PAGES PROLETARIENNES

dimanche 7 septembre 2008

L’ennui dans la classe ouvrière

La semaine dernière un sondage de 20 minutes nous apprenait que 5% des travailleurs sont satisfaits de leur travail. Pour dépolitiser un peu plus la place de la classe ouvrière, la mode est à la psychologie. Durant 30 ans on n’a cessé de nous bassiner avec une rentrée sociale perturbée en septembre, un « autonome chaud », un « nouveau 68 ». L’orchestration était menée dès juillet tambour battant par les félons syndicaux, et il ne se passait en général rigoureusement rien que de banales journées d’action soporifiques. Triste temps ! Le tristounet secrétaire général de la CGT qui avait dû fuir sous les quolibets comme son collègue de la CFDT en novembre de l’an passé, a versé une larme : « au travail les travailleurs ont une réelle souffrance », voilà qui leur fait une belle jambe aux travailleurs !

Le nouveau parti riquiqui de Besancenot, Rouillan, Clémentine Autain et Cie – qui ne brasse que du vide derrière sa vedette médiatisée – enfourche le cheval de la défense de la Poste. Autrement dit, comme les fortes menaces verbales des syndicats concernant l’EDF, cela servira à accélérer la privatisation. Un combat perdu d’avance en quelque sorte, et surtout un autre buisson pour faire passer au second plan la nécessité de lutter ensemble en se donnant LES MOYENS POLITIQUES de combattre réellement les nouvelles formes de paupérisation (RSA, fin de droits, expulsions, exclusions, etc. Rien n’est impossible désormais avec la totale incertitude qui règne de plus en plus pour l’avenir immédiat et lointain des jeunes salariés. Rien n’est impossible face au cynisme dominant dans les bureaux d’embauche, dans le harcèlement du travail quotidien et débilitant. Rien n’est impossible… tôt ou tard, à moins que la bourgeoisie trouve le moyen de chloroformer la conscience du prolétariat de moins en moins évanescente et disposent des moyens (idéologiques et financiers) de calmer sacolère lorsqu’elle éclatera massivement.

Vu un reportage sur la privatisation des prisons en Allemagne. Toute la quintessence des privatisations actuelles était exhibée – non pas que les « nationalisations » n’aient pas été une fumisterie pour niquer le prolétariat – mais parce que le profit n’a pas de limite et relègue le bourgeois Hitler au rang de simple abruti. Le nazisme ne pouvait pas durer longtemps avec ses camps de travail et de mort, ni se justifier aux yeux de l’humanité. Le capitalisme libéral fait mieux. Des patrons allemands s’associent avec des directeurs de prisons privées pour transformer les prisons en usine. Les matons troquent l’uniforme contre celui de chef d’atelier. La morale est sauve, les taulards « bénéficient » d’une formation, pour ceux qui n’ont pas une condamnation supérieure à 5 années. Les voilà cuistots, tourneurs, assembleurs… Un petit pécule fait la différence avec les camps d’Hitler. Les droits de l’homme sont sains et saufs !

Tiens, entendu sur une radio, un intello d’extrême-droite, revenu des hystéries gauchistes, rappeler une banderole très choquante à ses yeux : « Les droits de l’homme sont la vaseline inventée par la bourgeoisie pour baiser le prolétariat » (Nanterre, 1968). Tout à fait !

Allez, puisque les vacances sont finies, laissez-moi vous confier cette longue citation d’Erich Fromm, sur l’ennui (en attendant la colère) :

« L’ennui, dans la classe ouvrière, est beaucoup plus conscient que dans les classes moyennes et supérieures, comme le montrent amplement les revendications des ouvriers quand ils négocient leur contrat de travail. Ils sont privés de satisfactions authentiques que connaissent tant de personnes d’un niveau social plus élevé qui, dans leur travail, peuvent, du moins dans une certaine mesure, exercer leurs facultés imaginatives, intellectuelles et organisationnelles. Cet état de choses a été largement démontré au cours des récentes années par le fait que, de plus en plus, les travailleurs manuels se plaignent de l’ennui pénible qu’ils éprouvent pendant leurs heures de travail, en dehors des revendications plus traditionnelles relatives à l’insuffisance de leurs salaires. L’industrie essaie de remédier à cela, dans quelques cas, par ce qui est souvent appelé « l’enrichissement des tâches » qui consiste à confier à l’ouvrier plus d’une seule opération, à lui laisser organiser et réaliser comme il l’entend son travail, et, d’une façon générale, à lui donner davantage de responsabilités. Il semble que cette solution aille dans la bonne direction, mais elle est très limitée si on tient compte de la mentalité générale de notre culture. On a souvent suggéré, également que le problème n’est pas de faire un travail plus intéressant, mais de l’abréger dans une mesure telle que l’homme puisse développer ses facultés et ses centres d’intérêt pendant ses loisirs. Mais les protagonistes de cette idée oublient que les loisirs eux-mêmes sont manipulés par l’industrie de consommation et qu’ils sont, quoique d’une façon moins consciente, aussi ennuyeux que le travail. Le travail, c'est-à-dire l’échange de l’homme avec la nature, est une partie si essentielle de l’existence humaine que les périodes de loisirs ne pourront être créatives que du jour où il cessera d’être aliéné. Cela, toutefois, n’est pas seulement une question de changement de la nature du travail, mais d’un bouleversement politique et social orienté vers la subordination de l’économie aux besoins réels de l’homme. » (La passion de détruire, ed Laffont 1973)

Baudelot et Establet sont plus pessimistes, ils croient à un effondrement de la classe ouvrière alors qu’elle est obligée, dans un désarroi temporaire, de parcourir à grande vitesse à notre époque, à nouveau le chemin d’apprentissage qui avait été celui des générations mortes, dans un monde sans humanité où la sociabilité ouvrière est désormais la plus faible (alors qu’elle fût longtemps dominante face aux autres classes) et où solitudes et suicides sont la norme récurrente et dont on ne voit pas le terme :

« L’effondrement de la classe ouvrière en tant que groupe social dans un contexte économique de désindustrialisation, un affaiblissement de la résistance collective, une crise du militantisme syndical et la montée de tensions racistes sur fond de chômage de masse. Autant de mouvements qui accroissent la vulnérabilité (…) Ce sont aujourd’hui (seconde moitié du XXe et début du XXIe siècle) les catégories sociales situées au bas de l’échelle qui se suicident le plus » « C’est dans les fractions intellectuelles des classes supérieures que la sociabilité atteint ses plus hauts sommets (…) Quant aux ouvriers, ils se distinguent des autres groupes par une sociabilité plus faible : moins d’amis, moins de copains, moins de relations de travail, moins de contacts avec des commerçants ou des voisins. (…) Il en va de même de l’appartenance à des associations dont la même enquête montre que plus on s’élève dans la hiérarchie sociale et surtout dans celle des diplômes, et plus s’accroissent les chances d’entrer dans une association (…) le suicide frappe les populations dont l’espérance de vie est la plus courte. (…) (le suicide a) un portrait proche de celui de la dépression : chagrin, abandon, isolement, solitude, anxiété, terreur du futur » (Baudelot et Establet, Suicide l’envers du monde, Seuil 2006).

COURAGE FUYONS LE CAPITALISME EN L’AFFRONTANT !