PAGES PROLETARIENNES

jeudi 19 novembre 2009


LE FOOTBALL PATRIOTIQUE

« Mais après avoir vu l’Egypte marquer à la dernière minute du temps additionnel samedi et arracher ce match d’appui in extremis, l’Algérie a su trouver les ressources mercredi pour devenir le 27e pays qualifié pour le Mondial-2010 en Afrique du Sud ». C’est ce genre de commentaires journalistiques qu’on pouvait lire, décliné dans la presse de toutes les langues et arrosé sur toutes les chaînes de télé. Il n’y a même plus d’équipes, ou de nuances régionales ou raciales, ce ne sont que pays qui s’affrontent en vue de la coupe du monde de 2010 : les six mois de conditionnement intensif se mèneront au mieux avec des spectateurs français et algériens rassérénés sur les chances de leur équipe respective, quoiqu’en général ces deux catégories de spectateurs penchent pour soutenir les deux, seulement si elles ne sont pas confrontées.

Nous y voilà au cœur de « l’identité nationale » dont les masses se fichent comme du désir de débat du gouvernement avec ses intellectuels. Le football est action, pas de blabla, ou alors avant et après le match. Assez glauques les commentaires hystériques des masses anonymes sur le web. Nombre de sites de journaux avaient interdit les propos injurueux concernant l’équipe de France et son entraîneur l'adjudant Domenech. Pour Algérie/Egypte non. Chacun se lâchait des deux côtés de la Méditerranée. C’était à qui serait le plus menaçant, violent, raciste, grossier. Les footeux algériens avaient été caillassés, on éclaterait la gueule aux fouteux égyptiens, pourtant de même langue et de même culture...

Ce que le gouvernement Sarkozy ne réussit pas à lancer dans le milieu mondain des intellectuels de cour et de jardin, se déroule quand même lamentablement autour du « terrain ». Les masses abruties s’en donnent à cœur joie. Que leur équipe gagne ou pas, les supporters se livrent à des émeutes débiles, cassent et brûlent de joie ou de douleur. Journalistes et commentateurs affichent des mines réjouies et claironnent tous : vous savez, dans le cas de l’Algérie, vu la pauvreté et l’immense chômage il faut bien qu’ils compensent ! D’ailleurs le président algérien Bouteflika a fait mobiliser la flotte aérienne à prix cassé pour que les masses puissent aller se défouler en "terrain neutre" et on a demandé aux religieux de ne pas emmerder les fanatiques du ballon rond avec l’heure de la prière (en plein milieu du match) des fanatiques d’Allah. Même à Tizi Ouzou on avait disposé des écrans géants. Le football terrestre est tout de même plus efficace que le sport céleste. Records d’audience garantis, bien supérieurs aux meetings de masse hitlérien.

VIBRER ENSEMBLE ?

Il n’y a plus ni classes sociales, ni riches ni pauvres dans la communion footbalistique. La guerre de tous contre tous fait rage sous des oriflammes de carnaval chauvin. Mais attention, la dernière mode idéologique nous explique qu’il faut bien différencier patriotisme de chauvinisme et nationalisme. Le patriotisme est un « sentiment d’appartenance », non à un club de foot, ni à une communauté réduite, mais comme « véhicule de valeur morale ». Le patriotisme n’est-ce pas la merveilleuse concrétisation du « vivre ensemble » ? En gros, c’est que l’émission de Taddeï - ce sous-produit de Bizot et de l'Ancien Testament des bobos hippies "Actuel" - « Ce soir ou jamais » s’est efforcée d’inculquer après les deux matchs à Khartoum et au « stade de France ».

La patrie c’est d’abord sa mère, fredonne Marc Ogeret dans une vieille chanson du XIXe siècle, mais en latin le terme signifie par contre « le père » (pater). Patriotisme est d’une origine plus douteuse et peu génétique ; en latin le terme signifie parrain (pinder, comme le cirque). La patrie, n'est-ce pas une grande "famille" parrainée par les pères bourgeois et prolétaires unis pour le meilleur et pour le pire?

La principale émission vedette de débats en France de Taddeï et ses invités s’interrogea donc sur le foot en tant que dernier bastion de l’identité nationale ? Le foot est-il le dernier bastion de l'identité nationale ?

(Qu'est-ce qu'on s'en... fout!)

Ses invités : Thomas Ngijol, (chroniqueur facétieux de canal + d’origine camerounaise), Bernard Laporte , l'ancien secrétaire d'Etat chargé des Sports, l'écrivainne Joy Sorman (fille de son père), le philosophe Vincent Cespedes (philosophe gauchiste à la mode), le psychanalyste Zimra, le célèbre historien du patriotisme, Pierre Birenbaum.

Comme d’habitude, avec talent, l’animateur laisse aller ses invités. Le plouc sarkozien Laporte, ex-entraîneur de rugby, représente avec l’accent méridional la thèse simpliste, tripale, sportive neuneu et classiquement réactionnaire : on ne réfléchit pas, on soutient son équipe nationale et on chante à tue-tête la Marseillaise. Il est appuyé par le psychiatre Zimra qui, fort de sa psychologie de cabinet, éructe les pires banalités chauvinistes. Birenbaum va dans le même sens en défendant un nationalisme bon enfant très cartésien. Mlle Sorman, féministe comme Mlle Fourest, se fait par contre l’écho d’une certaine jeunesse qui peut très bien n’en avoir rien à foutre du patriotisme. Elle sait être très pertinente : le foot c’est une guerre entre mecs qui obéit aux mêmes règles que la guerre tout court. Le comique de canal+ Thomas Ngijol semble alors un peu plus assuré, alors qu’il paraissait consterné pendant la litanie franchouillarde de Laporte, et monte au créneau. Il exprime assez bien le côté enthousiaste de la jeunesse multiraciale, le temps du match, pour ensuite retourner à ses problèmes quotidiens. Il met dans le mille en se moquant ensuite de la fameuse lecture sarkomique de la dernière lettre de Guy Mocquet par Laporte à ses joueurs : je ne vois pas le rapport entre cette lettre dans les conditions de l’époque et une compétition sportive. L’adjudant entraîneur Laporte répond que cela était « naturel », il s’agissait de motiver les troupes, pardon l’équipe nationale pour un engagement à fond, « quand faut y aller, faut y aller » ! Ngijol ne se laisse pas impressionner par l’ex-ministre et lui tape même sur le genoux: j’aurais rigolé, certes intérieurement pour ne pas être viré de l’équipe, mais j’aurais rigolé… Le philosophe gauchiste de service Vincent Cespèdes s’étale lui en longues digressions sur le sentiment d’appartenance, sur la jouissance sexuelle courte mais intense, et éjaculatoire, procurée par le spectacle de onze pantins milliardaires qui s’agitent pour prendre au filet les spectateurs de l’autre bord. Et il a raison de dire que cette jouissance de courte durée ne résout aucun des problèmes sociaux. Il a aussi raison de souligner que cette vaste comédie « populaire » ne change en rien la condition des petits-fils des anciens esclaves : ils sont toujours contrôlé au faciès par la police, ils restent toujours des mineurs socialement. Brave philosophe éclectique, il souhaite que la France demande pardon pour ses exactions colonisatrices. Ngijol tombe dans son piège, il approuve du bonnet : superbe tirade ! Et après, même si la bourgeoisie française reconnaissait la turpitude des origines de son enrichissement, cela changerait quoi dans le monde du travail et de la vie civile hyper fliquée ?

Personne n’évoque le peu sportif USA PATRIOT ACT de 2001 qui autorise le FBI à surveiller tous les courriers électroniques ? Ni ses équivalents européens et sarkoziens.

Birnbaum affirme que le patriotisme aux USA - ces as du « patriotisme économique » - a triomphé depuis longtemps et que la bannière étoilée figure au coin de chaque rue… Quoique, là-bas, on a le droit de brûler le drapeau (quand en France cela peut valoir deux ans de tôle). Taddeï a fait défiler les images d’une foule petite bourgeoise avec vedettes de cinéma qui, au Trocadéro vers 1992, en réaction à la percée électorale de Le Pen avait entonnée « sponatnément » la Marseillaise ; il regrette que cela ne soit pas aussi spontané dans les stades… Thomas Ngijol ne laisse pas passer et se moque heureusement de la barrière de vedettes qui plastronnaient au premier plan et qui sont absents en général dans les conflits d’un autre ordre.

Le suspense « patriotique » était garanti tout au long de l’émission dans l’attente concomitante de la qualification finale de « la France », dont Taddeï signalait les buts puis la « victoire » : quel effet cela vous fait-il à tous que « la France » ait gagné ?

Tous affichèrent un contentement de circonstance. Sauf le subtil Ngijol : je suis content que la France soit qualifiée avec le Cameroun et l’Algérie. Malgré les ultimes pinaillages des intellos du plateau, c’est cette heureuse remarque qui devait rester dans les têtes. Insinuant que "les gens" (la classe ouvrière?) ne pouvaient au lendemain des matchs « patriotiques » que retrouver leur vie de merde (pardon leur milieu naturel d’exploitation, d’humiliations par-delà les frontières), une fois éteint les lampions de la fête footballistique.

Le live (musical) du jour était assuré par Diam's, qui interpréta «Si c'était le dernier» (comme on le lui souhaite), extrait de son nouvel album, «S.O.S.», sorti le 16 novembre. Chacun sachant que cette énorme vedette du rap français d’origine hellénistique, Mélanie Georgiades, très pipolisée, mais prise de doutes sur son existence, s’est convertie à l'islam (variante du slam) et réapparait publiquement portant un hijab. Un hidjab de luxe avec casquette de soie blanche tournée légèrement de travers. Accessoire commercial cet "SOS"sans doute destiné à relancer sa carrière, à coups de longues tirades de rebelle centrée sur son nombril. Egérie en perdition de la culture Rap ou crise du Rap? Les diatribes des rappeurs professionnels, qui s'enrichissent avec l'argent de poche des gamins des banlieues, avec pour tout gimmick ce critère fasciste de la "jeunesse éternelle", n'abusent pas longtemps ceux qui grandissent dans le chômage. Leurs frasques et scandales de rebelles parvenus n'amusent pas longtemps la gallerie de ceux qui n'y voient plus que des refrains d'une révolte verbale artificielle et sans autre objet que l'exaltation pathologique de la haine et de l'anti-flic primaire. La jeunesse prolétaire, plus sévère et critique qu'on ne le croit, finit par se lasser de ces discoureurs au rythme monotone qui ne font pas autre chose que les chanteurs politiques: crier impulsivement leur haine de la société dans le walk-man que porte celui qui marche dans sa vie quotidienne vers sa solitude dans le bureau des assedic ou celle qui attend sa rame de métro qui va la mener au turbin qui la dépossède de toute réelle musique de sa vie.

Le baba-cool Taddeï voulait-il signifier que le Rap sied mieux à la jouissance footbalistique que la Marseillaise ou que ce vieux chant guerrier chauvin et raciste n'avait plus rien d'éclatant pour faire gagner une équipe de joueurs milliardaires? Bien que ce ne soit pas en général toujours la même clientèle.

mardi 17 novembre 2009



LarencontreCarolineFourest/

Tariq Ramadan



EN ATTENDANT LA GUERRE :


UN PUGILAT DE SOUS-ENTENDUS VICE VERSA



La salle avait été chauffée depuis quelques semaines. Les téléspectateurs de la chaîne française de « service public » FR3 allaient pouvoir se mettre sous la dent, bien qu’à onze heures du soir un grand « choc de civilisation » entre une jeune égérie féministe culottée connue pour sa virulence à pourfendre le fondamentalisme new look et son principal adversaire (ou l’inverse) le principal représentant de commerce cool du même fondamentalisme, Tariq Ramadan.


Belle femme au visage lisse, Caroline Fourest en impose d’abord par sa diction parfaite, son raisonnement charpenté et sa maîtrise de soi face au sémillant Ramadan qui use de toutes les ficelles de son attitude séductrice d’élégant intellectuel sophistiqué (dixit Coleman). Elle attaque donc avec l’argument universel contre le guru : son double langage. Et chevauche un des principaux arguments du féminisme bourgeois : la femme traitée en inférieure. Avec pour cible les codes arriérés de l’Islam, mais avec le risque de s’aligner sur les thèses réactionnaires d’Oriana Fallaci (1929-2006) : n’y aurait-il que les arabes « en général » pour avoir le droit de battre leur femme, exiger qu’elle soit vierge au mariage ?


Le débat se noie tout d’abord dans des histoires de piscine où le prolétariat se fiche que les femmes soient en maillot de bain ou dans une piscine séparée. Ramadan pose au précepteur : « Ma méthode est de rappeler les préceptes de l’Islam pour aller vers leur interprétation. Je parle des heures durant à des hommes dans les mosquées (…) la dogmatique c’est vous, moi je suis ouvert ».


Dogmatique féministe contre dogmatique musulman ?


Fourest veut s’efforcer de déshabiller « l’univers moral » de Ramadan, il n’est au fond qu’un fondamentaliste (sic) car « il n’a jamais dit qu’il était un réformateur réformiste ». Tariq Ramadan ne reste que le petit fils du fondateur du mouvement totalitaire des Frères musulmans en Egypte dans les années 1920 et reste fidèle à l’esprit de famille.


Ramadan objecte qu’elle a dit que Sarkozy (lors de leur confrontation alors que l’actuel président n’était que premier flic de France) l’avait « déstabilisé », or, objecte-t-il, le Coran dit qu’on ne doit pas frapper le visage d’une femme[1]. Ramadan avoue son double langage, il est pour le moratoire des femmes battues « uniquement pour les européens » (= tabassez tant que vous voulez mais ailleurs).



La polémique dérape ensuite sur les soutiens des deux interlocuteurs. Fourest rappelle justement que Ramadan est payé par diverses officines et notamment par le gouvernement iranien. Ramadan offre tout l’attirail du prédicateur fondamentaliste, dans sa valise il trimballe non seulement ses lires de propagande mais des cassettes audio, ce qui manifeste une intelligence de la propagande en faveur des illettrés et surtout d’une masse de la population prolétaire pauvre qui ne supporte pas la lecture. Il mène des conférences un peu partout, dans des colloques où il est invité par des chefs d’Etat, ou dans des universités. Il est intelligent, fin débatteur et comme tout guru, il pratique à merveille l’art de déstabiliser l’adversaire avec la plus parfaite démagogie.


Caroline Fourest est aussi une personne du pouvoir. Rédactrice en chef de la revue d’internet Prochoix, elle est chroniqueuse au Monde et à France Culture ; elle donne des cours à l’Institut d’études politiques, elle collabore au journal satirique gouvernemental Charlie-Hebdo, elle publie ce qu’elle veut et quand elle veut dans les éditions bourgeoises, elle est reconnue comme une importante dénonciatrice de l’extrême-droite ; un CV imposant pour une si jeune femme donc qui révèle qu’elle fait donc partie pleinement de l’intelligentsia bourgeoise qui fabrique « l’opinion occidentale ».



Le spectacle odieux-visuel du « choc des civilisations » est ainsi incarné de façon magistrale d’une part, par cette égérie brillante et belle de la (laide) démocratie bourgeoise et cet intellectuel raffiné, racé et distingué représentant autoproclamé du « monde musulman », qui vante la « pureté morale » de l’Islam (obscurantiste) face à la « décadence occidentale ». La caméra a choisi son camp : Caroline Fourest est souvent filmée de derrière la tête face à l’intellectuel arabe (quoique traité de suisse à plusieurs reprises) ; avec cette délicate tête de la journaliste vedette en coin d’image face aux yeux écarquillés du représentant bcbg des bigots, nous sommes, nous spectateurs, dans la situation de l’Occident (civilisé et vacciné contre la grippe étrangère) agressé par le monstre oriental ; jamais la caméra ne filme Ramadan dans la même position : soit il est filmé en gros plan lorsqu’il parle, soit on nous montre la jeune femme au visage adolescent comme une vierge peu effarouchée face à ses saillies littéraires et dont les petites lèvres répliquent comme des lames de couteau. La caméra filme Ramadan lorsqu’il se penche en avant et nous frissonnons : va-t-il la frapper ou la lapider ?



La suite de la confrontation n’est qu’une bataille de post-it. Les deux adversaires sont venus avec leurs bouquins respectifs chargés de post-it.


Fourest a commis 200 erreurs mais Ramadan ne va pas s’abaisser à les citer toutes. Les citations, résume-t-il sont tronquées, sorties de leur contexte, la « mademoiselle » « n’est pas sérieuse ». Le guru repointe son nez : « Toute ma pédagogie vise à faire avancer les mentalités… j’ai fait venir à mes réunions des femmes voilées et non voilées… ».


Fourest ne se laisse pas désarçonner. Elle enfourche la question de l’homosexualité, et se sert d’un post-it : vous avez écrit « ces malades qui nous entourent ». Rectification de Ramadan : « vous avez oublié de citer la suite, citez-la ! ».


Fourest cite la suite où il dit qu’il n’approuve pas. Or Forest tape dans le mille, l’avis « tolérant » que Ramadan ajoute toujours à son « actualisation » des préceptes islamiques, n’est pas négatif. Il glisse une opinion personnelle sans conséquence qui ne remet nullement en cause les tables de lois obscurantistes, et qui signifie pour les « croyants » que force reste aux tables de la loi coranique et que l’avis du petit individu ne vaut pas cher. Ramadan ne s’énerve jamais, il consent à simplement s’indigner sans devenir insultant. Mais il donne raison à l’argument upercut de Fourest en ajoutant : « Mais on ne peut pas changer la religion ! Vous pensez que la religion est forcément homophobe. Je défends le « vivre ensemble » politique ».


Fourest est beaucoup plus forte. Elle explique alors la vacuité de cet hypocrite « vivre ensemble » : Avec des ouvrages masqués sous des titres fallacieux tels que « Islam la réforme radicale » : « Tariq Ramadan a pour tâche de séduire les non radicaux. Il étend son public à ceux qui ne viendraient jamais à l’islamisme radical ».


Fourest a bien préparé le final médiatique : « On a stoppé le front national, regardez-moi dans les yeux, l’islamisme radical ne passera pas non plus ».


Ramadan qui n’est pas tombé de la dernière pluie médiatique ne lâche pas la fanfaronne : « Vous avez bien préparé votre sortie, mais vous parlez au nom de qui ? ».


- des démocrates algériens…


- qui sont ces gens-là, coupe Ramadan, méprisant.


- … et de tous les démocrates…


- Vous méprisez les musulmans.


- Je ne méprise pas les musulmans.




Frédéric Taddeï peut stopper son émission, en effet bien intitulée « Ce soir ou jamais », il a magnifiquement permis aux deux adversaires de s’exprimer, sans hésiter à favoriser sa pouliche Fourest, sans hésiter à faire rendre gorge à Ramadan pour qu’il affirme qu’il n’est pas pour la « destruction de l’Etat d’Israël ».




A PROPOS DE DOUBLE LANGAGE : sous l’obscurantisme et l’anti-obscurantisme, la préparation à la guerre mondiale



Les deux interlocuteurs n’ont fait changer de camp à personne dans ce picrocholin « choc des civilisations ». Leurs divers partisans peuvent tout aussi bien en conclure que l’un a dominé l’autre. Fourest a été impeccable diront les démocrates bourgeois. Ramadan est le meilleur d’entre nous diront les fanatiques. Ce genre de débat renouvelle cependant le genre. Tout le monde se fout des débats entre politiciens de gauche et de droite comme entre spécialistes. La politique use plus vite que les croyances religieuses. C’est la force de Ramadan de mêler religion et politique pour contribuer à restaurer la politique comme religion. C’est la force d’une Fourest de dénoncer la continuation de la mise en tutelle des femmes par tous les fondamentalismes. Dans un monde sans foi ni loi, dans un monde sans plus de références politiques crédibles, tout le monde veut se précipiter dans une nouvelle Arche de Noé pour se sauver de cet univers en déliquescence. Soit. Mais, outre qu’un débat télévisé est toujours piégé et aliéné, les échanges vifs et parfois passionnants de ces deux brillants intellectuels – une femme qui tient tête plus qu’honorablement et avec conviction face à un intellectuel arabe qui n’est pas une brute ni un imbécile – restèrent superficiels et hors des enjeux réels du monde d’aujourd’hui. Désolé pour mes lecteurs nuancés, cela resta un débat de salon entre bourgeois bien pensant. Chacun des protagonistes maîtrise à merveille le « double langage » qui ne serait que l’apanage que d’un seul aux dires de la presse gouvernementale occidentale.


Or, si Ramadan pratique en effet le « double langage », ce n’est pas de sa faute. C’est la nature même de sa religion et de toutes les religions. Toutes vous promettent le nirvana final mais pas sur terre, au-delà. Il faut donc mentir sans cesse pour prôner la soumission à la société actuelle, ordonnancée par les castes des puissants politiques et religieux, en attendant Godot avec les pires superstitions. Toute religion est à l’origine une THEORIE DE GUERRE. Guerre entre clans, entre communautés, entre peuplades. Toutes sont fondées sur la nécessité d’éliminer l’autre, celui qui pense autrement ou refuse de se soumettre à la pensée dominante.


Les débats sur les religions et leurs abus, sur les positions des « communautés », sur le « danger islamiste », sur le « fascisme israélien », sur « le fondamentalisme soft » ou l’antisémitisme, sont des discours de préparation à la guerre.



Avant d’aller plus loin dans cette analyse, il convient de faire un aparté sur l’extension de la religion musulmane depuis la fin du XXe siècle et sur quelles couches de la population elle est en extension.



LA NOUVELLE RELIGION DES PAUVRES



Aux Etats-Unis, pays dominant et phare des mutations sociétales capitalistes, une frange croissante de la population afro-américaine, quantitativement non négligeable comme partie de la classe ouvrière, est entrée dans un processus de conversion à l’Islam qui est loin d’être achevé et qui pose problème.


Avant la Seconde Guerre mondiale, après l’échec de la révolution communiste en Russie, l’Union nationale s’était déjà reconvertie en « antifascisme » et en « fascisme ». L’antifascisme comme idéologie de guerre se proclamait laïc et défenseur de tous les peuples quand le fascisme, avec sa variété nazie, procédait d’une religiosité excluante en premier lieu contre le « juif apatride », mais au fond excluant contre toutes les races non blanches. Le capitalisme occidental qui continuait à sa vautrer dans le sang et l’ignominie de la domination coloniale s’était dédoublé entre un capitalisme démocrate « défenseur d’une civilisation » basée sur le pillage éhontée des peuples « arriérés » et un capitalisme de restauration de la « primauté aryenne ». Les intérêts mercantiles, diplomatiques et de grand banditisme militaire des classes bourgeoises, savent toujours parfaitement se masquer derrière des mobiles vertueux universalistes et religieux[2]. Le versant du capitalisme vainqueur a su totalitairement réaliser le vœu d’Hitler de dissoudre de marxisme[3], c'est-à-dire faire passer pour portion congrue le prolétariat derrière le martyre des juifs et ainsi affirmer que la guerre avait été « anti-raciste ».


De nos jours, exceptée la focalisation sur le colonialisme israélien, honteux et inadmissible, la question juive n’est plus centrale, elle n’est plus qu’un gadget usé pour vieux barbons d’extrême droite, quand bien même le néo-fascisme moderne se moule derrière l’antisémitisme supposé des masses arabes. Le nouvel ennemi moderne c’est l’arabe, et sa religion l’Islam. Pourquoi ?



1°) parce que le phénomène de l’immigration – ce besoin effréné de nouveaux bras prolétariens pour l’industrie capitaliste – a modifié la composition nationale des classes ouvrières des pays riches. Les fils d’esclaves noirs et maghrébins on a été les chercher pour les livrer au nouvel esclavage moderne : l’esclavage salarié. Ils n’ont pas été jetés à fond de cale et entassés comme des animaux, mais embarqués par villages entiers avec maîtres à penser religieux et maquereaux. C’était une caractéristique des premières immigrations portugaises par exemple, et jusque dans les années 1960, on faisait venir bras nus et curés. On n’allait pas laisser le paysan de l’Algarve se prolétariser sans lui laisser un directeur de conscience obscurantiste au cul. Les ronds de jambe des chefs d’Etat européens envers les chefs religieux de toute obédience n’ont pas un but différent de nos jours. La bande à Sarkozy est une des premières en Europe à soutenir la nécessité de construire des mosquées.


Aux Etats-Unis, les petits fils des esclaves africains ont été très tôt en situation d’en référer non pas aux religions des colonisateurs qui les avaient déportés, protestante, catholique ou juive, qui restent des religions d’oppresseurs des peuples, mais à une religion extérieure au colonialisme – sans savoir qu’elle avait été pourvoyeuse d’esclaves elle aussi – la religion du guru Mahomet. Religion par excellence des peuples opprimés durant la colonisation, la croyance musulmane survécut au stalinisme et à sa disparition, laquelle accéléré bien sûr le désir de conversion du fait de la faillite des idéologies révolutionnaires laïques. Si la conversion du boxeur Cassius Clay en Mohammed Ali apparut incongrue dans les sixties insouciantes, l’attrait pour la religion des colonisés s’est renforcée naturellement par le maintien de l’esclavage salarié et surtout la mise au ban irrémédiable de « l’ascenseur social » pour les anciens colonisés de « races » ou de « couleur ». La bourgeoisie mondiale reste majoritairement blanche. Malgré certains « quotas », la misère reste prédominante et éternelle chez les « derniers arrivés » sur le marché mondial de l’exploitation capitaliste. Double méprise, cette situation peut permettre aux nationalismes de s’immiscer dans le prolétariat, avec les résidus évanescents du populisme à la Frantz Fanon, mais relayés et restaurés finalement par l’islamisme « radical » dit « terroriste », comme était considérée la classe ouvrière dans les années 1930, mais sans cet aspect « subversif » qui était celui d’une classe ouvrière considérée encore comme homogène.


Le grand tournant à cheval sur les deux siècles modernes reste les attentats de 2001 à New York, où l’on se souvient que les citoyens américains d’origine noire ou maghrébine avaient été particulièrement mis à l’index et culpabilisés. Nous touchons là au principal moyen mis en œuvre par les élites bourgeoises pour « liquider » la menace prolétarienne mondiale. En même temps que l’affirmation des conflits masqués entre grandes puissances, il faut, constamment, terroriser la population par … des composantes même de la population, en niant tout intérêt de classe, politique et social, commun aux différentes races qui composent la classe ouvrière. Les couches d’intellectuels petits bourgeois tiers-mondistes, mao-staliniens, se sont reconvertis sans mal à l’islamisme et occupent le champ de la contestation officielle du capitalisme libéral bien plus profondément que l’hydre staliniste.



2°) Les millions de prolétaires juifs avant-guerre ne possédaient rien, hormis les quelques parvenus capitalistes, et la question juive a été « casée » en Palestine en en expulsant sans vergogne les habitants. Les millions de prolétaires arabes ne possèdent rien non plus, mais ils résident dans une zone fondamentale pour la marche du capitalisme : les terrains où réside l’or noir. Les quelques oligarchies fantoches qui profitent de la manne pétrolière restent sous la coupe des grandes puissances. La colonisation de la planète a changé de look mais elle reste identique aux oppressions passées. Les minorités d’exploiteurs cyniques en djellabas troquent costumes et cravates pour les réceptions privées et s’encanaillent dans leurs villégiatures occidentales en laissant les bouffons comme Ramadan plastronner avec la philosophie de « vivre ensemble ».


Or, la classe mondiale des prolétaires, dispersée sur les cinq continents, ne devrait pas avoir plus que les anciens juifs de « terre promise » ni patrie puisque ni le pétrole ni les luxueuses demeures des nouveaux riches ne lui appartiennent ni ne sont à défendre. C’est pourquoi l’islamisme est important comme entité pour les ramener au bercail nationaliste. Et dans le sens d’une nouvelle guerre mondiale qui, selon les vœux des stratèges faucons, opposera forcément des blocs opposés d’un côté entre les Etats-Unis et l’Europe suiviste et affaiblie, et l’aire asiatique et arabe (Russie et ou Chine, etc.). Le combat idéologique se mène au long terme. Les masses opprimées, en particulier arabes et noires, pourraient-elles être une « menace intérieure », une nouvelle « cinquième colonne » pour faire effondrer de l’intérieur les puissances dites « civilisées » dans un nouveau conflit planétaire ?


Aucunement, car comme on l’a vu au moment des guerres du Golfe, elles restent totalement tétanisées, et constituent la majeure partie des soldats envoyés au casse-pipe – même contre leurs frères en croyance – pour les intérêts impérialistes.


La campagne incessante du « choc des civilisations » et de dénonciation du terrorisme obscur n’est qu’un conditionnement à défendre ses propres exploiteurs qu’ils soient d’obédience islamiste ou laïque, quoique les créationnistes aient un rôle aussi fondamental de ciment religieux nationaliste dans le versant occidental.



Tous les fondamentalismes religieux sont des vecteurs de guerre.



LE SESAME DE L’EXTREME-GAUCHE



Le grand danger moderne reste la classe ouvrière par sa capacité de paralyser la production et d’affirmer les besoins de l’humanité, pas les idées d’humanité en général ni les écrits des clercs bien pensants de la presse corrompue. Il y a beaucoup de nouveaux Voltaire en carton, bien indifférents comme lui, aux formes renouvelées de l’esclavagisme. Parmi ceux-ci les militants de l’extrême gauche ont du mal à recycler leurs espérances déçues dans une révolution mondiale qui aurait pu être initiée par les « peuples de couleur », au profit du nouveau tiers-mondisme nationaliste nommé islamisme radical. On est loin de nos deux pantins télévisés, mais il n’existe ni islamisme radical ni islamisme soft, il n’existe qu’un islamisme nationaliste ; comme il n’existe ni capitalisme hard et soft mais bien un capitalisme totalitaire. Une partie de l’extrême-gauche en France est conciliante avec Ramadan, la LCR transformée en NPA dans l’espoir de gagner des voix électorales dans les quartiers dits populaires. Une autre partie de Lutte Ouvrière à l’intellectuel marginal Yves Coleman se rallie à l’anti-obscurantisme côté américanophile. Coleman a fait son cheval de bataille de l’anti-racisme. Il combat le « racisme français » comme il combat le déguisement des positions obscurantistes de Ramadan. Ses contributions sont traduites et considérées par les groupes trotskystes anglais et américains sur le web. Avec cette finesse de langage ambigu apprise chez LO il semble approcher de la vérité des classes : « La bigoterie de Ramadan dessert les travailleurs qui croient encore à l’Islam et veulent lutter aussi contre le capitalisme ». Coleman a raison de souligner que Ramadan rend opaque son discours typique des « frères musulmans » traditionnels et totalitaires derrière la dentelle des mots respect, tolérance, dialogue. Mais il a produit « 40 raisons pour lesquelles Tariq Ramadan est réactionnaire », traduit et généreusement étalées sur le web. On n’entrera pas ici dans ces 40 raisons, qui regroupent un collage de toutes les positions parcellaires du gauchisme démocratique, du féminisme à l’homosexualité. On remarquera simplement que faire allusion à « Ali Baba et les 40 voleurs », vieille saga perse si célèbre cinématographiquement aux temps de la colonisation – pleine de poncifs sur les bons arabes soumis – manifeste le choix du camp « progressiste » le plus pourri. L’histoire de la caverne d’Ali Baba est bien connue. Son suc réside dans le « sésame » qui permet d’ouvrir le portail de la fortune (les richesses arabes qui firent tant envie à l’Occident féodal), c'est-à-dire en un mot, d’obtenir au plus vite ce qu’on recherche. Or, dans l’argot de l’armée américaine en Irak, « Ali Baba », était un terme d’argot pour désigner les individus soupçonnés de vol ou de pillage !



Vous pouvez en conclure qu’avec ce genre de raisonnement « anti-raciste » et résolument dénonciateur du double langage des fondamentalistes, nos gauchistes recyclés dans la défense des valeurs de « tolérance occidentale » sont prêts à endosser l’uniforme de sergents-recruteurs avec leur propre double langage qui exclut le prolétariat universel et multiracial de l’équation guerre ou révolution.



Ce sera tout pour aujourd’hui.








[1] Et il fait l’impasse sur ce sous-entendu qui signifie qu’on peut la battre sur le corps depuis des siècles, car cela ne laisse pas de trace … sous la longue robe noire !



[2] Voir ma série d’articles dans PU papier de 2002 : « Le prolétariat contre l’islamisme capitaliste » (n°80 et suivant, ainsi que « Décadence et capitalisme » n°56 et suiv.)



[3] Dans Mein Kampf, Hitler déclare : « le but de mon combat est d’éradiquer le marxisme ».