PAGES PROLETARIENNES

samedi 5 novembre 2011

UN LIVRE A NE PAS ACHETER : COMMENT LES EDITIONS BOURGEOISES VEULENT "assassiner" une deuxième fois UN GRAND REVOLUTIONNAIRE


Promotion planétaire pour une merde typique de l’idéologie de chiottes de la droite bourgeoise, une biographie de Trotsky « basée sur des archives » prétend démontrer la « méchanceté » et l’ignominie cachée du révolutionnaire russe. Toute la presse bourgeoise de Marianne à Libération célèbre une biographie totale, essentielle et « définitive » de Trotsky, par un universitaire britannique, Robert Service, qui porte bien son nom pourtant, au… service des pires infamies contre-révolutionnaires et qui suintent du cadavre stalinien, preuve que celui-ci est encore utile à l’ordre dominant. Je ne connais pas Vincent Presumey, et je ne cite que pour partie sa réponse (excellente) à cette nouvelle infâmie de trou du cul universitaire dans la lignée des faussaires du « livre noir du communisme » et du petit télégraphiste, ex-lambertiste parvenu Benjamin Stora. Vous pouvez vous reporter sur le web au nom de Vincent Presumey pour lire l’intégralité de son analyse précise et impeccable qui démonte une nouvelle merde éditoriale destinée à ridiculiser l’histoire du mouvement révolutionnaire, et d’un de ses meilleurs représentants (malgré les critiques que lui a porté la Gauche communiste de Bordiga à Chirik) et qui vient à point pour épauler l’idéologie bourgeoise démocratoque bien en peine pour se sortir de sa crise économique finale… à la veille du soulèvement des prolétariats de tous les pays !

Analyse d’un cas clinique : le Trotski de Robert Service.

Le bruit court d’éditos en éditos dans la presse française, aux rubriques « culture », « livres » ou «histoire » : une biographie de Trotsky est parue qui serait LA biographie définitive !

Dans L’Express, un certain Emmanuel Hecht exulte : « Le britannique Robert Service publie la première véritable biographie du fondateur de l’armée rouge. » Dans Le Point, c’est le glossateur Patrick Besson qui pousse le cri de joie, oyez bonnes gens : « Staline avait raison » (c’est le titre) et poursuit : « Le trotskysme c’était bien. Avant Service ». A bien le lire, le billet de Patrick Besson peut être pris pour de l’humour : son auteur est l’un des très rares éditorialistes à avoir ainsi un tant soit peu assuré ses arrières. Nulle ironie, nulle précaution, par contre, chez un Marc Riglet dans Lire, dans une presse qui se présente comme plus spécialisée et moins pipole : « Nous tenons en main la grande biographie critique que Lev Davidovitch Bronstein, tout simplement, méritait. » C’est vrai, quoi, il ne l’a pas volé, le saligaud, les meilleurs châtiments arrivent sur le tard, mais attention, « Non qu’il s’agisse d’une biographie à charge - ce qui serait absurde tant les enjeux de cette sorte n’ont plus cours aujourd’hui », mais, voyez vous, le grand historien d’Oxford (pensez-vous ! Oxford ! ), a percé en Trotsky (M. Riglet écrit Trotski, comme Service) « les « misérables petits tas de secret » qui font la vente d’un homme. » (sic). Involontairement le chroniqueur nous en dit plus qu’il ne voudrait : de misérables petits secrets plutôt que de la grande histoire. Nous allons voir qu’en effet, c‘est bien de cela qu’il s’agit : à Trotsky la grande histoire, à Service ses petits tas. On pourrait continuer cette énumération : plus nuancé, Philippe Cohen dans Marianne s’interroge quand même un peu sur les sources de R. Service, remarquant que « les notes en russe non traduites ne facilitent pas la vie du lecteur qui est curieux », mais il ne va pas, et on peut le comprendre, jusqu’à soupçonner que ceci serait la plupart du temps fait exprès pour que le lecteur veuille bien admettre qu’il y a une source (il aurait pu, cela dit, remarquer la fréquence de l’absence pure et simple de notes après les affirmations les plus graves) … P. Cohen appelle donc de ses vœux un « révisionnisme salutaire ». Le révisionnisme, au bon sens du terme, c’est le quotidien de la vraie recherche historique. Disons tout de suite que de ce point de vue le livre du dénommé Service Robert, professeur à Oxford, ne révise rien (et copie beaucoup sans jamais le dire) des deux grands biographes de Trotsky qui l’ont précédé, et qui à la différence de lui méritent tous deux d’être appelés « grands » et « biographes », Isaac Deutscher et Pierre Broué. Aucun des éditorialistes et chroniqueurs précédemment cités n’a à l’évidence lu Deutscher et Broué et l’on peut douter que certains aient lu Service. A priori, il ne devrait pas en aller de même de Benjamin Stora, véritable historien que son histoire personnelle a de plus sans doute porté à lire Deutscher et Broué. Que celui-ci, tout en formulant quelques réserves et en signalant quelques erreurs de taille, en arrive néanmoins à écrire, dans son compte-rendu du Monde des livres, que « Les partisans et les admirateurs de Trotski auraient tort de passer à côté d’un tel livre » en dit long sur le degré d’abdication de la pensée et d’abaissement moral qui sévit aujourd’hui dans la presse « culturelle » en France. Les partisans de la révolution socialiste aujourd’hui ne passeront pas, en effet, à côté d’un livre présenté comme important, émanant des sommets de l’université britannique (Oxford, mon cher ! ) et consacré à Trotsky. Mais de là à faire pénitence et contrition comme le suggère en quelque sorte Benjamin Stora, malgré les réserves qu’il fait sur ce livre, il faudrait qu’une condition nécessaire soit remplie : que ce livre soit un livre d’histoire, écrit par un historien. B. Stora avait-il connaissance, en rédigeant sa chronique pour le Monde, du jugement définitif porté dans l’Américan Historical Review par Bertrand Patenaude, qui n’est ni un partisan ni un admirateur de Léon Trotsky, mais qui est un historien honnête, sauvant ce qui reste d’honneur à l’Université : « Dans son enthousiasme à abattre Trotsky, Service commet de nombreuses distorsions de l’histoire ainsi que de véritables erreurs factuelles à tel point que l’on peut s’interroger sur l’intégrité intellectuelle de l’entreprise. » « Service ne parvient pas à étudier d’une manière sérieuse les idées politiques de Trotsky dans ses écrits et ses discours -il ne semble pas non plus s’être jamais donné la peine de se familiariser avec elles. » (…)

Victimes collatérales de Service.

Au passage, Service trouve moyen d’insulter le secrétaire de Trotsky, Jean Van Heijenoort, militant trotskyste jusqu’en 1947, puis mathématicien et logicien de première importance. Nous apprenons que Van, comme on l’appelait, « utilisait ses fonctions auprès de Trotsky pour se procurer les documents dont il avait besoin. » en vue de préparer sa future carrière universitaire ! C’est là une interprétation « de celles dont Service est capable » : Van utilisait évidemment ses fonctions avec Trotsky pour se procurer et lui procurer des documents, il réfléchissait aux rapports entre mathématiques, dialectique et pragmatisme, et était très loin d’envisager sa future carrière, n’envisageant que son combat militant devant des années certaines de guerre, de révolution, de lutte à la vie à la mort. Mais bon, nous dit Service par ailleurs, il sortait la nuit, pour rencontrer des femmes, et cela c’était contre Trotsky, bon sang de bien sûr ! Il faut croire que Service voue une aversion particulière aux jeunes hommes proches du Vieux. Plusieurs chapitres auparavant, p. 454, il parle de la mort tragique de Jacob Blumkine, qu’il orthographie Blioumkine - l’orthographe est erronée, mais elle fait plus Juif … Blumkine est une belle et héroïque figure. Militant socialiste-révolutionnaire ayant tiré sur l’ambassadeur allemand pour tenter de briser le traité de Brest-Litovsk, il est gagné dans une longue conversation par Trotsky, officiellement exécuté pour ne pas susciter de représailles allemandes, et devient l’homme clef du contre-espionnage soviétique. En 1929 il va voir Trotsky fraichement exilé, et est fusillé à son retour en URSS. C’est le premier « trotskyste » officiellement exécuté (d’autres avaient été liquidés discrètement avant lui). Service a son petit avis bien à lui, et bien digne de lui, sur ce lascar : « Blioumkine jouait double jeu, mais cela ne lui pas évité pas la mort. Quel qu’ait été le fin mot de l’histoire, une nouvelle étape venait d’être franchie dans l’escalade de la répression … » Blumkine agent double, venait donc espionner Trotsky … Pas de source, pas de preuve, comme d’hab’. Pour Service le fait d’être un haut gradé du Guépéou est sans doute suffisant.

Service tel qu’en lui-même.

Ces notes approchent de leur fin. Il est temps pour nous d’en venir aux choses qui intéressent vraiment Robert Service, éminent professeur à Oxford. Nous pouvons sincèrement le plaindre : à l’évidence, tout ces livres de ce Trotsky qui ne pouvait pas s’empêcher de dire ce qu’il pensait, toutes ces tentatives de « coup d’Etat », l’ont beaucoup ennuyé, lui qui, bien au dessus de tout cela, a percé à jour le vrai Trotsky. Le vrai Trotsky: un Juif, ne manquant pas de sous, et attirant les femmes ! Oh certes, le Service petit-bourgeois antisémite prend soin de camoufler ses traces, bien que nous ayons déjà rencontré pas mal d’entre elles. Le chapitre Trotsky et les Juifs ne contient pas de traits antisémites, ou alors au second degré et entre les lignes, alors qu’on peut en trouver au premier degré et en toutes lettres ailleurs dans ce livre. Il s’agit de nous démontrer que Trotsky avait un problème avec ses « origines », qu’il les assumait mal. La preuve : le fait qu’il les ait invoquées pour refuser d’être, de fait, le n° 2 ou l’égal officiel de Lénine, dans des conversations avec celui-ci rapportées par Trotsky. Il semble vraisemblable que cette raison n’était pas la seule et, surtout, il est avéré que Trotsky, pendant toute la période de la révolution et la guerre civile, a de fait occupé les fonctions les plus exposées, de toute façon. Ce chapitre est un chapitre de camouflage. Le Service antisémite se présente par touches discrètes mais insistantes et répétées. Nous l’avons vu judaïsant les noMr, le prénom de Trotsky ; il transforme aussi son oncle Spenzer en Chpenzer, et ne rectifie pas une citation où le vrai nom de Zinoviev est présenté comme étant Liberman, alors qu’il s’appelait Radomilsky. Comme l’a noté David North, la judéité de Trotsky est une question centrale pour Service. Il l’affuble d’un instituteur qui lit la Torah, se référant au petit livre d’Eastman sur la jeunesse de Trotsky, où il n’est pas question de Torah, mais bien de Bible. Il définit les traits de caractère de Trotsky comme typique des Juifs émancipés voulant faire oublier et oublier eux-mêmes qu’ils sont Juifs. Les illustrations de l’édition de langue anglaise comportaient une caricature nazie de « Leiba Trotzky-Bronstein » ainsi commentée par Service : « En réalité, son vrai nez n’était pas aussi long et aussi tordu, et il n’a pas laissé sa barbiche ni ses cheveux devenir aussi hirsutes et mal entretenus. » Cette illustration et ce commentaire ont disparu de l’édition française. Après avoir fait mourir Natalia Sedova en 1960 (au lieu de 1962), proclamé une dernière fois que la plupart des proches de Trotsky « trouvèrent la mort à cause de lui » (hé oui, puisque Staline, qu’il avait tellement « agacé », les a tués ! ), Service se penche sur certains des descendants de Trotsky (écartant Sieva Volkoff, qui vécut au Mexique et est resté dans une certaine proximité politique avec le trotskysme), rectifiant au passage dans l’édition française (grâce à ses critiques américains qui avaient dénoncé la bourde, et sans le dire bien sûr) sa confusion sur celui des fils de Trotsky dont Genrietta Rubinstein avait été l’épouse (Serguei et non pas Lev, Service les ayant inversés à plusieurs reprises). Le but de ces derniers mots est de nous conduire à l’un des descendants qui est devenu, paraît-il, un hassidim pieux en Israël, portant menorah et kippa (ces précisions essentielles sont de Service ! ). La leçon est claire et n’a pas à être explicitée : chassez le Juif, il revient toujours (et ça se transmet par les gènes).

Associé à cette obsession rampante de la judéité de Trotsky, nous avons vu aussi les allusions continuelles au fait qu’il ne manquait de rien, en clair : qu’il était riche, ce qui fut loin d’être en réalité le cas. Il est vrai qu’il a généralement évité la misère noire, ce que tous les émigrés révolutionnaires furent loin de faire, mais faut-il le lui reprocher ? Pour Service la réponse est oui. Le diable allant se nicher dans les détails, voici un petit exemple frappant de petite falsification. Le jeune Bronstein a commencé à se politiser dans sa dix-septième année, de manière rapide, en fréquentant un petit cercle qui se retrouvait dans la cabane d’un jeune ouvrier jardinier, Franz Chigovsky. Bien. Vous ne le trouverez pas dans l’index, mais sachez que p. 63, à l’occasion de la mention d’un informateur de la police fréquentant aussi la cabane, celui-ci est présenté par Service comme « l’un des ouvriers de Chvigovsky ». Qu’est-ce à dire ? Chvigovsky, d’ouvrier jardinier, a été subrepticement transformé en patron jardinier employant des ouvriers ! On pourra donc dire que le jeune Trotsky fréquentait de riches patrons … Tel est le niveau, tel est le caniveau, où l’histoire oxfordienne aujourd’hui se vautre. Au même niveau, il nous reste un dernier aspect important, pour Service : les femmes ! Nous avons un chapitre carrément titré Trotsky et ses femmes. Juif, riche, et entouré de femmes ! Quel fils de pute comme aurait dit le brave colonel Robbins ! Que nous ramène au juste Service en dehors de l’impression qu’il cherche délibérément à donner sur Trotsky attirant les femmes comme un aimant ? Rien de plus que ce que l’on savait déjà, une maigre moisson : Trotsky a eu deux femmes dans sa vie, son initiatrice en marxisme Alexandra, mère de ses filles, et Natalia, mère de ses garçons, militante elle aussi et qui fut son ange-gardien pendant des décennies, et il a fait une petite crise de « démon de midi » comme on dit en France, crise psychique (et il y avait de quoi) vues les conditions de son exil, après avoir reçu un accueil extraordinaire au Mexique, avec un beau météore, Frida Kahlo. Mais Service voudrait ramener d’autres prises, alors il cancane. Trotsky courrait les jupons du quartier à Coyoacan, si, si. Et pendant la guerre civile, Larissa Reisner, surnommée - entre autres par Trotsky, qui avait de l’admiration pour elle en tant que franc-tireuse de l’armée rouge - la « Pallas de la révolution », l’a dragué. Diantre ! Et, surtout, il y a eu Clare Sheridan, sculptrice, qui fit son buste et, dans une moiteur torpide et feutrée, fut séduite par la bête … N’en jetez plus !

Dans les illustrations, Service a mis une photo, un peu ridicule mais envers laquelle Trotsky n’est pour rien, de Clare Sheridan en pamoison devant le fameux buste. A vrai dire, il la fait passer pour une idiote, alors qu‘il s‘agissait d‘une forte personnalité. Le récit de Clare Sheridan, publié en français dans le Cahier Léon Trotsky n°2 (Service connait pas), montre quelqu’un de spirituel et contient des remarques fines sur la personnalité de Trotsky. Tout indique d’ailleurs qu’ils n’ont pas « couché » … Goddam ! Mais je me risquerai à avancer la vraie raison qui émoustille tant le Service à propos de Clare Sheridan : quand même, elle, la cousine de Winston Churchill, a failli coucher avec lui ! Really shocking et tellement exciting ! Allez, finissons de faire pleinement connaissance avec Service ! Comme il n’a pas grand-chose à se mettre réellement sous la dent sous le titre Trotsky et ses femmes, il parle d’Alexandra Kollontai, sans rapport avec son sujet, mais Kollontai, il a dû apprendre au cours de sa folle jeunesse que ça fait très « sexe et révolution ». Et il se lance, attention c’est du lourd : « L’âge n’y fit rien : elle fréquenta à l’approche de la cinquantaine un homme deux fois plus jeune qu’elle, au nom évocateur : Marcel Body. » (« corps » en anglais). La Kollontai, la garce, à cinquante ans, elle couche avec un type qui s’appelle body, By Jove ! Goddam et bouteille de rhum ! C’est bolchevique mais ça lève la cuisse ! On ose à peine imaginer le Service se tapant sur les cuisses de sa magistrale découverte (il ne sait pas, par ailleurs, qui est Marcel Body, militant ouvrier français), une bouteille de whisky frelaté à la main ! Ah quand même, prof à Oxford, c’est quelque chose ! Cela en procure, des jouissances intellectuelles ! Laissons là, maintenant, notre cuistre à sa cuistrerie. Il est temps de conclure : l’affaire est grave.

* * *

Il y a un handicap à démolir comme il se doit un tel ouvrage. C’est que bien des honnêtes gens, nigauds ou pas, entendant dire que ce livre est vraiment, vraiment mauvais, risquent de penser qu’après tout, c’est là déclaration de trotskystes dont on a brûlé l’idole : ils auraient reniflé le blasphème ! Défendre Trotsky, on y est habitué. La colère, la sainte colère qui m’a pris en lisant Service, n’est pas spécifiquement « trotskyste ». Au bout de quelques dizaines de pages, quand vous réalisez que les points d’exclamation que vous alignez sur les marges n’ont plus un sens de critique historique, de discussion politique, voire de polémique idéologique, mais sont des annotations de professeur indigné devant l’ignorance, la maladresse, la mauvaise construction d’un devoir exceptionnellement nul et exceptionnellement prétentieux, alors il ne s’agit plus seulement de Trotsky qui, en tant que tel, n’a, relativement à Service, nullement besoin d’être défendu. Il s’agit de la culture, il s’agit de la science, il s’agit de l’intelligence, il s’agit du respect. L’exceptionnalité du livre de Service n’est pas sa tentative ratée de « déboulonnage » de Trotsky. Elle est que nous avons affaire à un livre indigne du nom de livre d’histoire, et, en fait, indigne du nom de livre. Le dernier degré de la négligence, de l’ignorance et de la crasse. Dans l’absolu, il semblerait concevable d’écrire un livre contre Trotsky qui respecte les sources, les règles élémentaires de l’édition et de l’histoire, la véracité et la vérification des faits. Ce livre, force est de le constater, n’existe pas, et quand l’université d’Oxford et un bataillon de laudateurs nous annoncent sa parution, il s’avère qu’il frise littéralement l’illettrisme. Plus grave encore, des légions d’éditorialistes n’y voient que du feu, et même un Benjamin Stora ne sait plus renifler la barbarie. Quel est ce signe politique et moral qui nous est ainsi adressé, par lequel l’ordre social en place prétend nous annoncer qu’on en a fini avec Trotsky ? Fallait-il que pour en finir avec Trotsky ils en finissent aussi avec ce qui fut leur propre culture, avec le fait de savoir écrire et de savoir lire ? Il semblerait que oui. Involontairement, ces messieurs fixent les enjeux du siècle actuel.

Vincent PRESUMEY, mi-octobre 2011.

vendredi 4 novembre 2011

LA MYSTIFICATION DEMOCRATIQUE


par Jacques Camatte (1969)

L’assaut du prolétariat aux citadelles du capital ne pourra se faire avec une quelconque chance de succès qu’à la condition que le mouvement révolutionnaire prolétarien en finisse, une fois pour toutes, avec la démocratie. Celle-ci est le dernier refuge de tous les reniements, de toutes les trahisons, parce qu’elle est le premier espoir de ceux qui croient assainir, revigorer le mouvement actuel pourri jusqu’en ses fondements.
«La vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique.» (Marx – Huitième thèse sur Feuerbach)

1) D’une façon générale, nous pouvons définir la démocratie comme le comportement de l’homme, l’organisation de celui-ci lorsqu’il a perdu son unité organique originelle avec la communauté. Elle existe donc durant toute la période qui sépare le communisme primitif du communisme scientifique.

2) Elle naît à partir du moment où il y a division entre les hommes et partage de l’avoir. Cela veut dire qu’elle naît avec la propriété privée, les individus et la division de la société en classes, avec la formation de l’Etat. Il s’ensuit qu’elle devient de plus en plus pure au fur et à mesure que la propriété privée devient plus générale et que les classes apparaissent plus nettement dans la société.

3) Elle suppose un bien commun mis en partage. Dans la société antique, la démocratie limitée présupposait l’existence de l’ager publicus et les esclaves n’étaient pas des hommes. Dans la société moderne, ce bien est plus universel (touche un plus grand nombre d’hommes), plus abstrait, illusoire: la patrie.

4) La démocratie n’exclut en aucune façon l’autorité, la dictature et donc l’Etat. Au contraire, elle en a besoin comme fondement. Qui peut garantir le partage, qui veut régler le rapport entre les individus et entre ceux-ci et le bien commun, sinon l’Etat? Dans la société capitaliste pleinement développée, l’Etat se présente aussi comme le gardien de la répartition à un double point de vue: empêcher que la plus-value ne soit grignotée par le prolétariat, garantir la répartition de celle-ci sous forme de profit industriel, profit commercial, intérêt, rente, etc. entre les différentes sphères capitalistes.

5) Elle implique donc l’existence des individus, de classes et de l’Etat; ce qui fait qu’elle est à la fois mode de gouvernement, mode de domination d’une classe, ainsi que le mécanisme d’union et de conciliation. Les processus économiques, en effet, à l’origine, divisent les hommes (procès d’expropriation) unis dans la communauté primitive. Les antiques rapports sociaux sont détruits. L’or devient puissance réelle remplaçant l’autorité de la communauté. Les hommes sont opposés à cause d’antagonismes matériels tels qu’ils pourraient faire éclater la société, la rendre invivable. La démocratie apparaît comme un moyen de concilier les contraires, comme la forme politique la plus apte à unir ce qui a été divisé. Elle représente la conciliation entre la vieille communauté et la société nouvelle. La forme mystificatrice réside dans l’apparente reconstruction d’une unité perdue. La mystification était progressive. Au pôle opposé de l’histoire, de nos jours, le processus économique a abouti à la socialisation de la production et des hommes. La politique, au contraire, tend à les diviser, à les maintenir comme simples surfaces d’échange pour le capital. La forme communiste devient de plus en plus puissante au sein du vieux monde capitaliste. La démocratie apparaît comme une conciliation entre le passé encore agissant en notre présent actuel et le futur: la société communiste. La mystification est réactionnaire.

6) Il a été souvent affirmé qu’au commencement de la vie de notre espèce, dans le communisme primitif, il y avait des germes de démocratie, certains parlent même de formes. Or il y a incompréhension que dans la forme inférieure on peut trouver les germes de la forme supérieure se manifestant sporadiquement. Cette «démocratie» apparaissait dans des circonstances bien définies. Celles-ci une fois révolues, il y avait retour à l’ancien mode d’organisation. Exemple: la démocratie militaire à ses débuts. L’élection du chef se faisait à un moment précis et en vue de certaines opérations. Celles-ci accomplies, le chef était résorbé dans la communauté. La démocratie qui se manifestait temporairement était réabsorbée. Il en fut de même pour les formes du capital que Marx appelle antédiluviennes. L’usure est la forme archaïque du capital-argent qui pouvait se manifester dans les vieilles sociétés. Mais son existence était toujours précaire parce que la société se défendait contre son pouvoir dissolvant et la bannissait. Ce n’est que lorsque l’homme est devenu marchandise que le capital peut se développer sur une base sûre et qu’il ne peut plus être réabsorbé. La démocratie ne peut réellement se manifester qu’à partir du moment où les hommes ont été totalement divisés et que le cordon ombilical les unissant à la communauté a été coupé; c’est-à-dire quand il y a des individus. Le communisme peut parfois se manifester dans cette société, mais il est toujours réabsorbé. Il ne pourra vraiment se développer qu’à partir du moment où la communauté matérielle aura été détruite.

7) Le phénomène démocratique apparaît avec netteté au cours de deux périodes historiques: lors de la dissolution de la communauté primitive en Grèce; lors de la dissolution de la société féodale en Europe occidentale. C’est incontestablement au cours de cette seconde période que le phénomène apparaît dans sa plus grande ampleur parce que les hommes ont été réellement réduits à l’état d’individus et que les antiques rapports sociaux ne peuvent plus les maintenir unis. La révolution bourgeoise apparaît toujours comme une mise en mouvement des masses. D’où la question bourgeoise: comment unifier celles-ci et les fixer dans de nouvelles formes sociales. De là, la maladie institutionnelle et le déchaînement du droit en société bourgeoise. La révolution bourgeoise est sociale à âme politique. Au cours de la révolution communiste, les masses ont déjà été organisées par la société capitaliste. Elles ne vont pas chercher de nouvelles formes d’organisation mais elles vont structurer un nouvel être collectif, la communauté humaine. Ceci apparaît nettement lorsque la classe agit en temps qu’être historique, lorsqu’elle se constitue en parti. Plusieurs fois dans le mouvement communiste, il a été affirmé que la révolution n’est pas un problème de formes d’organisation. Pour la société capitaliste, en revanche, tout est question organisationnelle. Au début de son développement, ceci apparaît dans la recherche des bonnes institutions; à la fin dans celle des structures les plus aptes à enserrer les hommes dans les prisons du capital: le fascisme. Aux deux extrêmes, la démocratie est au coeur de ces recherches: la démocratie politique d’abord, sociale ensuite.

8) La mystification n’est pas un phénomène voulu par les hommes de la classe dominante, une supercherie inventée par eux. Il suffirait d’une simple propagande adéquate pour l’extirper des cerveaux des hommes. Elle agit en fait, dans les profondeurs de la structure sociale, dans les rapports sociaux. «Il faut qu’un rapport social de production se présente sous la forme d’un objet existant en dehors des individus et que les relations déterminées dans lesquelles ceux-ci entrent dans le procès de production de leur vie sociale, se présentent comme des propriétés spécifiques d’un objet. C’est ce renversement, cette mystification non pas imaginaire, mais d’une prosaïque réalité, qui caractérise toutes les formes sociales du travail créateur de valeur d’échange.» (Marx – Contribution à la critique de l’économie politique) Il est donc nécessaire d’expliquer en quoi la réalité est mystificative et comment cette mystification simple, au début, devient de plus en plus grande et atteint son maximum avec le capitalisme.

9) A l’origine, la communauté humaine subit la dictature de la nature. Elle doit lutter contre elle pour survivre. La dictature est directe, et la communauté dans sa totalité, la subit. Avec le développement de la société de classes, l’Etat se pose en représentant de la communauté, prétend incarner la lutte de l’homme contre la nature. Or, étant donné la faiblesse du développement des forces productives, la dictature de cette dernière est toujours opérante. Elle est indirecte, médiatisée par l’Etat et pèse surtout sur les couches les plus défavorisées. Lorsque l’Etat définit l’Homme, il prend, en fait, comme substrat de sa définition, l’homme de la classe dominante. La mystification est totale.

10) Sous le capitalisme, on a une première période où, bien que la bourgeoisie ait pris le pouvoir, le capital n’a encore qu’une domination formelle. Beaucoup de restes de formations sociales antérieures persistent, faisant obstacle à sa domination sur l’ensemble de la société. C’est l’époque de la démocratie politique où s’effectue l’apologie de la liberté individuelle et la libre concurrence. La bourgeoisie présente cela comme moyens de libération des hommes. Or c’est une mystification parce que «la concurrence n’émancipe pas les individus, mais le capital» (Marx – Grundrisse). «On voit ainsi combien il est inepte de présenter la libre concurrence comme le développement ultime de la liberté humaine, et la négation de la libre concurrence comme la négation de la liberté individuelle et de la production sociale fondée sur la liberté individuelle, puisqu’il s’agit simplement du libre développement sur une base étroite -celle de la domination du capital-. De ce fait, cette sorte de liberté individuelle est à la fois l’abolition de toute liberté individuelle et l’assujettissement de l’individu aux conditions sociales qui revêtent la forme de puissances matérielles, et même d’objets supérieurs et indépendants des rapports des individus. Ce développement de la libre concurrence fournit la seule réponse rationnelle que l’on puisse faire aux prophètes de la classe bourgeoise qui la portent aux nues, ou aux socialistes qui la vouent aux gémonies.» (Marx – Ibid)

11) «La démocratie et le parlementarisme sont indispensables à la bourgeoisie après sa victoire par les armes et par la terreur parce que la bourgeoisie veut dominer une société divisée en classes.» (Battaglia Communista – 1951) Il y avait nécessité d’une conciliation pour pouvoir dominer car il était impossible qu’une domination perdure uniquement par la terreur. Après la conquête du pouvoir, par la violence et la terreur, le prolétariat n’a pas besoin de la démocratie non pas parce que les classes disparaissent du jour au lendemain mais parce qu’il ne doit plus y avoir masquage, mystification. La dictature est nécessaire pour empêcher tout retour de la classe adverse. De plus, l’accession du prolétariat à l’Etat, est sa propre négation en tant que classe, ainsi que celle des autres classes. C’est le début de l’unification de l’espèce, de la formation de la communauté. Réclamer la démocratie impliquerait l’exigence d’une conciliation entre les classes et cela reviendrait à douter que le communisme est la solution de tous les antagonismes, qu’il est la réconciliation de l’homme avec lui-même.

12) Avec le capital, le mouvement économique n’est plus séparé du mouvement social. Avec l’achat et la vente de la force de travail, l’union s’est opérée, mais elle a abouti à la soumission des hommes au capital. Celui-ci se constitue en communauté matérielle et il n’y a plus de politique puisque c’est le capital lui-même qui organise les hommes en esclaves. Jusqu’à ce stade historique, il y avait une séparation plus ou moins nette entre production et distribution. La démocratie politique pouvait être envisagée comme un moyen de répartir plus équitablement les produits. Mais lorsque la communauté matérielle est réalisée, production et distribution sont indissolublement liées. Les impératifs de la circulation conditionnent, alors, la distribution. Or la première n’est plus quelque chose de totalement extérieur à la production, mais est, pour le capital, un moment essentiel de son procès total. C’est donc le capital lui-même qui conditionne la distribution. Tous les hommes accomplissent une fonction pour le capital qui, au fond, présuppose leur existence. En rapport avec l’exécution de cette fonction, les hommes reçoivent une certaine distribution de produits par l’intermédiaire d’un salaire. Nous avons une démocratie sociale. La politique des revenus est un moyen d’y parvenir.

13) Durant la période de domination formelle du capital (démocratie politique) la démocratie n’est pas une forme d’organisation qui s’oppose en tant que telle au capital, c’est un mécanisme utilisé par la classe capitaliste pour parvenir à la domination de la société. C’est la période où toutes les formes incluses dans cette dernière luttent pour parvenir à ce même résultat. C’est pourquoi, pendant une certaine période, le prolétariat peut lui aussi intervenir sur ce terrain. D’autre part, les oppositions se déroulent aussi au sein d’une même classe, entre bourgeoisie industrielle et bourgeoisie financière par exemple. Le parlement est alors une arène où s’affrontent les intérêts divers. Le prolétariat peut utiliser la tribune parlementaire pour dénoncer la mystification démocratique et utiliser le suffrage universel en tant que moyen d’organiser la classe. Lorsque le capital est parvenu à sa domination réelle, s’est constitué en communauté matérielle, la question est résolue: il s’est emparé de l’Etat. La conquête de l’Etat de l’intérieur ne se pose plus car il n’est plus «qu’une formalité, le haut goût de la vie populaire, une cérémonie. L’élément constituant est le mensonge sanctionné, légal des Etats constitutionnels, disant que l’Etat est l’intérêt du peuple ou que le peuple est l’intérêt de l’Etat» (Marx).

14) L’Etat démocratique représente l’illusion de la conduite de la société par l’homme (que celui-ci puisse diriger le phénomène économique). Il proclame l’homme souverain. L’Etat fasciste est la réalisation de la mystification (en ce sens il peut apparaître comme sa négation). L’homme n’est pas souverain. En même temps, il est, de ce fait, la forme réelle, avouée, de l’Etat capitaliste: domination absolue du capital. L’ensemble social ne pouvait pas vivre sur un divorce entre la théorie et la pratique. La théorie disait: l’homme est souverain; la pratique affirmait: c’est le capital. Seulement, tant que ce dernier n’était pas parvenu à dominer, de façon absolue, la société, il y avait possibilité de distorsion. Dans l’Etat fasciste, la réalité s’assujettit l’idée pour en faire une idée réelle. Dans l’Etat démocratique l’idée s’assujettit la réalité pour en faire une réalité imaginaire. La démocratie des esclaves du capital supprime la mystification pour mieux la réaliser. Les démocrates veulent la remettre en évidence lorsqu’ils croient pouvoir concilier le prolétariat avec le capital. La société a trouvé l’être de son oppression (ce qui abolit la dualité, la distorsion réalité-pensée), il faut lui opposer l’être libérateur qui représente la communauté humaine: le parti communiste.

15) De là découle que la plupart des théoriciens du XIXème siècle étaient étatistes. Ils pensaient résoudre les données sociales au niveau de l’Etat. Ils étaient médiatistes. Seulement, ils ne comprenaient pas que le prolétariat devait non seulement détruire l’ancienne machine de l’Etat, mais en mettre une autre à la place. Beaucoup de socialistes crurent qu’il était possible de conquérir l’Etat de l’intérieur, les anarchistes de l’abolir du jour au lendemain. Les théoriciens du XXème siècle sont corporativistes parce qu’ils pensent qu’il s’agit seulement d’organiser la production, de l’humaniser pour résoudre tous les problèmes. Ils sont immédiatistes. C’est un aveu indirect de la validité de la théorie prolétarienne. Dire qu’il faille concilier le prolétariat avec le mouvement économique, c’est reconnaître que c’est uniquement sur ce terrain que peut surgir la solution. Cet immédiatisme vient du fait que la société communiste est de plus en plus puissante au sein même du capitalisme. Il ne s’agit pas de faire une conciliation entre les deux mais de détruire le pouvoir du capital, sa force organisée, l’Etat capitaliste, qui maintient le monopole privé alors que tous les mécanismes économiques tendent à le faire disparaître. La solution communiste est médiate. La réalité semble escamoter l’Etat, il faut le mettre en évidence et, en même temps, indiquer la nécessité d’un autre Etat transitoire; la dictature du prolétariat.

16) Le devenir vers la démocratie sociale était escompté dès le début: «Tant que la puissance de l’argent n’est pas le lien des choses et des hommes, les rapports sociaux doivent être organisés politiquement et religieusement.» (Marx) Marx a toujours dénoncé la supercherie politique et mis à nu les rapports réels: «C’est donc la nécessité naturelle, ce sont les propriétés essentielles de l’homme, toutes étrangères qu’elles puissent sembler, c’est l’intérêt, qui tiennent unis les hommes de la société bourgeoise dont le lien réel est donc constitué par la vie bourgeoise et non par la vie politique.» (Marx – La Sainte Famille) «Mais l’esclavage de la société bourgeoise est, en apparence, la plus grande liberté, parce que c’est, en apparence, l’indépendance achevée de l’individu pour qui le mouvement effréné, libéré des entraves générales et des limitations imposées à l’homme, des éléments vitaux dont on l’a dépouillé, la propriété par exemple, l’industrie, la religion, etc. est la manifestation de sa propre liberté, alors que ce n’est en réalité que l’expression de son asservissement absolu et de la perte de son caractère humain. Ici, le privilège a été remplacé par le droit.» (Marx – La Sainte Famille)
La question de la démocratie ne fait que reposer, sous une autre forme, l’opposition fallacieuse entre concurrence et monopole. La communauté matérielle intègre les deux. Avec le fascisme (= démocratie sociale), démocratie et dictature sont elles aussi intégrées. Par-là même, c’est un moyen de surmonter l’anarchie. «L’anarchie est la loi de la société bourgeoise émancipée des privilèges classificateurs, et l’anarchie de la société bourgeoise est la base de l’organisation publique moderne, de même que cette organisation est à son tour la garantie de cette anarchie. Malgré toute leur opposition, elles sont conditions l’une de l’autre.» (Marx – La Sainte Famille)

17) Maintenant que la classe bourgeoise, celle qui dirigea la révolution, qui permit le développement du capital, a disparu, remplacée par la classe capitaliste qui vit du capital et de son procès de valorisation, que la domination de celui-ci est assurée (fascisme) et que de ce fait il n’y a plus besoin d’une conciliation politique, parce que superflue, mais d’une conciliation économique (corporativisme, doctrine des besoins, etc.), ce sont des classes moyennes qui se font les adeptes de la démocratie. Seulement, plus le capitalisme se renforce, plus l’illusion de pouvoir partager la direction avec le capital s’évanouit. Il ne reste plus que la revendication d’une démocratie sociale à prétentions politiques: planification démocratique, plein emploi, etc. Cependant, la société capitaliste, en créant l’assistance sociale, en essayant de maintenir le plein emploi réclamé, réalise, la démocratie sociale en question: celle des esclaves au capital. Avec le développement des nouvelles classes moyennes, la revendication de la démocratie se teinte -seulement- de communisme.

18) Ce qui précède concerne l’aire euro-nord-américaine, mais n’est pas valable pour tous les pays où pendant longtemps a prédominé le mode de production asiatique (Asie, Afrique) et où il prédomine encore (Inde par exemple). Dans ces pays, l’individu n’a pas été produit. La propriété privée a pu apparaître mais elle ne s’autonomise pas; il en est de même pour l’individu. Ceci est lié aux conditions géo-sociales de ces pays et explique l’impossibilité où se trouve le capitalisme de s’y développer, tant qu’il ne s’était pas constitué en communauté. Autrement dit, ce n’est que lorsqu’il est parvenu à ce stade que le capitalisme peut remplacer l’antique communauté et ainsi conquérir des zones immenses. Seulement, dans ces pays, les hommes ne peuvent pas avoir le même comportement que celui des occidentaux. La démocratie politique est obligatoirement escamotée. On ne peut avoir, tout au plus, que la démocratie sociale. C’est pourquoi nous avons, dans les pays les plus travaillés par l’implantation du capitalisme, un double phénomène: une conciliation entre le mouvement réel et l’antique communauté et une autre avec la communauté future: le communisme. D’où la difficulté d’approche de ces sociétés. Autrement dit, toute une grande portion de l’humanité ne connaîtra pas la mystification démocratique telle que l’a connue l’occident. C’est un fait positif pour la révolution à venir. En ce qui concerne la Russie, nous avons un cas intermédiaire. On peut constater avec quelle difficulté le capitalisme y est implanté. Il a fallu une révolution prolétarienne. Là aussi, la démocratie politique occidentale n’avait pas de terrain de développement et on peut constater qu’elle ne peut y fleurir. Nous aurons, comme dans l’occident actuel, la démocratie sociale. Malheureusement là-bas aussi, la contre-révolution a apporté le poison sous forme de la démocratie prolétarienne et, pour beaucoup, l’involution de la révolution devrait être recherchée dans la non-réalisation de celle-ci. Le mouvement communiste reprendra, en reconnaissant ces faits et en leur accordant toute leur importance. Le prolétariat se reconstituera en classe et donc en parti, dépassant ainsi le cadre étriqué de toutes les sociétés de classe. L’espèce humaine pourra finalement être unifiée et former un seul être.

19) Toutes les formes historiques de démocratie correspondent à des stades de développement où la production était limitée. Les différentes révolutions qui se sont succédées sont des révolutions partielles. Il était impossible que le développement économique puisse se faire, progresser, sans que ne se produise l’exploitation d’une classe. On peut constater que depuis l’antiquité ces révolutions ont contribué à émanciper une masse toujours plus grande d’hommes. D’où l’idée que l’on va vers la démocratie parfaite, c’est-à-dire une démocratie regroupant tous les hommes. Beaucoup, de ce fait, se sont empressés d’écrire l’égalité: socialisme = démocratie. Il est vrai qu’il est possible de dire qu’avec la révolution communiste et la dictature du prolétariat, il y a une masse plus importante d’hommes qu’auparavant entrant dans le domaine de cette démocratie idéale; qu’en généralisant sa condition de prolétaire à l’ensemble de la société, le prolétariat abolit les classes et réalise la démocratie (le manifeste dit que la révolution c’est la conquête de la démocratie). Il faut toutefois ajouter que ce passage à la limite, cette généralisation, est en même temps la destruction de la démocratie. Car, parallèlement, la masse humaine ne reste pas constituée à l’état de simple somme d’individus tous équivalents en droit sinon en fait. Ceci ne peut être que la réalité d’un moment très bref de l’histoire dû à une égalisation forcée. L’humanité se constituera en un être collectif, la Gemeinwesen. Celle-ci naît en dehors du phénomène démocratique et c’est le prolétariat constitué en parti qui transmet cela à la société. Lorsqu’on passe à la société future, il y a un changement qualitatif et non seulement quantitatif. Or la démocratie «est le règne anti-marxiste de cette quantité impuissante, de toute éternité, à devenir qualité». Revendiquer la démocratie pour la société post-révolutionnaire, c’est revendiquer l’impuissance. D’autre part, la révolution communiste n’est plus une révolution partielle. Avec elle se termine l’émancipation progressive et se réalise l’émancipation radicale. Là encore, saut qualitatif.

20) La démocratie repose sur un dualisme et est le moyen de le surmonter. Ainsi elle résout celui entre esprit et matière équivalent à celui entre grands hommes et masse, par délégation des pouvoirs; celui entre citoyen et homme, par le bulletin de vote, le suffrage universel. En fait, sous prétexte de l’accession à la réalité de l’être total, il y a délégation de la souveraineté de l’homme à l’Etat. L’homme se déleste de son pouvoir humain. La séparation des pouvoirs nécessite leur unité et ceci se fait toujours par violation d’une constitution. Celle-ci est fondée sur un divorce entre situation de fait et situation de droit. Le passage de l’une à l’autre étant assuré par la violence. Le principe démocratique n’est en réalité que l’acceptation d’une donnée de fait: la scission de la réalité, le dualisme lié à la société de classes.

21) On veut souvent opposer la démocratie en général qui serait un concept vide à une forme de démocratie qui serait la clef de l’émancipation humaine. Or qu’est-ce qu’une donnée dont la particularité est non seulement en contradiction avec son concept général mais doit en être la négation? En fait, théoriser une démocratie particulière (prolétarienne par exemple) revient encore à escamoter le saut qualitatif. En effet, ou cette forme démocratique en question est réellement en contradiction avec le concept général, et alors on a vraiment autre chose (pourquoi, alors, démocratie?), où elle est compatible avec ce concept et elle ne peut avoir qu’une contradiction d’ordre quantitatif (embrasser un plus grand nombre d’hommes par exemple) et, de ce fait, elle ne sort pas des limites même si elle tend à les repousser. Cette thèse apparaît souvent sous la forme: la démocratie prolétarienne n’est pas la démocratie bourgeoise, et on parle de démocratie directe pour montrer que si la seconde a besoin d’une coupure, d’une dualité (délégation de pouvoir), la première la nie. On définit alors la société future comme étant la réalisation de la démocratie directe. Ceci n’est qu’une négation négative de la société bourgeoise et non une négation positive. On veut encore définir le communisme par un mode d’organisation qui soit plus adéquat aux diverses manifestations humaines. Mais le communisme est l’affirmation d’un être, de la véritable Gemeinwesen de l’homme. La démocratie directe apparaît comme étant un moyen pour réaliser le communisme. Or celui-ci n’a pas besoin d’une telle médiation. Il n’est pas une question d’avoir ni de faire, mais une question d’être.

jeudi 3 novembre 2011

mercredi 2 novembre 2011

RIEN A FOUTRE DE L’INCENDIE DE CHARLIE HEBDO

article censuré sur Le Post, après des centaines de lecture, en fin de matinée jeudi 3 novembre; Le Post fait partie de la mafia dskclownesque Le Monde/20 minutes/Nouvel Obs/Charlie...

Alors que Charlie Hebdo - était poursuivi en 2007 après la publication de caricatures du prophète Mahomet pour « injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion » par la Grande mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), deux composantes du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) - était contraint à des excuses devant le tribunal correctionnel de Paris, un certain Nicolas Sarkozy affirmait dans une lettre lue à l’audience par l’un des avocats de l’hebdomadaire satirique : « Je tiens à apporter mon soutien à votre journal qui s’inscrit dans une vieille tradition française, celle de la satire ». C’était le début d’une longue amitié avec Philippe Val qui augurait de la future promotion de ce dernier triste sire à la radio d’Etat France Inter.

Le candidat Sarkozy voyait déjà préventivement un moyen opportun de fédérer à la queue de sa carrière politique des artistes marginaux et des dessinateurs avides de reconnaissance perpétuelle derrière la stigmatisation de la religion musulmane – superstition de pauvres toujours vaincus et « soumis » - considérée comme plus arriérée que la religion juive.

L’imposant mouvement de soutien de la presse française, du gouvernement et de l’ensemble de la classe politique bobo, jusqu'au cire-pompe ministériel Claude Guéant, à la bande de Charlie Hebdo, dont les locaux ont été incendiés la nuit dernière par des inconnus, donne une idée de la capacité de mystification des amis du « pouvoir ». L’initiative des incendiaires est d’autant plus productive que ce qui serait resté sans doute une couverture un brin provocatrice de plus, isolée parmi tant d’autres à travers la longue histoire de ce journal aussi navrant que le canard enchaîné, apparait aujourd’hui comme le symbole de la mise en cause d’un bien commun à la bourgeoisie et à son intelligentsia: la confusion. La possible implication machiavélique de l’action terroriste de soutiens obscurs à ce journal satirique miteux (et invendable) n’est pas plus à écarter que la lamentable déclaration rampante du réac en chef estimant que des « vrais musulmans » ne pouvaient avoir commis un tel acte. Le soi-disant athéisme anarchiste rejoint la conservation du bigotisme islamiste dans l’appel à l’œcuménisme démocratique sarkozien, pré-électoral mais qui risque fort de trébucher sur les calendes grecques.

Ce président cacahuète des riches n’a pas cessé depuis son accession (financée et occultée) au pouvoir de jouer avec les remugles du front national et du maréchal Pétain. Le sécuritaire haussé au rang de grande cause nationale contre la voyoucratie (confondue avec l’immigration et les roms). Le travailler plus pour gagner moins au profit des grands banquiers et des retraites dorées : travail, népotisme et fratrie mafieuse.

Le président du redressement national face à la crise « la plus grave depuis 1929 » n’a eu pourtant pour premier objet que de se mettre au service de l’impérialisme américain pour lui gagner les réserves pétrolières du croissant arabe au nom des « droits de l’homme » en allant bombarder la Libye. Et surtout pour contrarier les ambitions de la Chine et de la Russie au nom de la sauvegarde de l’Europe si chère à Jean Quatremer le député pigiste de Libération.

Le prétendu « danger islamiste » détient une double fonction :

- Diviser la classe ouvrière entre croyants (musulmaniaques) et incroyants (chrétiendolâtres ou agnostiques)

- Faire passer les populations arabes pour arriérées et vecteur d’un nouveau fascisme qui ne dit pas son nom, risque majeur pour une démocratie occidentale sans tâche quoiqu’impuissance à conserver ses industries.

Le présumé attentat contre les locaux de Charlie Hebdo – qu’il soit le fait de barbouzes ou de crétins fanatiques – vient à point pour justifier l’indignation de tous les bons penseurs bourgeois à la Jean Daniel face à la victoire du parti bigot Ennahda en Tunisie. Et de déplorer « l’arriération arabe » alors que les jeunesses cultivées arabes d’Oxford ou de sciences-po devaient légitimement prétendre à s’emparer du gâteau étatique. En vérité la presse occidentale ment et ment résolument. Toute campagne électorale repose sur le fric, et Ennahda prospéra en la perfide Albion à l’époque des dictatures. La victoire d’Ennahda n’est que la victoire de l’auguste bourgeoisie US via son obligée britannique.

Sous la compétition mondiale avec la Chine impérialiste, la bourgeoisie US a aiguisé les couteaux. Dans la crise de plus en plus irrésistible, la domination des dictateurs devenant étouffante, et la rétribution des armées tunisienne et égyptienne une charge pour les finances américaines, il était urgent de redonner du lustre aux fractions bourgeoises islamistes pour qu’elles assurent l’ordre dans ces contrées pétrolifères. Comme naguère, quand la bourgeoisie US avait financé et armé les talibans, le tapis rouge « démocratique » étalé pour les islamistes allait favoriser une continuité du pouvoir dictatorial sur les « masses arriérées » tout en permettant une main mise « gratuite » de l’impérialisme Us sur la région ; les islamistes soft au pouvoir sont si stigmatisés qu’ils ne pourront pas prétendre s’enrichir avec leur pétrole comme feu Kadhafi et consorts. La fin du financement de l’UNESCO par l’hyper puissance américaine en complicité avec son mirador israélien n’est qu’un épisode secondaire de la manœuvre, mais participe également du double langage visant à culpabiliser et inférioriser les peuples arabes en révolte, forcément incapables d’accéder à une « vraie démocratie » « forcément laïque ».

Excepté quelques dessinateurs intelligents et visionnaires (Placide et Willem), la moquerie de la religion islamiste est considérée comme « progressiste », alors que les amis de Messieurs Philippe Vall et Demorand sont à genoux devant les curés œcuméniques juifs, la famille Rothschild (Rothschild is one of the world's largest « independent financial » advisory groups, employing 3000 people in 42 countries around the world, cf. Rothschild s’ group sur le web). et le prophète anti-raciste Obama, chef de guerre accommodant du glorieux impérialisme US.

La moquerie des dessinateurs sarkoziens de Charlie Hebdo n’est donc pas neutre et participe de l’idéologie d’union nationale dans chaque nation subalterne du bloc américain, en vue de la venue d’une nouvelle guerre mondiale qui se profile dans l’impuissance des caïds capitalistes à résoudre leur crise mondiale et irréversible.

Le coran et son djihad ne peuvent être que la référence du camp militaire bourgeois opposé, mais qu’on me permette d’en référer à une autre sentence de ce livre, anonyme et apocryphe, sacrément bordélique comme l’ancien et le nouveau testament. Dans un verset, il est rapporté que ceux qui commencent les guerres, que Dieu désapprouve, sont les incroyants: « … Toutes les fois qu'ils allument un feu pour la guerre, Allah l'éteint. Et ils s'efforcent de semer le désordre sur la terre, alors qu'Allah n'aime pas les semeurs de désordre. (Le Coran, sourate al-Ma'ida, verset 64). Ni Allah ni le dieu chrétien n’ont jamais empêché ni éteint les guerres. Comme le capitalisme libéral, ses thuriféraires et ses dessinateurs, l’Islam n’est que la face opposée de la même pièce belliciste.

"Islam ostracizes the nation of the unbelievers and creates a state of permanent enemyship between the moslems and the unbelievers." Karl Marx (1818-1883)