PAGES PROLETARIENNES

dimanche 26 juin 2011

CRISE DE LA PETITE BOURGEOISIE ET OSTRACISME DE CLASSE

ci-contre, photo d'un mineur d'Harlan County en grève (Kentucky, USA 1973) dont on se souvient de la célèbre apostrophe: "au fond de la mine on est tous noirs".


Une idée essentielle doit marquer les esprits en notre époque trouble et troublée marquée par cet étonnant soulèvement des « masses arabes » aussi enthousiasmant que problématique pour l’observateur superficiel. Dans le même sens les manifestations pacifiques dans plusieurs villes d’Europe d’une jeunesse de classes moyennes – nommée « mouvement des indignés » - qui se prétend la copie des courageux soulèvements du croissant arabe, et qui demande simplement une meilleure justice sociale, renvoient à ce questionnement : frappées par la crise les couches petites bourgeoises de l’intelligentsia sont en colère. La colère n’est pas toujours bonne conseillère. Et peut être jugulée par les dominants. Ces mouvements qualifiés de démocratiques et « bon enfant » par toute la presse bourgeoise laissent de côté généralement la place et le rôle du prolétariat. Ce qui n’est pas nouveau, ni fait pour étonner tout maximaliste révolutionnaire. L’actualité monotone, sanglante et pleine de chausse-trappes peut bien égarer les esprits, aussi faut-il prendre le temps de lire et de reparcourir l’histoire des révoltes raciales ou paysannes. Je n’ai pas l’intention de polémiquer ici avec les auteurs des éditions bourgeoises cadenassées, excluant toute pensée marxiste ou simplement objective. Je ne veux m’adresser ici qu’à des camarades de combat du PCI (parti communiste international très réduit numériquement) dont je publie avec fraternité les communiqués réguliers et pertinents, qu’ils m’honorent de m’envoyer. Je réagis à leur dernier communiqué sur la Grèce où ils soulignent que « La lutte des prolétaires grecs contre une austérité de plus en plus dure anticipe la future lutte des autres pays européens ». Il est évident que le système capitaliste court à la catastrophe et masque celle-ci sous les particularismes attribués à certaines nations, les « grecs fraudeurs », les « espagnols dépensiers », les « portugais dispendieux », etc. et bientôt les « français inconscients » de l’ampleur de « leur » dette.

Contrairement à l’aristocratie imprévoyante, la bourgeoisie est par contre mieux armée idéologiquement et capable d’anticipation. Sous mille discours elle masque ou tente de masquer le danger que représente pour son règne la réaffirmation historique de la classe ouvrière. Cela les « bordiguistes » minoritaires l’ont parfaitement compris et le démontrent à chacun de leurs communiqués. Je critique ici une de leurs contradictions. D’une part ils s’évertuent à démontrer que les « ravages de la crise capitaliste » révèlent l’incapacité du capitalisme mais en fin de communiqué ils estiment paradoxalement que « Arrivant après des décennies de collaboration entre les classes, la crise capitaliste a affaibli le prolétariat dans tous les pays ». Je ne sais pas ce que signifie cette « collaboration des classes » dans la mesure où la « classe ouvrière » n’a pas son mot à dire, sauf à considérer que les aristocrates syndicaux en seraient les porte-voix et à les exonérer de leurs sabotages incessants de toute généralisation de la lutte avec les hâbleurs de la gauche bourgeoise. Au contraire, c’est quand même depuis au moins 40 années que la crise capitaliste provoque grèves et manifestations, certes de façon encore trop épisodiques et dispersées. Et par conséquent la crise en elle-même ne peut pas déboucher automatiquement sur une révolution ; la crise des années 1930, elle, a conduit à la guerre mondiale. Le souci légitime des bordiguistes est que le prolétariat « reconstitue sa force de classe s’il renoue avec les traditions des luttes de classe qu’il a menés autrefois ». Juste souci mais beaucoup de traditions sont mortes du point de vue de la classe ouvrière, traditions syndicales et parlementaires en particulier.

1. Le prolétariat ne mène pas un combat strictement économique :

Lénine s’était insurgé contre les «économistes » de son temps dans l’inoubliable Que Faire ? Et il aurait encore raison aujourd’hui, pas l’homme d’Etat « prolétarien » mais le fin analyste de la société capitaliste. Aujourd’hui toute une noria d’auteurs appointés par l’université et l’édition bourgeoise reprennent la même antienne : la crise a déstructuré la classe ouvrière perclus de toute solidarité minimum, pour les uns la classe ouvrière est orpheline de ses « idéaux » émancipateurs (Wieviorka) et pour les autres elle est en retard sur le multiculturalisme bcbg néo-US (les frères Fassin et Cie). Nous allons décrypter les arguments de ces divers intellectuels de gouvernement pour démontrer qu’ils entérinent cette croyance non tant à la disparition de la classe ouvrière, si nécessaire au capitalisme, mais à son… arriération. Nous ne pouvons combattre ces individus officiels dans le cadre des étalages marchands des supermarchés et des librairies cornaquées par la diffusion de trois ou quatre grands trusts. Nous n’allons pas nous gêner pour autant dans le cadre de ce modeste blog.

Diffusé massivement « La violence », ouvrage de Michel à prétention explicative de « l’échec du mouvement ouvrier » (poche Hachette 2005), explique cette fin très superficiellement en survolant deux siècles de luttes des classes présentés comme une fabulation pour des lendemains qui chantent surtout « imaginés par les ouvriers qualifiés » ; imaginant une fin de l’ère industrielle au début années 1970 laquelle aurait impliqué la « perte de centralité du mouvement ouvrier ». Cette fin de l’ère industrielle, pour maquiller consciemment une vraie crise du capitalisme, aurait entrainé une déstructuration du monde ouvrier, laquelle aurait favorisé une hyper bureaucratisation du monde syndical. On nage en plein délire d’un suppôt des think tanks de la gauche caviar. Ce sont la perte d’emploi, l’exclusion et le chômage, qui auraient poussés les ouvriers au repli. En gros, les prolétaires se seraient avérés n’être que de pauvres pacifistes et de vrais masochistes. Ce monsieur Wieviorka nous assure que : « Jadis la violence meurtrière n’était pas une ressource utilisée par les acteurs » (ouvriers). Toute l’histoire du mouvement ouvrier démontre le contraire quand à maintes reprises les prolétaires sont amenés à se battre poing nus et tendus et non pas en secouant de petites menottes comme les « indignés » petits bourgeois aux discours ampoulés d’étudiants en mal de verve. La violence vengeresse n’aurait été que le fait de la petite bourgeoisie déçue de l’incapacité de la classe ouvrière à faire vraiment la révolution dès 1968. Les terroristes gauchistes, déçus par les « masses », sont même intronisés fossoyeurs de ce mouvement ouvrier amorphe: « le terrorisme d’extrême gauche… est venu exprimer la fin du mouvement ouvrier et des idéologues marxistes-léninistes qui en faisaient le sel de la terre ». Grand événement du siècle ensuite, les violences urbaines ont conjugué délinquance et injustice sociale. A n’y plus rien comprendre… Wieviorka en pince pour l’idéologue tiers-mondiste et anticolonialiste du psychiatre Fanon quoique celui-ci pensa que le lumpenprolétariat était l’avant-garde révolutionnaire. Certitude de Wieviorka : « Nous sommes orphelins de deux grands conflits, l’un social – la lutte des classes et l’autre géopolitique et internationale la Guerre froide. » Exit Wieviorka qui ne fait que radoter les divers Aron, BHL, et autres maoïstes recyclés intellectuels de gouvernement.

Avec le groupuscule d’intellectuels appointés suivant le discours est plus vicelard, et démontre par devers eux que la question du « racialisme » est un excellent antidote généralisé contre toute prétention universaliste du prolétariat.

DE LA QUESTIONSOCIALE A LA QUESTION RACIALE est un ouvrage collectif sous la direction des frères Fassin qu’il faut néanmoins lire absolument (poche La découverte 2009).

Cette poignée d’intellectuels coalisés prétend s’ingénier à démontrer que la question sociale est aussi une question raciale. Certes. L’analyse est complexe et fouillée mais se situe entièrement hors du marxisme, comme dans le cas de ce pauvre Wieviorka, et de la conception de la classe ouvrière comme révolutionnaire. Ils adoubent l’article de 1995 de la philosophe nord-américaine Nancy Fraser : « On serait passé d’un combat contre l’inégalité économique à une lutte pour la reconnaissance de la différence » (p.257). Ce nouveau paradigme de la reconnaissance aurait eu lieu grâce à une relecture de Hegel… Révélons d’emblée que dans sa conclusion le maître d’œuvre frère Fassin donne une explication partielle qui n’est pas accompagnée par une remise en cause argumentée de l’idéologie multiculturaliste nord-américaine conjuguée à la sauce antiraciste par la gauche oligarchique et ses petits gauchistes et anarchistes humanitaires:

« Il est donc essentiel de saisir cette articulation de la question sociale et de la question raciale dans sa double dimension : d’un côté, en ce qu’elle est objectivement produite par des conditions historiques ; de l’autre en ce qu’elle est subjectivement construite par des agents sociaux ». C’est tout ce que le langage sociologique à prétention scientifique peut produire : on pose des questions en apparence compliquées, on étale des faits sociaux disparates et ou contradictoires pour retomber dans la même morale œcuménique du tous ensemble utopique dans un monde fondé sur l’injustice sociale, le mépris des foules spoliées et la terreur d’Etat. En prétendant renvoyer dos à dos les « deux grilles de lecture », républicanisme bourgeois et marxisme, ces sociologues restent dans le giron idéologique bourgeois de la bonne conscience antiraciste, pensant le racisme (qui n’est le plus souvent qu’ignorance ou peur de l’autre dans sa différence) comme le mal absolu à combattre de façon idéaliste :

« Autrement dit, deux grilles de lecture qui dominent encore largement la construction des représentations de notre société ont jusqu’à présent fait obstacle à cette prise de conscience. L’une vient de la tradition républicaine, et de sa réactivation contemporaine, et l’autre de la gauche plus particulièrement de l’héritage marxiste. La première n’a voulu voir que la distinction entre français et étrangers, tandis que la seconde a privilégié les distinctions de classe – sans prêter suffisamment attention au fait que, d’une part, en raison de ce qu’on appelle pudiquement leurs origines, certains français sont traités comme des étrangers et que, d’autre part, la discrimination raciale peut redoubler pour eux l’inégalité de classe. Les deux logiques de représentation de la société se conjuguent parfois chez les mêmes auteurs et les mêmes acteurs politiques pour écarter la question raciale avec l’ensemble des questions minoritaires jugées, au mieux, mineures et, au pire, dangereuses ».

Sympa de confondre le marxisme avec toute la racaille oligarchique socialiste et sarkozienne !

2. Prolétariat et explosion démographique multicolore :

En 1979, la maître penseur de notre ridicule président, Margaret Thatcher en campagne électorale décrit l’Angleterre comme submergée par les immigrés et leur culture. Si vous prenez le métro à Paris à Six heures du mat, vous pouvez observer des personnes, plus souvent noires de peau, endormies et qui « submergent » des sièges inconfortables. Certes le samedi si vous prenez la ligne qui mène à Saint Ouen, vous êtes persuadés que vous allez atterrir à Bamako ou à Tizi Ouzou. C’est ainsi, le capitalisme est un ogre à main d’œuvre de toutes races, surtout des anciennes colonies. Les immigrés qui travaillent à la sueur de leur front les employeurs ne se soucient pourtant guère de leur « culture ». Ce ne sont pourtant pas ceux qui violent nos filles ni braquent nos banques. Nous sommes désormais des races mélangées, où est le problème ? Il est extrêmement « diversifié » : les français sont racistes entre eux, les bretons sont détestés par les auvergnats, les juifs ashkénazes conchient les sépharades, les marocains haïssent les algériens. Quel monde compliqué !

Un auteur de la compilation fassinesque nous dévoile la « diversité américaine » (p47) : « La corrélation entre la classe et la couleur de peau au sein du monde noir américain a été globalement confirmée depuis. Dans une étude publiée en 1991, les sociologues américains Keith et Herring ont distingué arbitrairement cinq groupes de couleur au sein de la population noire – « foncé », « brun sombre », « brun médian », « brun clair » et « clair », en montrant le statut social de chacun de ces groupes : les cadres représentent par exemple 30% de la population des « clairs », contre 10% pour les « foncés » ; les ouvriers 20% des « clairs » contre 50% des « foncés ». Un Noir foncé a des revenus inférieurs à ceux d’un Noir clair. Aux Etats Unis, les Noirs à la peau foncée sont surreprésentés dans les prisons, tandis que la bourgeoisie noire est une bourgeoisie métisse ». « Le colorisme est en quelque sorte un sous-produit grinçant du racisme ». On se marre, on pense à la blague en 1968 de Sammy Davis Junior : « je suis noir, juif et borgne, et alors ? » !

Certes, la fin de l’esclavage et de la colonisation n’a pas remis en cause une hiérarchie sociale favorable aux « blancs » (bourgeois) et aux « bruns clairs » (parvenus).

« Vers 1900 en France, être un ouvrier était une position de classe plus qu’une position raciale, tandis qu’aux Etats Unis l’identité ouvrière s’est construite sur la classe et sur la race » (p.54). A vérifier… Constat des frères Fassin : dans les années 1980, on constate un abandon par les élites PS et par la plupart des intellos de gauche de la « défense de la classe ouvrière » (mais ce qui n’est pas dit : en complicité avec les gouvernements atlantistes Mitterrand) au profit de l’humanoïde anti-racisme.

3. Une utilisation politique des critères raciaux par le racisme de classe bourgeois :

Vrai. Pour Beaud et Pialoux la déstructuration de la classe ouvrière ne dépend pas que de la sphère du travail mais se comprend au niveau politique, du logement, de l’école, mais aussi a dépendu de préoccupations liée à la présence des immigrés. : « A nos yeux la racialisation des rapports sociaux ne prenait sens que dans le contexte d’affaiblissement du groupe ouvrier dans son ensemble et des difficultés structurelles rencontrées par la seconde génération ouvrière, notamment celle d’origine immigrée ».

Déploration. Dans les années 1970, la « culture d’atelier » « offrait un espace de socialisation conviviale aux nouveaux venus d’origine rurale ou immigrée. Puis c’est surtout hors de l’usine, dans les cités que les distances entre français et immigrés s’accusent : c’est là que les immigrés, pris en bloc et ethnicisés, deviennent le danger : les « français » ne voient plus dans les cités que la « minorité du pire ». Les « français » en général (ou « gaulois ») ont bon dos, la politique de la gauche caviar au pouvoir a été un parfait décalque de la politique multiculturaliste intronisée par Nixon (cf. mon livre sur l’aristocratie syndicale, chapitre sur le « printemps de la dignité » et « l’usine stade suprême de l’intégration »). La gauche caviar au pouvoir a favorisé les salles de prière et le port « démocratique » du voile musulman pour satisfaire les industriels. Puis la droite sarkozienne n’y a rien changé sur le fond avec son battage débile.

Nos sociologues s’acharnent à leur tour sur les djeuns des banlieues colorées :

« Cette racialisation s’accompagne chez ces jeunes des cités d’une vision étroitement binaire de la société française, le « nous » des cités et de leurs origines et, de l’autre, les « blancs », les « français », les « bourgeois », etc.

Beaud et Pialoux, plus lucides que les autres zozos intellos sur le milieu ouvrier, ont toutefois le mérite de remettre en cause la propagande bien connue de la gauche caviar (ces mêmes élites qui s’étaient mises à snober la classe prolétarienne à la fin des 70, étudiants gauchistes promus caciques du PS) selon laquelle les ouvriers auraient adhéré au FN, et confirment que le FN a recruté et recrute surtout chez les patrons indépendants, les médecins, commerçants, professions libérales et étudiants. Ils ajoutent avec justesse : « Ce mépris de classe a une histoire : il s’enracine dans une sorte d’incapacité des « élites » à comprendre ce que vivent « réellement » (la « mal-vie »…) les ouvriers et les employés en voie de prolétarisation ( ? mais non ils le sont déjà ! jlR) (…) « A force de ne pas les voir dans l’espace public, on s’expose à parler d’elles (les classes populaires) sans les connaître, en les identifiant à travers des préjugés sociaux, bref, on risque de renouer avec un « racisme de classe ». Oui mais je préfère le terme d'ostracisme, moins connoté..

« Il ne faut pas oublier qu’un des privilèges des classes supérieures est de pouvoir toujours « se débrouiller », notamment par la mise en place de stratégies résidentielles et scolaires, pour se mettre à l’abri des formes les plus dures de la violence sociale ». C’est quoi ces formes « les plus dures de la violence sociale » ? La ghettoïsation éloignée du centre ville avec des transports de merde !

Beaud et Pialoux oublient de rappeler combien les syndicats ont contribué à la division français/immigrés, notamment en ayant toujours défendu le programme hesselien du Conseil national de la résistance avec ses nationalisations interdisant l’embauche d’immigrés tout en jouant un travail « symbolique d’union ouvrière » et aux bonnes sœurs de l’antiracisme pour jour de foire synicale. Pour expliquer ce « certain racisme ouvrier » des nouvelles générations des ouvriers « blancs », ils arguent que ceux-ci « non seulement se retrouvent orphelins de cette classe ouvrière combative et des valeurs de solidarité qu’elle avait réussi à imposer, mais qui ont subi, à l’école comme dans l’espace public, la concurrence des « beurs » et/ou des « blacks », groupe devenu majoritaire dans la jeunesse populaire locale » (p.97). Les pauvres d’en bas s’entredéchirent et c’est leur faute !

Appelons au secours un syndicalisme de bon aloi et un activisme gauchiste creux :

« Cette logique de racialisation peut être combattue ou débordée par des logiques de solidarisation en acte des membres des classes populaires, que ce soit au travail ou à l’occasion d’autres luttes à l’extérieur de la sphère du travail. Il était, par exemple, frappant d’observer que les luttes contre les fermetures d’usines au cours de ces cinq dernières années – Cellatex à Givet, Daewoo à Longwy, Metaleurop à Noyelles – avaient à leur tête des militants ouvriers « beurs » de trente à quarante ans, qui ont, semble-t-il, fait l’unanimité autour d’eux ».

Semble-t-il ? Mais si le délégué syndical « immigré » trahit et fait sa carrière comme tous les autres bonzes « bien français », mon cœur antiraciste va-t-il lui pardonner ?

On nous apprend au passage que tous les noirs et les arabes ne sont pas idiots. Le savant noir William Julius Wilson, conseiller de Clinton, a proposé des analyses de la pauvreté en termes de classe. Ouf !

L’intello louche et versatile Taguieff est convoqué à la barre de nos compilateurs communautaristes : « l’utopie immigrationniste » l’emporte à gauche et chez les gauchistes envisageant une démocratie cosmopolite alors que la nation s’arcboute à l’immigration « choisie ». Puis vient plaider le méchant ex-maoïste, médaillé par Sarkozy, Finkielkraut qui s’opposa à la « réduction » de la révolte des jeunes de banlieues à leur dimension sociale pour n’y voir que des jeunes pour la plupart noirs et arabes « avec une identité musulmane ». Ce philosophe sarkozien fût cloué au pilori par les bien-pensants de l’oligarchie de gauche alors qu’il exprimait une opinion largement répandue parmi les ouvriers français et immigrés. Le gouvernement soutient d’une main le culte musulman (pour tenir les ouvriers immigrés) et de l’autre fait semblant de s’indigner de ses arriérations décoratives.

A l’origine l’invention de la discrimination positive est américaine, sous le règne de Nixon dans les 70 marquées par des émeutes raciales. Nixon caressant l’électorat noir en faveur des droits civiques avec un double langage qui détache les pauvres des questions de classe : « La stratégie sera payante puisque la droite américaine accuse depuis lors le parti démocrate d’avoir abandonné les classes populaires pour rester l’otage des minorités raciales » (p.136)

L’élimination de la classe ouvrière comme centrale est décalquée progressivement, avec retard, en France sur le modèle américain : « Le contraste est saisissant avec les années 2000. Dans les associations de défense des immigrés et des minorités comme au plus haut niveau de l’Etat, il n’est désormais question que de discriminations raciales » (p142).

Quoique : « Dans les classes supérieures (antiracistes) et même supérieures, la discrimination raciale existe bien ».

4. La bagarre entre « républicains » et « antiracistes cosmopolites » :

Les républicains sont taxés d’ « aveuglement racial » (color blindness) selon le penseur bcbg de la gauche caviar Gérard Noiriel. Il s’en prend à deux auteurs américains, Chapman et Frader qui récusent le modèle « assimilationniste » « parce que les jeunes issus de l’immigration revendiquent une intégration sans assimilation, respectant leurs traditions culturelles » (p167). Les jeunes, c’est qui ? Leurs parents ? L’ostracisme dont ils sont l’objet aux portes de la citoyenneté d’entreprise ?

Noiriel glorifie la fabrication de « SOS racisme » par Mitterrand et consorts « élargissant la thématique anti-raciste ». Pourtant il concède : « L’exemple des Etats-Unis montre aussi que la lutte contre les discriminations peut contribuer à alimenter le racisme » ; la première controverse sur le voile islamique date en France de 1989. Hé hé.

On se fout des débats entre républicains et cosmopolites gauchistes, voyons plutôt les discriminations racistes dans le monde du travail :

« L’inclusion et la promotion interne des militants minoritaires (immigrés ou issus de l’immigration) en principe toujours jugées légitimes et nécessaires se heurtent à la difficulté de les considérer comme des militants « comme les autres ». (p193). Des arrivistes immigrés dans les syndicats pourris, on va se pleurer pour leur promo ?

« La CGT et la CFDT ont développé des campagnes de lutte contre le racisme et les discriminations en dénonçant publiquement les pratiques patronales, mais aussi en tentant , plus souterrainement, d’enrayer les expressions de racisme assez répandues chez leurs adhérents et même dans quelques organisations de base »… Voilà qui est typique des élites intellectuelles et syndicalistes qui apportent la bonne conscience de l’extérieur dans le labyrinthe de la compétition hiérarchique.

Les bonzes syndicalistes sont de purs antiracistes contrariés :

« Tout se passe comme si la dénonciation d’une structuration ethniste ou raciste des relations sociales et des rapports hiérarchiques dans l’entreprise et a fortiori dans le syndicat leur paraissait dangereuse. La crainte de la « division des travailleurs » joue ici un puissant rôle d’intimidation » (p.194)

« La surexploitation des immigrants récents, à laquelle se réfèrent régulièrement les responsables fédéraux ou confédéraux, n’est pas la première préoccupation des syndiqués de base ou des responsables syndicaux locaux, qui évoquent plutôt les refus d’embauche et de promotion, voire de harcèlement ».

Les immigrés sont il faut l’avouer considérés par beaucoup d’ouvriers autochtones comme la nouvelle « classe dangereuse » ni révolutionnaire ni solidaire. Le ramadan et le foulard islamique ne passent pas et viennent créer mauvaise ambiance et ferments de division sans que l’on puisse taxer de racistes pourtant les ouvriers français écoeurés par cette bigoterie. Nos intellos antiracistes idéalistes ne connaissent pas la profonde misère où plonge l’aliénation salariée où les jalousies permettent toutes les dérives. Ils oublient aussi tout le combat du mouvement communiste contre l’exploitation coloniale et le sacrifice d’ouvriers français en solidarité avec leurs frères de classe d’Afrique, tout comme la solidarité de milieux ouvriers récemment à Calais avec des sans-papiers afghans ou autres.

Un des auteurs estime ensuite qu’il y a une quasi absence d’élèves immigrés dans les établissements privés, ce qui est notoirement faux. Il existe des immigrés bourgeois qui sont prêts à payer pour que leur progéniture « réussisse ». La sélection est plus subtile pourtant comme il le note plus loin : « Ce placement est facilité par l’existence d’options de langues modernes et anciennes : les « bons » élèves des classes moyennes et supérieures qui choisissent allemand et latin… se retrouvent ensemble dans les mêmes classes ». « Les pratiques d’évitement des parents des classes moyennes et supérieures ont pour conséquence de renforcer la ségrégation académique ». Idem dans la police : « Le fameux « oral » des concours de la fonction publique permet ainsi de refouler les candidats maghrébins à l’entrée de la police nationale, comme le oral de l’ENA les candidats de basse extraction sociale » (p.222). Des immigrés dans la police, c’est bien le cadet de nos soucis, un policier noir est comme un policier blanc au service de la classe ennemie.

C’est vrai que la chasse au faciès perdure, mais la bastonnade est la même pour tout manifestant blanc qui dit merde aux policiers :

« … les « assholes » (trous du cul) sont tous ceux qui ne se plient pas aux attentes des policiers (par exemple, rester calme et respectueux lorsqu’ils se font contrôler) et méritent de ce fait un traitement différencié, que Van Maanen appelle la « street justice », autrement dit une bonne bastonnade » (p.228).

La culpabilisation n’est pas nouvelle contre toutes les « classes pauvres ». Les sphères publiques et privées sont brouillées, « l’intimité devenant l’enjeu d’une bataille politique » (Fassin p243) et cf. les campagnes contre la polygamie lors des émeutes de banlieue. La gestion des questions sexuelles renvoie à la race, assure notre sociologue « scientifique ». Et l’affaire des « blancs » d’Outreau elle renvoie à quoi ? Au racisme de classe de la magistrature bourgeoise ! Et la religion ? Elle n’explique rien dans le conflit des classes.

5. La question de l’immigration est liée à la question paysanne :

La classe ouvrière s’est toujours formée à partir de la paysannerie. On traquait au début les jeunes paysans dans les bois pour les amener travailler dans la fabrique en ville. Ce que des générations de français, de belges, d’italiens, d’espagnols, de portugais ont vécu, les maghrébins et les africains le vivent. Ils subissent eux aussi au début l’ostracisme de ceux qui devraient les considérer comme frères de classe, puis automatiquement ils s’insèrent dans la grande famille prolétarienne. C’est la classe bourgeoise qui fait tout pour maintenir les clivages dits culturels, pour sponsoriser les diverses religions, pour favoriser le sentiment d’étrangeté qualifié de « diversité » ou d’ « altérité ». L’immigré est, on l’oublie toujours, un ancien travailleur de la terre ou un sans patrie de la faim. Au XIXème siècle comme au XXème en milieu ouvrier on se moquait toujours des mœurs primitives du nouvel arrivant de la campagne, puis celui-ci, apprenant du dur labeur la nécessité de la solidarité, il finissait par se définir comme prolétaire et révolté des conditions réservées à sa nouvelle classe, et se persuader qu’un monde meilleur est possible.

Dans l’extraordinaire et vieil ouvrage de Barrington Moore, que tout révolutionnaire maximaliste devrait avoir lu – « Les origines de la dictature et de la démocratie » (Maspéro 1969), il faut étudier l’étonnant chapitre « Les paysans et la révolution » où cet auteur reconnait que les paysans ne pouvaient pas être révolutionnaires contrairement au prolétariat, mais leurs révoltes séculaires en Inde ou en Russie ne comportent aucun élément d’ordre religieux car « la religion n’explique rien en soi ». : « Ce qui ruine toutes les hypothèses, c’est qu’elles accordent trop d’attention à la paysannerie. Il suffit de réfléchir un peu pour admettre qu’on ne peut comprendre une révolte pré-industrielle sans faire appel aux actes de l’aristocratie qui, dans une grande mesure, en porte la responsabilité. D’autre part, les révoltes agraires tendent à emprunter des traits de la société contre laquelle elles se dressent ». Dans le cas de l’Allemagne au temps de Thomas Münzer, la religion servit simplement de couverture, comme l’avait déjà génialement remarqué Engels : « Tout ce qu’on peut dire, c’est que le conflit, créé d’abord par les revendications modérées des paysans aisés, se radicalisa progressivement pour finir sur les visions apocalyptiques de Thomas Münzer. Cette évolution fut provoquée en partie par le refus d’accéder aux revendications modérées ; elle s’explique aussi par la tendance manifestée par les paysans à adopter des idées religieuses nouvelles émanant de la Réforme pour justifier leurs revendications économiques, politiques et sociales. La liaison avec les villes contribua certainement à radicaliser le mouvement, et d’ailleurs assez tôt, ainsi peut-être que le mécontentement des couches paysannes les plus humbles, car il y avait, comme en France au XVIIIème siècle, un clivage entre riches et pauvres (…) Il semble qu’on puisse énoncer la loi suivante : lorsque les liens issus des rapports entre seigneur et paysan sont forts, les chances de la révolte (et plus tard de la révolution) sont faibles. En Chine et en Russie, les liens étaient fragiles et les soulèvements endémiques, alors que la structure même des communautés paysannes était aussi différente que possible. Au Japon, où la révolution fut toujours étouffée, le lien était très fort. Cela ne va pas sans contradictions ni problèmes. En Inde, le pouvoir politique proprement dit ne pénétra jamais dans les villages, sauf dans certaines régions avant la venue des anglais. Mais les prêtres servaient de courroie de transmission ». Comme l’avait très bien vu Machiavel, pour que le système de domination perdure, il ne doit pas y avoir de concurrence entre le seigneur et le paysan au sujet de la terre, des ressources économiques et à condition que le seigneur ne s’approprie pas les femmes des paysans (pratique courante en Chine encore au XIXe et au XXe siècles). En règle générale le mouvement de révolte paysanne ne pouvait pas être une force révolutionnaire d’avenir puisqu’il comportait à chaque fois des aspects nettement anticapitalistes aussi bien qu’antiféodaux. Une amélioration économique de la condition paysanne est parfois prélude à une révolte : « Cette amélioration paraît contredire la thèse selon laquelle l’exploitation objective est une cause de révolte. Il n’en est rien. L’exploitation peut s’aggraver sans que les paysans s’appauvrissent ; elle peut même s’accompagner d’une amélioration matérielle ».

« La solidarité défaillante est plutôt de type moderne. Lorsque le capitalisme a mis en place sa législation et que le commerce et l’industrie ont fait leur œuvre, la société paysanne peut retrouver une nouvelle forme de stabilité conservatrice. C’est ce qui se passa en France et dans les provinces occidentales d’Allemagne et d’Europe, pendant la première moitié du XIXème siècle. Marx avait bien compris la situation lorsqu’il comparait les petites exploitations des villages français à des sacs de pommes de terre. Ce qui caractérise ce genre de société, c’est l’absence de rapports de coopération. Le village moderne est ainsi l’antithèse du village médiéval (…) Plus tard, dans le développement industriel, ce type de petit village atomisé peut, comme en Allemagne, devenir un ferment d’anticapitalisme réactionnaire (…) Les paysans n’ont jamais pu faire une révolution tout seuls. Les marxistes ont entièrement raison sur ce point, sinon sur d’autres. Ce sont les autres classes qui donnent leurs chefs de file aux paysans. Mais la tête n’est rien. Les révoltes médiévales eurent pour chefs des aristocrates ou des bourgeois, et elles furent écrasées ».

« Pour qu’une révolution aboutisse, il faut que l’aristocratie soit particulièrement aveugle (…) Le mouvement paysan ne peut espérer trouver ses alliés chez les élites, à part les chefs que lui fournit, dans les temps modernes, une poignée d’intellectuels en colère. Les intellectuels, par eux-mêmes, ne peuvent pas grand-chose s’ils ne s’allient pas à un mécontentement de masse. L’intellectuel à problèmes a reçu une attention imméritée en regard de son importance politique, en partie parce que ces problèmes laissent derrière eux des traces écrites, et aussi parce que ceux qui écrivent l’histoire sont précisément des intellectuels. Il est tout à fait malhonnête de nier qu’une révolution naisse d’un mécontentement paysan sous prétexte que ses chefs sont des intellectuels ».

Balayons devant notre propre porte. En Russie en 1917 : « … la classe ouvrière n’avait rien contre le partage des terres, du moins dans l’immédiat. Les paysans voulaient en finir avec une guerre où ils se faisaient massacrer par un régime qui ne daignait rien leur accorder. Chez eux les bolcheviques ne trouvaient guère d’écho. Mais comme ils formaient le seul parti qui n’était pas compromis avec le régime, ils pouvaient leur céder momentanément, Saint Pétersbourg valant bien une messe. C’est ce qu’ils firent en prenant les rênes du gouvernement et, plus tard après le chaos de la guerre civile. Ensuite les bolcheviques se retournèrent contre ceux qui leur avaient ouvert la route du pouvoir et contraignirent la paysannerie au collectivisme pour en faire la source et la victime de l’accumulation primitive socialiste ».

6. La petite bourgeoisie ne peut rien sans le prolétariat :

Ainsi l’histoire ancienne nous rend modeste. Contre les menteurs publicistes de la classe dominante qui exaltent des révoltes impuissantes, les « révolutions de jasmin » et autres « occupations des indignés » ne dérangent pas le système tant que la classe ouvrière ne se porte pas au combat politique, et pas simplement économique. Les mouvements de protestation contre les dictatures militaristes sanglantes ne peuvent pas adopter pour l’heure autre chose qu’une tactique pacifiste, comme d’ailleurs les manifestations contre la guerre en 1905 et 1917 en Russie, et elles font l’objet de toute notre admiration et compassion pour les jeunes vies détruites par les dictatures sanguinaires appuyées de toute manière par l’oligarchie occidentale. Il faudra que les jeunes petits bourgeois se résolvent à « tomber dans le prolétariat » et non pas à aspirer à de meilleures promotions dans la barbarie existante. Il faudra que cessent de se suicider ces membres des couches intermédiaires salariées. Le suicide représente justement l'absence de perspective et personnelle et politique de l'individu humilié, isolé. Il faudra que ces "cadres" (qui font partie du haut du panier mais de fait de plus en plus traités comme de vulgaires employés) acceptent de laisser la première place au prolétariat qui pour l’heure est encore bluffé par les « particularismes » et le faux problème religieux. Les campagnes antiracistes ou communautaristes sont donc directement responsables de l’absence de solidarité active des prolétaires européens envers leurs frères de classe martyrisés dans le croissant arabe.

Enfin, comme pour le rapport seigneur/paysan, et comme le dit si bien le communiqué de nos chers camarades bordiguistes : « S’ils (les prolétaires européens) continuent à rester prisonniers des illusions de la démocratie parlementaire, qui propose une éternelle discussion entre des forces politique de gauche ou de droite, toutes intéressées à, « sauver l’économie grecque » ce qui signifie sauver les profits du capitalisme grec – et à leur faire accepter les sacrifices, les travailleurs sont condamnés à ne pas pouvoir se défendre ».

Qu’on se le dise et le redise, c’est bien d’un combat clairement politique qu’il sagit.