract finit en appelant à ce que chacun "se change soi-même" comme condition au développement de la lutte... ». Marche noire ou rouge, il n’y avait rien à projeter ni à amplifier sur un terrain noyé depuis des mois par l’aristocratie syndicale et policière.
 Et le CCI, plus prudent, a fourni une analyse plus perspicace : « C’est à ce problème que la grève des mineurs a dû faire face. Ces derniers ont été enfermés dans une lutte pour “sauver les mines de la nation”. Toute la combativité et toute la colère ont été canalisées à travers des affrontements stériles avec la police pour bloquer les lignes ferroviaires ou les autoroutes. Cependant, le 11 juillet, lors de la marche des mineurs sur Madrid, beaucoup de travailleurs de la capitale ont rejoint la manifestation par solidarité et se sont eux-mêmes mis en lutte. Les syndicats ont alors hâtivement renvoyé les mineurs chez eux et ont annulé les appels à la lutte, en promettant des mobilisations futures à des dates très lointaines ».
La fraction imagine qu’il suffit d’invoquer les grands ancêtres pour sortir du marasme :
« Tout ceci fait que les grandes masses prolétariennes, avec le soutien déterminé de leurs minorités les plus conscientes et les plus combatives que sont les groupes politiques communistes, se doivent de retrouver la perspective de la révolution prolétarienne et du communisme. Ce chemin passe par le retour aux générations ouvrières et communistes du passé ; pour l'ensemble du prolétariat international, par reprendre le chemin des combats ouvriers libérés des mensonges et des illusions démocratiques ; pour les minorités communistes organisées, outre leur intervention décidée dans les luttes ouvrières auxquelles elles peuvent participer, par la défense des expériences ouvrières du passé, et tout spécialement de la Révolution russe de 1917, de l'insurrection ouvrière, de l'exercice de la dictature prolétarienne ; et du parti bolchevique de Lénine que le bourgeoisie s'évertue à salir. »
NOUS, LA CLASSE OUVRIERE ( ? c’est le CCI qui se prend pour)
Le CCI à son tour, pose la bonne question :
« Alors, comment faire, comment se battre ? Malgré la montée de la colère, qui se traduit par des affrontements de plus en plus réguliers avec la police, les journées d’action montrent qu’elles ne servent à rien. On voit bien depuis des décennies que cette forme “d’action” ne sert que de défouloir stérile et de quadrillage d’une classe ouvrière mise bien en rang derrière les banderoles syndicales, souvent saucissonnée par “corporations”, et prise entre les barrières de la police et le bruit des hauts parleurs des meneurs syndicaux empêchant toute discussion ».
Et plonge dans l’exaltation des mouvements sans lendemain de la petite bourgeoisie « indignée » mais pas réellement « révoltée » :
« Ce que représentait encore le mouvement des Indignés dès ses débuts et que les discussions en son sein ont montré, c’était l’espoir dans un autre monde. Cet espoir, la confiance que la classe ouvrière doit développer en elle-même, doit développer et faire vivre dans ses luttes, sont de puissants et indispensables leviers pour dépasser les pièges qu’une bourgeoisie aux abois ne cessera de nous mettre dans les jambes et dans la tête. Cela permettra de se dégager des mouvements à répétition qui ne donnent rien, sinon la démoralisation et la démobilisation. Cela ne viendra pas tout seul, par un coup de baguette magique, mais par la compréhension profonde que les seules perspectives qui s’ouvrent pour l’humanité sont celles que peuvent lui offrir la classe ouvrière, unie internationalement, pour ouvrir la voie vers le renversement d’un monde capitaliste en pleine déliquescence. La gravité de la crise, si elle fait grandir en nous une profonde colère, a aussi un aspect effrayant ; elle révèle qu’il ne s’agit pas de faire plier tel ou tel patron, tel ou tel ministre, mais bel et bien de changer radicalement le système, de lutter pour la libération de toute l’humanité des chaînes de l’exploitation. En sommes-nous capables ? Nous, la classe ouvrière, pouvons-nous accomplir une telle tâche ? Comment nous y prendre ? Face à la barbarie croissante et à l’incapacité de plus en plus manifeste du capitalisme à offrir autre chose que toujours plus de misère, toutes ces questions se posent et traînent dans les têtes, consciemment ou non. Le prolétariat a la force de retrouver confiance en lui-même, en sa capacité à s’unir et à faire vivre la solidarité en son sein… l’aube commence d’ailleurs à poindre à l’horizon ».
Or le CCI est le meilleur parangon du sectarisme qui sévit en milieu maximaliste, où prédomine la compétition pour la prise du pouvoir… spirituel…

A suivre

mardi 16 octobre 2012

REMANIEMENT A LA CGT: PLAYMOBIL EST REMPLACE PAR LE PAON

Cauchemar syndical
Thibault, oligarque CGT a enfin pu nommer son remplaçant. La culture stalinienne ne change pas, c'est le cador qui élit son successeur à la tête de la machinerie aristocratique disons "salariée" et pas du tout ouvrière. Le Paon était déjà un bonze en charge de hautes fonctions. A ce stade les bonzes sont équivalents aux commis de gouvernement. Et on se fout du changement de képi de ces appareils d'encadrement bourgeois, changement nécessaire toutefois également pour l'appareil CFDT, vu l'égale compromission de Chérèque avec la comédie sarkozienne de liquidation des retraites au profit d'une minorité d'aristocrates du public. Le sel du patronyme du nouveau cador nous permet une allégorie historique. Qu'on me pardonne cette futilité mais il n'est pas interdit de se gausser des traîtres professionnels syndicaux. Le paon fût un  cauchemar pour Darwin. Il mit longtemps à comprendre sa place dans l'évolution. Le paon ne sert à rien en soi, sauf à faire la roue, comme tout discoureur syndical.
Paradoxe apparent, pour Darwin, la sélection élimine de la reproduction les individus non adaptés. Or le paon mâle vole moins bien que les femelles. Il est bien trop voyant pour les prédateurs et il n'est pas comestible pour les humains. Ce que Darwin n'avait pas intégré c'est que la sélection est un compromis (naturel pas syndical). Certes les attributs du paon mâle ne facilitent pas sa survie mais ils montrent combien il est vigoureux et que ses gènes sont les meilleurs aux yeux des femelles. Il a donc plus de chances de se reproduire et de faire la joie des cirques et des cours de ferme.
Comme les bonzes syndicaux.

PS:  en langue française  faire le paon signifie se mettre en valeur d'une façon ostentatoire, place à un nouveau guignol syndical.

dimanche 14 octobre 2012

L'ACTE FONDATEUR DE LA DECADENCE DU FOOT HEXAGONAL

Zidane, une érection à scandale
Œuvre d'Adel Abdessemed [1] installée il y a un mois sur le parvis du Centre Pompidou à Paris, la statue représentant la rencontre inamicale entre Zinédine Zidane et Marco Materazzi, lors de la finale de la Coupe du monde 2006, a suscité une tardive réaction de réprobation de la part d'une trentaine de présidents de districts. Dans une lettre ouverte à l'ancien numéro 10 des Bleus, ils se sont adressés à "l'ancien champion sportif, au futur entraîneur, à l'homme et surtout au papa (...), afin [qu'il puisse] dénoncer et faire cesser immédiatement cette utilisation négative de [son] image", et aussi qu'il "témoigne de [son] soutien indéfectible aux valeurs éducatives de notre football, pour lesquelles nous sommes nombreux à nous battre" (AFP). Nos braves dirigeants du foot d'en bas ont ainsi lancé une sorte d'appel à la censure [2] en estimant qu'un artiste n'avait pas le droit de s'emparer de ce sujet en ces termes.
COULÉS DANS LE BRONZE
Pourtant, la scène représentée n'appartient pas exclusivement au football, à la Coupe du monde FIFA™ ou à ses deux protagonistes, dans la mesure où elle est directement entrée dans l'imaginaire mondial en faisant l'objet d'innombrables reprises, parodies, détournements et autres memes sur Internet. Selon un processus très classique, l'artiste s'est emparé de ce morceau de culture populaire pour en faire un objet plus strictement artistique, en détournant voire en inversant les codes de la statuaire. Là où il s'agit généralement de glorifier un quelconque héros national en l'immortalisant à son zénith dans une pose, la composition s'arrête à un moment trivial et violent, peu flatteur quoique profondément visuel (l'artiste a ainsi joué de la contradiction entre l'impression de mouvement qui se dégage de la posture des deux joueurs, une fraction de seconde après l'impact, et la lourdeur de cette composition de cinq mètres de haut, qui fige la scène).
Le geste est d'ailleurs à mettre en relation avec la frénésie d'érections de statues qui s'est emparé des stades anglais, dont les spectateurs sont accueillis par de glorieux anciens – plus ou moins anciens, puisque Thierry Henry a pu inaugurer son effigie de bronze devant l'Emirates Stadium avant de rejouer quelques semaines pour Arsenal en chair et en os. Cette vogue ouvrira peut-être aux sculpteurs européens un marché sans précédent depuis les monuments aux morts de l'entre-deux-guerres, alors on peut souffrir que pour cent statues apologétiques, une prenne le contrepied et questionne toutes les autres. Pour éviter tout malentendu, celle-ci a même été placée devant un musée et non devant un stade.
UNE ERREUR MONUMENTALE
Cette statue a des allures de provocation, et alors? Si l'art devait s'en tenir à la bienséance et prendre garde de ne pas choquer, on en serait encore à colorier des vierges au fond des chapelles. Et puis cet épisode a une relation intime avec les provocations: celles qu'ont échangées Zidane et Materazzi ce jour-là et auxquelles le capitaine français a cédé. On a assez tenté d'expliquer et de justifier ce geste – avec force contorsions pseudo philosophiques ou simili psychologiques – pour être en droit d'en proposer d'autres lectures. Certains ont même voulu y voir une forme de noblesse ou de grandeur. La vérité est que Zidane a commis une énorme erreur à cet instant, qui a pris une dimension tragique du fait de la nature de l'instant: un instant en Mondovision, tout au bout d'une carrière, d'une Coupe du monde et d'une finale... ce qui n'enlève rien à son absurdité foncière.
Le commissaire de l'exposition a évoqué "une ode à la défaite". Là encore à rebours de la logique de la statuaire religieuse ou officielle, mais en plein dans la mythologie du sport français en général et du football national en particulier, de 1958 à 1993 en passant par 1976 et 1982. Le choix du personnage contrarie cependant la perception commune, qui voit plutôt en Zidane la figure emblématique de l'équipe de France qui gagne, faisant abstraction de 2002 et prenant (assez à juste titre) le parcours de 2006 comme une victoire tant il fut inattendu et impliqua quelques grands héros de 1998 et 2000. Après son match fantastique contre le Brésil en quart de finale et sa panenka au début de la finale, la légende était en marche. Elle s'est arrêtée sur le plexus du défenseur italien. Comment interdire à un tel destin – fût-il contrarié – d'exciter l'imagination d'un artiste? [3]
SACRÉ ZIDANE
Cela n'est pas entré en considération pour Philip Guyot de Caila, président d'un district de Bourgogne: "L’image du foot à travers un geste violent, et celle du champion Zidane en particulier, est très utile pour faire un coup marketing et non pas artistique. Sous le couvert de l’art, peut-on véhiculer n’importe quel type de message?" (L’Équipe) Ironique, tant "l'image du champion Zidane" a effectivement servi à faire des coups marketing – et plus encore, des campagnes entières – au profit de quelques multinationales (lire "Zidane, espèce d'icône"). Mais cette instrumentalisation ne choque pas la morale ni le sens du "sacré" du sport contemporain, qui veut occulter sa violence et béatifier ses champions. En revanche, l'œuvre d'Adel Abdessemed prend une portée blasphématoire aux yeux de nos présidents de district, qui s'adressent directement au saint homme et dénoncent un mélange de sacrilège et d'atteinte à son image de marque qui rejaillirait sur l'ensemble du football, y compris amateur.
Tout cela relèverait évidemment de la farce et de l'anecdote si l'époque n'était pas à négocier la liberté d'expression précisément avec ceux qui ne la tolèrent pas. Après les tentatives de restauration d'un délit de blasphème et les injonctions à ne pas choquer ces malheureux croyants, voilà que les héros sportifs devraient bénéficier des prérogatives de prophètes qu'il serait interdit de représenter en fâcheuse posture, pour ne pas démoraliser leurs disciples. On peut trouver laid, inopportun ou sans intérêt le "Coup de boule" d'Abdessemed, pas contester son droit à l'existence.
[1] L'artiste algérien bénéficie d'une exposition intitulée "Je suis innocent" à l'intérieur du bâtiment.
[2] Ce sont les termes employés par Alain Seban, président du Centre.
[3] "J'ai reçu la violence du geste de Zidane, depuis l'écran, en plein visage. J'ai voulu montrer le côté sombre du héros, le goût du destin inéluctable et l'immédiateté retentissante d'un geste", a-t-il déclaré au Figaro.