« Le marxisme est une conception révolutionnaire du monde qui doit toujours lutter pour des connaissances nouvelles, qui ne hait rien autant que la pétrification dans des formes valables dans le passé et qui conserve le meilleur de sa force vivante dans le cliquetis d'armes spirituel de l'auto-critique et dans les foudres et éclairs de l'histoire ». Rosa Luxemburg
PAGES PROLETARIENNES
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jeudi 25 novembre 2010
Crétinisme syndicaliste
Ce qui caractérise le parti syndical, dans ses multiples fractions (CGT, CFDT, FO, SUD), l’était déjà du crétinisme parlementaire dénoncé par Marx au 19ème siècle : « « Ils sont atteints de crétinisme parlementaire au point de se figurer qu’ils sont au-dessus de toute critique et de condamner la critique comme un crime de lèse-majesté! » »
La classe ouvrière française est-elle réellement infectée de la maladie syndicaliste et croit-elle que, grâce aux défilés syndicaux, le saint esprit se déverse sur les permanents, transformant les séances des intersyndicales obscures en conciles infaillibles et les pique-niques syndicaux en dogmes inviolables?
Le parti syndical a été mis en vedette pendant 10 mois, précisément parce qu’il était le seul parti capable de faire avaler la couleuvre sur les retraites. Si, dans une interview télévisée le président Sarkozy a remercié les syndicats, soucieux du mauvais effet de cette nouvelle bourde du Chef de l’Etat, l’aristocrate Chérèque a objecté « nous n’attendions pas la compassion du président » quand l’aristocrate Thibault, prévenu du mauvais effet de la bourde, rectifiait aussitôt que « le gouvernement se fout des syndicats ». Effet garanti puisqu’un blogueur, retraité syndicaliste CGT, m’objecta que j’étais tombé dans le piège à Sarkozy.
A en croire ces messieurs les aristocrates, le parti syndical ne doit pas être un parti exclusivement de « salariés » mais un parti populaire, ouvert à tous les hommes soucieux de l’avenir de nos retraites. Il le prouvera avant tout en abandonnant les vulgaires passions révolutionnaires et en se plaçant sous la direction de ministres instruits et européens. Alors viendront s’y joindre de nombreux professeurs de syndicalisme appartenant aux sphères des classes instruites et victimes des subprimes.
La classe ouvrière se préoccupe trop de son sort, négligeant de se syndiquer. Car le parti syndical manque encore cruellement de troupes d’hommes jeunes. Il est pourtant désirable et nécessaire de confier les mandats à de nouveaux permanents qui disposent de suffisamment de temps pour se familiariser pleinement avec l’art de la négociation pour rien. Le simple ouvrier et le petit employé… n’en ont que très rarement le loisir nécessaire. Donc, votez massivement pour les candidats de l’aristocratie ouvrière l’an prochain.
Bref: la classe ouvrière, par elle-même, est incapable de s’affranchir. Elle doit donc passer sous la coupe de syndicalistes « instruits et avisés » qui seuls « ont l’occasion et le temps » de se familiariser avec les intérêts des « salariés ». Puis, il ne faut à aucun prix combattre le gouvernement, mais, au contraire, il faut le gagner par une propagande énergique, des pique-niques et des cordons humains autour de la Bourse.
Pour enlever au gouvernement la dernière trace de peur, on doit lui prouver clairement que le spectre d’une levée en masse des prolétaires n’est vraiment qu’un spectre, que la classe ouvrière est incapable de s’élever par elle-même. Mais qu’est-ce que le secret des Conseils ouvriers si ce n’est la peur de la bourgeoisie de l’inévitable lutte à mort qu’elle aura à mener avec le prolétariat? La peur du résultat fatal de la lutte de classe moderne? Qu’on abolisse la lutte de classe, et la bourgeoisie et « tous les hommes de paille » de l'aristocratie syndicale ne craindront plus « de marcher avec les prolétaires, la main dans la main »! Ceux qui seront alors les dupes, c’est justement les prolétaires.
La revendication ne sera pas abandonnée mais simplement ajournée – jusqu’en juillet 2011 comme l’a assuré l’aristo Thibault. Le gouvernement l’adoptera définitivement, mais non pas pour ses ministres et pour le président, mais à titre posthume, comme un legs destiné aux résignations futures. En attendant, le parti syndical emploie « toute sa force et toute son énergie » pour toutes sortes de bricoles et de rafistolages de la société capitaliste, pour faire croire qu’il se passe quand même quelque chose et pour que la bourgeoisie et son gouvernement n’en prennent pas peur.
Ce sont les représentants de la petite-bourgeoisie qui s’annoncent ainsi en tombant dans le parti syndical, de peur que le prolétariat, entraîné par sa situation révolutionnaire, « n’aille trop loin ». Au lieu d’une franche opposition politique: négociation générale; au lieu de la lutte contre le gouvernement et la bourgeoisie: la tentative pour les gagner et les persuader; au lieu d’une résistance énergique à toutes les violences venant d’en haut: la soumission humble et l’aveu de mériter le châtiment. Tous les conflits historiquement nécessaires sont interprétés comme des malentendus et toutes les discussions se terminent par la constatation du parfait accord des parties. Les gens qui en 1968 se considéraient comme des staliniens, peuvent maintenant tout aussi bien s’appeler social-démocrates. Pour les premiers, c’était la mort de Staline qui était infiniment loin; pour les seconds, c’est la collaboration au système capitaliste et cet objectif n’a par conséquent aucune importance pour la pratique politique du présent; on peut donc négocier, faire des compromis, agir en « avocat du salarié », à cœur joie. Il en est de même de la lutte de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. On la reconnaît sur le papier, puisqu’on ne peut pas la nier, mais dans la pratique on cherche à la camoufler, à l’effacer, à l’affaiblir. Le parti syndical ne doit pas être un parti prolétaire, il ne doit pas s’attirer la haine de la bourgeoisie ou de qui que ce soit; il doit avant tout faire une propagande énergique parmi les médias au lieu de s’appesantir sur des objectifs lointains qui effrayent les bourgeois et qui pourtant sont irréalisables dans notre génération, le parti syndical préfère employer toute sa force et son énergie aux réformes petites bourgeoises de rapiécetage, qui sont autant de nouveaux soutiens de l’ancien ordre social et qui risquent peut-être de transformer la catastrophe finale en un processus de dissolution lent, fragmentaire et paisible.
Quand on écarte la lutte de classe comme un phénomène pénible et « vulgaire », il ne reste plus au parti syndical que de se fonder sur le « vrai amour des salariés » et les phrases creuses sur la « justice ».
C’est un phénomène inévitable, inhérent à la marche de l’évolution, que des individus appartenant à la classe dominante viennent se joindre au prolétariat en lutte et lui apportent des éléments d’adhésion. Il y a ici deux autres observations à faire:
Premièrement: ces individus pour être vraiment nocifs au mouvement prolétarien, doivent vraiment lui faire rêver à la grève générale à la manière de SUD et du NPA, paraplégie générale qui ne se produira jamais. Ce n’est pas le cas de la grande majorité des convertis syndicaux français. Ni « Ta page CFDT » ni la « Vie Nouvelle » (tapage CGT retraité) n’ont rien apporté qui eût fait avancer d’un pas ce projet filandreux. Les éléments d’adhésion d’une réelle valeur pratique et théorique y font aussi totalement défaut. Au lieu de quoi, des tentatives pour mettre en harmonie les idées républicaines superficiellement assimilées avec les opinions théoriques les plus diverses que ces messieurs ont ramenées de l’université ou d’ailleurs, et dont l’une est plus confuse que l’autre, grâce au processus de décomposition que traverse actuellement ce qui reste de la gauche bourgeoise française. Au lieu d’étudier sérieusement la nouvelle crise systémique, chacun préfère l’arranger pour la faire concorder avec ses opinions apprises, se fabriquant sans cérémonie une science salariale privée et affichant aussitôt la prétention de l’enseigner aux autres. C’est pourquoi il y a parmi ces messieurs à peu près autant de vieux staliniens que de têtes de cons gauchistes et anarchistes.
Deuxièmement: lorsque ces individus venant d’autres classes se joignent au mouvement prolétarien, la première chose n’est pas d’exiger qu’il n’y fassent point entrer les résidus organisatoires et oratoires de leurs préjugés bourgeois, petits-bourgeois, etc., mais qu’ils ferment leur gueule.
Quant à nous, d’après tout notre passé, une seule voie nous reste ouverte. Nous avons, depuis presque quarante ans, signalé la lutte de classe comme le moteur de l’histoire le plus décisif et nous avons notamment désigné la lutte sociale entre la bourgeoisie et le prolétariat comme le grand levier de la révolution sociale moderne. Nous ne pouvons donc, en aucune manière, nous associer à des gens qui voudraient retrancher du mouvement cette lutte de classe. Nous avons formulé, lors de la création de l’Internationale, la devise de notre combat: l’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre de la classe ouvrière elle-même. Nous ne pouvons, par conséquent, faire route commune avec des gens qui déclarent ouvertement que les ouvriers sont trop incultes pour se libérer eux-mêmes, et qu’ils doivent être libérés par en haut, c’est-à-dire par des grands et petits bourgeois syndicalistes.
MARX & ROCHE
mardi 23 novembre 2010
lundi 22 novembre 2010
L’INCENDIE DU REICHSTAG : LE REMAKE ?
Au souvenir de Marinus Van der Lubbe,
LE PREMIER FILM d’avant guerre servit magnifiquement la contre-révolution, le nazisme et le stalinisme mettant tout sur le dos d’un pauvre petit prolétaire hollandais communiste et anti-parlementariste, qui fut exécuté à la hache sans soutien d’aucun « parti communiste ».Marinus van der Lubbe (1909-1934) était l'incendiaire présumé du Reichstag à Berlin dans la nuit du 27 au 28 février 1933, quelques semaines après la nomination d'Adolf Hitler à la chancellerie. Il est accusé par le PCA stalinien – qui ne s’était pas gêné pour mener des grèves conjointement avec les nazis -d'avoir été manipulé par les nazis : cette propagande stalinienne le décrit comme un déséquilibré. Des « communistes de conseil » organisent sa défense et créent un Comité international Van der Lubbe qui est également soutenu par le mouvement anarchiste et la revue de la gauche communiste italienne en Belgique, Bilan. Cette défense ne sera qu’une goutte d’eau dans l’hystérie mondiale contre Van der Lubbe par les médias de l’époque.
Condamné à la peine de mort pour "haute trahison", il a été exécuté le 10 janvier 1934. L'incendie du Reichstag servit de prétexte à Hitler pour établir sa dictature. Comme la récupération de la révolte des marins de Kronstadt par Eltsine peu après son intronisation au pouvoir, la démocratie bourgeoise récupère aussi Van der Lubbe. Le jugement (mais pas le meurtre à la hache) des nazis est cassé le 21 avril 1967 par un tribunal de Berlin qui, à titre posthume (ah ah), condamne van der Lubbe à huit ans de prison pour «tentative d'incendie avec effraction». Treize ans plus tard, un des procureurs américains des procès de Nuremberg, en obtient l'acquittement. Ce verdict est cassé aussi un an plus tard en appel. La condamnation est officiellement jugée "illégale" par les services du procureur fédéral allemand le 10 janvier 2008. Le verdict contre van der Lubbe reposait sur des "prescriptions injustes spécifiquement national-socialistes", a relevé le parquet.
LE DEUXIEME FILM EN ALLEMAGNE 2010 n’a plus de nazis comme acteurs peu probables à se mettre sous la dent mais des barbus orientaux. Un nouvel incendie du Reichstag démocratique bourgeois serait prévu pour «février ou mars» et aurait pour but de «prendre des otages et faire de nombreux morts»...
« Le risque terroriste est toujours au plus haut en Europe. Après les menaces d'Oussama ben Laden le 27 octobre dernier à l'encontre de la France, c'est au tour de l'Allemagne de s'inquiéter. Selon le site Internet de l'hebdomadaire Der Spiegel, Al-Qaida et d'autres groupes terroristes «prépareraient» une attaque contre «le coeur de la démocratie», le Reichstag (siège du Parlement), pour «février ou mars». Le Spiegel online affirme que l'objectif des terroristes est de «prendre des otages et faire de nombreux morts», et que deux d'entre eux seraient déjà sur le territoire. Le site indique qu'un jihadiste résidant à l'étranger a, à plusieurs reprises, contacté l'office fédéral de la police criminelle pour lui fournir des informations. La balance terroriste, qui souhaite quitter Al-Qaida, aurait indiqué que «le commando est composé de six personnes: deux d'entre elles sont parties pour Berlin il y a six à huit semaines. Les quatre autres terroristes, un Allemand, un Turc, un homme originaire d'Afrique du Nord et un dernier, dont l'informateur ignore l'identité, attendent leur départ pour l'Allemagne». Ces informations semblent avoir été prises au sérieux par le gouvernement allemand, puisque le ministre de l'Intérieur, Thomas de Maizière, a adressé mercredi une mise en garde à la population contre des risques accrus d'attentats islamistes sur le territoire, indique Der Spiegel. A la suite de cette annonce, les mesures antiterroristes avaient été renforcée, tout comme la sécurité aux abords du siège du Reichstag. De plus, le site du magazine indique que Thomas de Maizière aurait été alerté par le FBI américain d'un risque d'attentat contre l'Allemagne provenant d'un «groupe chiite indien», qui aurait conclu «un pacte avec Al-Qaïda et veut envoyer deux terroristes en Allemagne».
Sans déguiser notre effroi pour le ridicule manque d’imagination de la bourgeoisie allemande, on ne peut cacher nos inquiétudes comparables à celles de notre cher Président français pour calmer les ardeurs des promeneurs de l’aristocratie syndicale qu’en apportant une autre information d’un lecteur de 20 minutes : « D'après des sources bien informées, Al-Qaîda-Dans-La-Bauce-Déprimée aurait projeté de dynamiter ma Xantia". (lol MDR)
MAIS REVENONS A L’HISTOIRE ET RELISONS DEUX BEAUX TEXTES DE PANNEKOEK EN 1933
Deux textes de Pannekoek, parus dans le Persmateriaal Internationale Communisten (PIC) du GIC (Hollande) en 1933 à propos de l'incendie du Reichstag.
L'ACTE PERSONNEL
En ce qui concerne l'incendie du Reichstag par Van der Lubbe on peut relever les prises de positions les plus divergentes. Dans des organes de la gauche communiste (Spartacus, De Radencommunist) on l'approuva comme l'acte d'un communiste révolutionnaire. Approuver et applaudir un tel acte signifie conseiller sa répétition. C'est pourquoi il est nécessaire de bien apprécier son utilité.
Son sens ne pourrait être que de toucher, d'affaiblir la classe dominante : la bourgeoisie. Il ne peut en être question ici. La bourgeoisie n'a pas été touchée le moins du monde par l'incendie du Reichstag, sa domination n'a en aucune manière été affaiblie. Pour le gouvernement, ce fut au contraire l'occasion de renforcer considérablement sa terreur contre le mouvement ouvrier et les conséquences ultérieures de ceci devront encore être appréciées.
Mais même si un tel acte touchait et affaiblissait effectivement la bourgeoisie, la seule conséquence en serait de développer chez les ouvriers la conviction que seuls de tels actes individuels peuvent les libérer. La grande vérité qu'ils ont à apprendre, que seule l'action de masse de la classe ouvrière tout entière peut vaincre la bourgeoisie, cette vérité élémentaire du communisme révolutionnaire leur serait occultée. Cela les éloignerait de l'action autonome en tant que classe. Au lieu de concentrer toutes leurs forces sur la propagande au sein des masses travailleuses, les minorités révolutionnaires les gaspilleraient alors dans des actes personnels qui, même lorsqu'ils sont effectués par un groupe dévoué et nombreux, ne sont pas en état de faire vaciller la domination de la classe dominante, En effet, grâce à ses forces de répression considérables, la bourgeoisie pourrait aisément venir à bout d'un tel groupe. Il y eut rarement un groupe révolutionnaire minoritaire effectuant des actions avec plus de dévouement, de sacrifices et d'énergie que les nihilistes russes il y a un demi-siècle, A certains moments, il sembla même que par une série d'attentats individuels bien organisés, ils réussiraient à renverser le tsarisme, mais un policier français convoqué pour prendre en main la lutte anti-terroriste à la place de la police russe incompétente, réussit par son énergie et son organisation toute occidentale à détruire en quelques années le nihilisme, Ce n'est qu'après que se développa le mouvement de masse qui renversa finalement le tsarisme.
Un tel acte n'a-t-il pas néanmoins valeur de protestation contre l'abject électoralisme qui détourne les ouvriers de leur véritable combat ?
Une protestation n'a de la valeur si elle fait naître une conviction, en laissant une impression de force, ou, si elle se développe, la conscience, Mais peut-on raisonnablement croire qu'un travailleur qui pensait défendre ses intérêts en votant social-démocrate ou communiste, va commencer à émettre des doutes sur l'électoralisme, parce qu'on a incendié le Reichstag ? Tout cela est totalement dérisoire, comparé à ce que la bourgeoisie elle-même fait pour guérir les ouvriers de leurs illusions, en rendant le Reichstag complètement impuissant, en décidant de le dissoudre, en l'écartant du processus décisionnel. Des camarades allemands ont dit que cela ne pourrait être que positif puisque la confiance des ouvriers dans le parlementarisme recevrait ainsi un fameux coup. Sans doute, mais on peut tout de même se demander si ce n'est pas représenter les choses d'une façon quelque peu simpliste. Les illusions démocratiques se répandront alors par une autre voie. Là où il n'y a pas de droit de vote généralisé, là où le parlement est impuissant, c'est la conquête de la démocratie véritable qui est avancée et les travailleurs s'imaginent qu'ils ne peuvent y arriver que par ce moyen. En fait, une propagande systématique visant à développer à partir de chaque événement une compréhension de la signification réelle du parlement et de la lutte de classe, ne peut jamais être escamotée et est toujours l'essentiel.
L'acte personnel ne peut-il être un signal, la poussée qui met en mouvement cet immense combat par un exemple radical?
Il est tout de même courant dans l'histoire que l'action d'un individu dans des moments de tension agisse comme l'étincelle sur un baril de poudre. Certes, mais la révolution prolétarienne n'a rien, de l'explosion d'un baril de poudre. Même si le Parti communiste essaie de se convaincre et de convaincre le monde que la révolution peut éclater à tout moment, nous savons que le prolétariat doit encore se former à cette nouvelle façon de combattre comme masse. Dans ces visions perce encore un certain romantisme bourgeois. Dans les révolutions bourgeoises passées, la bourgeoisie montante, et derrière elle le peuple, se trouvait confrontée aux personnes des souverains et à leur oppression arbitraire; un attentat sur la personne du roi ou d'un ministre pouvait signifier le signal de la révolte. Dans la vision selon laquelle aujourd'hui encore un acte personnel pourrait mettre les masses en mouvement, se révèle comme la conception bourgeoise du chef, non pas du dirigeant de parti élu, mais du chef qui se désigne soi-même et qui par son action entraîne les masses passives. La révolution prolétarienne n'a rien à voir avec ce romantisme désuet du chef; c'est de la classe, poussée par des forces sociales massives, que doit venir toute initiative.
Mais après tout, la masse se compose aussi de personnes et les actions de masse recouvrent un certain nombre d'actions personnelles. Certes, et c'est ici que nous touchons à la vraie valeur de l'acte personnel. Séparé d'une action de masse, en tant qu'acte d'individu qui pense pouvoir réaliser seul quelque chose de grand, il est inutile. Mais en tant que partie d'un mouvement de masse, il est de la plus grande importance. La classe en lutte n'est pas un régiment de marionnettes identiques marchant d'un même pas et réalisant de grandes choses guidées par la force aveugle de son propre mouvement. Elle est au contraire une masse de personnalités multiples, poussées par une même volonté, se soutenant, s'exhortant, se donnant du courage et rendant, de par leurs forces de nature différente, mais toutes concentrées vers le même but, leur mouvement irrésistible. Dans ce cadre, l'audace des plus braves trouve l'occasion de s'exprimer dans des actes personnels de courage, alors que la compréhension claire des autres dirige ces actes vers le but adéquat pour ne pas en perdre les fruits. Et dans un mouvement ascendant également, cette interaction des forces et des actes est de grande valeur, quand elle est dirigée par une compréhension claire de ce qui: vit à ce moment-là parmi les ouvriers, de ce qu'il faut faire et de comment développer leur combativité. Mais dans ce cas, il faudra bien plus de ténacité, d'audace et de courage qu'il n'en fallut pour incendier un parlement !
LA DESTRUCTION COMME MOYEN DE LUTTE
L'appréciation de l'incendie du Reichstag dans la presse de la gauche communiste nous amène encore à poser d'autres questions. La destruction peut-elle être un moyen de lutte des ouvriers ?
Tout d'abord, il convient de préciser que personne ne pleurera la disparition du Reichstag. C'était un des bâtiments les plus vilains de l'Allemagne moderne, toute l'image pompeuse de l'Empire de 1871. Mais il y a d'autres bâtiments, plus. beaux, et des musées avec des trésors artistiques. Lorsqu'un prolétaire désespéré, pour se venger de la domination capitaliste, détruit quelque chose de précieux, comment l'apprécier ?
D'un point de vue révolutionnaire son geste paraît sans valeur et de différents points de vue on pourrait parler d'un geste négatif. La bourgeoisie n'est pas le moins du monde touchée puisqu'elle a déjà continuellement détruit tant de choses lorsqu'il s'est agi de profits et elle place la valeur argent au-dessus de tout. Un tel geste touche surtout cette couche plus limitée d'artistes, d'amateurs de belles choses dont les meilleurs ont souvent des sentiments anticapitalistes, et dont certains (comme William Morris et Herman Gorter) ont combattu aux côtés des ouvriers. Et puis, y a-t-il une raison de se venger de la bourgeoisie ? Celle-ci a-t-elle donc le devoir d'apporter le socialisme au lieu du capitalisme ?
C'est son rôle De maintenir en place de toutes ses forces le capitalisme ; sa destruction est la tache des prolétaires. Par conséquent, si quelqu'un peut être rendu responsable du maintien du capitalisme, c'est bien la classe ouvrière elle-même qui négligea bien trop la lutte. Enfin, à qui enlève-t-on quelque chose par la destruction ? Aux prolétaires victorieux qui seront un jour les maîtres de tout cela.
Bien sûr toute lutte de classe révolutionnaire, lorsqu'elle prend la forme d'une guerre civile, provoquera toujours des destructions. Détruire les points d'appui de l'ennemi est nécessaire dans toute guerre. Même si le vainqueur essaie d'éviter trop de destructions, le vaincu sera tenté par pur dépit de provoquer des destructions inutiles. Il faudra donc s'attendre à ce que vers la fin du combat, la bourgeoisie décadente détruise énormément. Par contre, pour la classe ouvrière la classe qui prendra lentement le dessus, les destructions ne seront plus un moyen de lutte. Elle essaiera au contraire de transmettre un monde aussi riche et intact que possible à sa descendance, l'humanité future. Cela vaut non seulement pour les auxiliaires techniques qu'elle peut améliorer et perfectionner mais surtout pour les monuments et les souvenirs des générations passées qui ne peuvent pas être reconstruits.
On peut naturellement objecter que la nouvelle humanité, porteuse d'une liberté et d'une fraternité inégalée, créera des choses bien plus belles et grandioses que celles des siècles passés. De plus, l'humanité à peine libérée voudra faire disparaître les restes du passé qui représentaient son ancien état d'esclavage. C'est ce que fit ou - essaya de faire - également la bourgeoisie révolutionnaire. Pour elle toute l'histoire du passé n'était que ténèbres d'ignorance et d'esclavage, alors que la révolution avait consacré la raison, la connaissance, la vertu et la liberté. Le prolétariat, par contre, considère l'histoire des ancêtres tout autrement. Sur 1a base du marxisme qui voit le développement de la société comme une suite de formes de production, il y voit une lente et dure annexion de l'humanité sur la base d'un développement du travail, des outils et des formes de travail vers une productivité toujours plus élevée, d'abord à travers la simple société primitive, ensuite à travers les sociétés de classe avec leur lutte des classes, jusqu'au moment où par le communisme, l'homme devient maître de son propre sort. Et dans chaque période de développement, le prolétariat trouve des caractéristiques qui sont liées à sa propre nature.
Dans la préhistoire barbare, les sentiments de fraternité et la morale de la solidarité du communisme primitif. Dans le travail manuel petit-bourgeois, l'amour du travail qui s'exprime dans la beauté des bâtiments et des ustensiles d'usage courant que les descendants considèrent comme d'incomparables chefs-d'oeuvre. Dans la bourgeoisie montante : le fier sentiment de liberté qui proclama les droits de l'homme et s'exprima dans les plus grandes oeuvres de la littérature mondiale. Dans le capitalisme : la connaissance de la nature, le développement inestimable des sciences naturelles qui permit à l'homme, par la technique, de dominer la nature et son propre sort. Chez tous ceux-ci, ces traits de caractère grandioses étaient liés d'une façon plus ou moins étroite avec de la cruauté, de la superstition, de l'égoïsme. Ce sont justement ces choses que nous combattons, qui nous font obstacle et que nous haïssons donc. Notre conception de l'histoire nous apprend que ces imperfections chez nos ancêtres doivent être comprises comme des étapes naturelles d'une croissance, comme l'expression d'une lutte pour la vie d'hommes pas encore pleinement humains dans une nature omnipotente et dans une société incomprise. Ce qu'ils créèrent malgré tout de grandiose restera pour l'humanité libre un symbole de leur faiblesse mais aussi un souvenir de leur force digne d'être conservé avec soin. Aujourd'hui, c'est la bourgeoisie qui possède tout cela, mais pour nous, c'est la propriété de la collectivité que nous tacherons de transmettre aussi intacte que possible aux générations futures.
Anton Pannekoek
[Traduit du néerlandais; in PIC n° 7, mars 1933]