PAGES PROLETARIENNES

lundi 5 décembre 2011

Pourquoi les arabes votent-ils aussi inconsciemment que les occidentaux ?


Du fait qu’il n’y a pas eu de révolution, ni bourgeoise ni prolétarienne dans les pays du croissant arabe, la polémique creuse entre ceux qui crient haro sur l’islamisme « galopant » et ceux qui prétendent qu’il s’agit de respecter un « libre choix » des peuples « libérés des dictateurs », n’est qu’un mensonge de plus des médias pour obscurcir la réalité de la domination capitaliste ininterrompue.

Si les élections « libres » avaient été dangereuses nul doute que l’impérialisme américain et ses alliés occidentaux et régionaux comme Israël se seraient une nouvelle fois ligués pour maintenir la dictature de tel ou tel dictateur. La victoire de l’islamisme est bienvenue pour la bourgeoisie US qui entend préserver son contrôle de la principale zone pétrolière du monde. Il n’était pas question d’importer de quelconques partis républicains ou de faire naître artificiellement des partis laïques en terre colonisée et où les puissants dictateurs ont toujours régné grâce à la religion de la soumission musulmane. Ces pays n’ayant connu ni révolution industrielle ni une classe ouvrière capable de s’affirmer historiquement au moment de la décolonisation, ont maintenu leurs peuples dans l’arriération religieuse, cette superstition tutélaire et séculaire pour les méprisés et les offensés.

Plus profondément, nulle part l’Etat bourgeois dictatorial simple n’a été renversé. Le pouvoir est resté localisé dans les mains du gouvernement. Seules ont été renversées des têtes couronnées naguère sous la protection des impérialismes. Le pouvoir bourgeois a continué à s’exercer grâce à ses institutions particulières comme l'Administration, la police, l'armée et l'appareil de l'État inchangé. Ces institutions ont donc continué à élaborer et transmettre les décisions au nom de la nation (avec le soutien inconscient du drapeau dans lequel s’enveloppaient les manifestants), en particulier organiser les élections dites démocratiques et punir, en attendant, ceux qui croyaient l’heure d’une libération humaine advenue. Le pouvoir ainsi maintenu n’est pas simplement politique, il s’exerce en même temps par l'intermédiaire d'un certain nombre d'institutions qui ont l'air de n'avoir rien en commun avec le pouvoir politique, qui ont l'air d'être indépendantes de lui alors qu'elles ne le sont pas. Via la famille, et, d'une façon générale, de tout le système scolaire qui, en apparence, est fait pour distribuer le savoir, est fait pour maintenir au pouvoir la caste sociale privilégiée et exclure des instruments du pouvoir toute autre classe sociale. Les institutions de savoir, de prévoyance et de soins, comme la médecine, aident aussi à soutenir le pouvoir politique. Ces institutions étaient restées dans les mains des diverses sectes islamistes et leur croissant rouge, avec une puissance de rayonnement comparable à celle des syndicats et des particules de gauche dans les pays occidentaux. C’est le même jeu opposition/pouvoir qui a entraîné l’adhésion des masses. Ce pouvoir ambigu repose évidemment sur un terrorisme quotidien, une violence politique obscure. Démasquer cette violence politique obscure, immanente, dont la religion est le masque rédempteur, est impossible dans de telles conditions même pour les infimes minorités de prolétaires conscients qui ont refusé de participer à la mascarade du choix impossible entre mêmes fractions arriérées seules autorisées à concourir, comme nos grands partis étatiques institutionnels dits républicains et composés exclusivement d’avocats, de magistrats et de l’élite de l’ENA, machine à fabriquer les « hommes d’Etat » de la bourgeoisie.

Le pouvoir politique, en Orient comme en Occident, va beaucoup plus profond qu'on ne le soupçonne; avec ses centres et des points d'appui invisibles, peu connus. Sa véritable force de mystification se trouve là où on ne s'y attend pas, dans les masses elles-mêmes mystifiées. La domination étatique, qui se renouvelle à chaque élection « démocratique », n'est pas simplement l'expression, en termes politiques, de l'exploitation économique, elle est instrumentée par ses soit disantes « oppositions » religieuses et laïques. Il est entendu par démocratie l'exercice effectif du pouvoir par une population qui ne serait ni divisée ni ordonnée hiérarchiquement en classes, et qui est présumée détacher pour les fonctions de régentement gouvernemental des clans politiques qui ne lui doivent aucun compte et qui basent leur seule séduction sur le changement… dans la continuité étatique. Il est clair que le régime de dictature de classe, ce pouvoir de classe qui s'impose par la violence de ses divers instruments pré-existants moralistes et culpabilisant l’individu rétif[1], ne peut que se perpétuer au mieux avec le système d’élections de fractions au programme bourgeois et religieux, comme en Occident règne toujours l’alliance du sabre et du goupillon. Le pouvoir dit religieux ou laïque est toujours la religion du pouvoir. Il n’a rien à voir avec le sens immémorial et jamais réalisé de la démocratie comme pouvoir du peuple. Le peuple est sensé confier le pouvoir à ceux qui s’en emparent pour le garder à leur profit. Le pouvoir est toujours confiscation des voix des électeurs. Les électeurs ne font que ratifier un pouvoir déjà existant. La sous-ministre Mme Jeannette Bougrab a commis une gaffe en disant que des dictatures avaient aussi été élues. Ce qui fut confirmé jadis par les élections pour les Mussolini et Hitler. Gaffe parce que la démocratie bourgeoise est de la même manière une dictature.

Le prolétariat ne s’étant pas exprimé comme tel avec ses propres organismes et partis, comme en Occident, il n’y avait donc aucune alternative à la dictature que la dictature. Certains pourraient objecter que les masses arabes ont besoin de faire l’expérience des élections dites « libres » comme les prolétaires des pays développés pour, malgré les ignominies qui les attendent avec les divers clans islamistes, apprendre à se constituer en force politique. Cette expérience fût le lot des prolétaires européens au mitan du XIXème siècle. Des parlementaires, élus du peuple, tentèrent d’affirmer la politique de la classe ouvrière, comme non limitée à la lutte économique syndicale, et pour affirmer un projet de société révolutionnaire. Cette politique de participation au jeu démocratique pipé de la démocratie bourgeoise s’est avérée être un échec sur toute la ligne, en particulier au moment de la Première Guerre mondiale. Depuis la mystification démocratique est demeurée malgré tout très forte. Elle a imprégnée toutes les classes sociales comme une véritable nouvelle religion, en grande partie du fait de l’échec de la révolution mondiale après l’étouffement de la révolution prolétarienne en Russie.

Les peuples, le prolétariat surtout, ont besoin d’exemples concrets, ou de croire qu’un autre type de société est possible. L’idéologie démocratique se nourrit de cet empirisme et dénonce avec candeur toute alternative au capitalisme comme utopique. Après la chute du socialisme de caserne russe, les Verts, anciens gauchistes, ont remplacé l’idéologie stalinienne par la prétention d’une société du possible raisonnable, maintenant les classes dans un espoir de parvenir à une « terre propre » et d’une économie non polluante dont les PME seraient la colonne vertébrale. En Occident ce libéralisme anarchiste est bien mis à mal par la crise systémique. En Orient, l’islamisme, qui a repris le bâton de commandeur des « libérateurs nationaux » devenus dictateurs, dénonce la pornographie occidentale et prétend également annoncer une terre propre aux nouveaux croyants démocratiques. Les corbeaux noirs psalmodient la même fable occidentale que des milliers sont morts "pour que tu puisses voter". C’est la même crise systémique qui va mettre à mal le pouvoir des barbus hystériques, soft ou hard. Les prolétaires des pays arabes, qui souffrent déjà et ne se font guère d’illusions, auront eux aussi à se confronter à leur nouvelle démocratie dictatoriale. Ils ne trouveront la force politique de se confronter aux appareils d’Etat que s’ils ne se laissent pas enfermer dans les prétendues solutions nationales, en renouant avec l’histoire politique et sociale de leurs frères de classe des pays européens. Mais à condition que ceux-ci s’engagent au même niveau dans la lutte frontale contre l’Etat. Il faut malheureusement le redire, c’est forcément le prolétariat des pays développés qui doit montrer l’exemple pour faire tomber les barrières nationales, linguistiques et religieuses dans les pays arabes dits libérés des dictateurs, mais pas de l’Etat ni de l’armée bourgeoise. Sinon, si le prolétariat occidental, chinois ou russe, ne se relève pas, ils seront embrigadés eux aussi dans la seule véritable solution capitaliste, la guerre mondiale, une nouvelle fois.

Pour le prolétariat universel il n’existe pas d’autre alternative que le programme communiste, renversement de l’Etat et élections véritablement démocratiques[2], non de partis bourgeois seuls en lice, mais de comités révocables chargés de mettre fin à l’exploitation, à la corruption généralisée et aux guerres de rapine pétrolière.

Nous ne sommes rien, soyons tout !


[1] L’individu électeur est isolé dans « l’isoloir », livré à lui-même, par conséquent livré à la mystification dominante du faux choix dit démocratique, c'est-à-dire ficelé dans cette puissance obscure...comme à confesse, comme au parloir du prisonnier ; il peut s’exprimer mais derrière des grilles ou des barreaux qui aliènent son jugement. La puissance démocratique invisible est alors semblable alors à un dieu tout puissant devant lequel il faut s’agenouiller.

[2] Interdiction de vote aux membres les plus haïs des classes exploiteuses, aux officiers militaires, aux anciens patrons, etc.