PAGES PROLETARIENNES

mercredi 19 décembre 2007

Quelle implication des groupes politiques dans la grève des transports en France?

Bilan d’une grève provoquée par le gouvernement

Et enseignements politiques pour l’avenir

Il faut mesurer l’échec de la grève des transports de novembre 2007 en France. Le bilan est mitigé. Gouvernement et syndicats, surpris d’abord par la détermination des grévistes ont réussi à enterrer la grève au son des négociations prorogées en coulisses au mois de décembre.

Grève bizarre, comme je l’indiquais dans le premier tract diffusé début novembre, grève si bien préparée contre le dernier carré des jeunes retraitables, qu’il ne fallait pas s’illusionner d’un poil sur ses chances de succès. Alors : demi-échec des ouvriers ou demi-réussite du gouvernement, ou les deux ?

Les ouvriers n’en sont pas à leur premier échec pour partie d’entre eux et s’en relèveront. Il n’y a pas mort d’homme et, si l’intérêt national économique a pris le dessus, ce n’est que partie remise pour des sacrifices bien plus élevés qui seront posés ultérieurement. Pour le gouvernement qui s’est tellement emberlificotés dans des négociations de couloirs au point qu’on se demande comment les syndicats ultra-corporatifs font pour retrouver leurs petits, la victoire n’a pas de panache : on se doute de drôles de concessions financières, on se doute aussi de son incapacité à résoudre sur le fond la question des déficits.

Plus que sur la forme de la grève et les litanies sur les habituelles trahisons syndicales, je pense nécessaire de traiter en premier lieu de la prise de position des groupes gauchistes, ou cercles à prétention révolutionnaire. Si un groupe politique existe pour le prolétariat, pour son émancipation, c’est avant tout, on en conviendra, pour l’aider de sa lucidité dans l’analyse du rapport des forces et pour lui éviter de gâcher son énergie. On commencera donc par ceux qui ont foncé dans le piège syndicaliste, et on examinera ensuite les carences des « prudents ». En dernière partie, j’examinerai ce que j’appelle la crise de la théorie révolutionnaire et l’absence de propagande communiste par la plupart des groupes, sectes et cercles, qui en reste au ras des pâquerettes syndicalistes.

  1. LA COURSE DERRIERE LE SYNDICALISME OFFICIEL :

a) Evidemment de la LCR (« C’est le moment » rantanplan…) à la secte LO et la FA, la plupart des groupes gauchistes se sont rués derrière les représentants de l’Etat en milieu ouvrier, avec leur mot d’ordre le plus navrant, le plus suicidaire et le plus inutile : retour aux 37,5 années pour tous ! Mais la ruée des gauchistes suivistes du moindre signal syndicaliste resta molle et accompagnatrice avec ballons et flonflons d’une grève planifiée pour aller dans le mur. Si la grève était au fond surtout politique, elle n’avait pas besoin d’être affaiblie par une revendication aussi inutile et qui, finalement, divisait ! Les travailleurs des transports n’ont pas montré eux-mêmes un niveau de conscience très élevé en tolérant en permanence la tenue de tractations secrètes (dont la presse faisait état chaque jour) et ils étaient eux-mêmes coincés dans l’impasse de leurs soit disant acquis corporatifs qui ne pouvaient permettre de dégager une quelconque revendication unitaire ; imaginez un groupe d’accusés qui refusent de subir le sort d’autres, déjà condamnés et derrière les barreaux, et qui s’échineraient à revendiquer la liberté pour tous… Les cris des gauchistes syndiqués et implantés revenaient à réclamer la liberté en prison, et de SUD à la CNT, ils se ridiculisèrent par le même jusqu’auboutisme infantile ; ce dernier se dégonfla même début décembre pour passer le relais à la CGT, sûre désormais que les grévistes, épuisés financièrement, ne récidiveraient pas de sitôt.

b) LA DILUTION DE LA GREVE PAR LES GROUPES ULTRA-GAUCHES ETIQUES :

Ultra-gauche ou même « milieu révolutionnaire » hors du Parlement et contre la bêtise gauchiste, tout cela ne signifie plus rien avec en pôle position le résidu du CCI (Révolution Internationale) qui ne se distingua en rien à la suite des gauchistes dans l’apologie du retour dit « unificateur » aux 37,5 annuités : Tous les unitaires s’appellent Martin, mais tous les Martin ne sont pas unitaires ! Plus enthousiaste que les gauchistes, le CCI appela partout à aller « massivement » aux manifs enterrement.

R.I., qui fut plus perspicace dans son lointain passé, n’a pas vu que les revendications petites bourgeoises des étudiants (revendication gauche caviar d’une université non privatisable), orchestrées par les suivistes gauchistes, servaient à affaiblir la grève des transports en la remisant au niveau du cortège des mécontents de toute sorte. Pire, et du jamais vu dans l’histoire au moins depuis 1968, ce petit groupe s’est fabriqué une intervention inédite et cocasse. Comme il n’est implanté à peu près nulle part contrairement aux gauchistes, cela lui est un casse-tête à l’idée d’aller porter la bonne parole aux entreprises en grève, alors ce coup-ci il a eu recours au subterfuge suivant : « un petit groupe d’étudiants venus à notre dernière réunion publique a amené une délégation de vieux travailleurs politisés, membres du CCI, dans deux AG de cheminots » !

Ce groupe qui avait longtemps combattu l’idée que la conscience apportée de l’extérieur de la classe ouvrière, version Lénine bourré, a révolutionné la science politique moderne par le présupposé : no problem, les étudiants sont les enfants de la classe ouvrière ! Et comme on le voit, les étudiants « boites à idées » (de futurs cadres ?) sont aussi désormais les suppléants du parti révolutionnaire inexistant et des passeurs de la parole (méprisée) de « vieux travailleurs politisés ». Ces militants déguisés en « vieux travailleurs » viennent bien sûr enseigner à ces « crétins » d’ouvriers la trahison permanente des syndicats de tout bord mais pas seulement. Ils viennent faire la leçon aux syndicats qui ne se préoccupent pas de la situation des étudiants et des autres fonctionnaires. Et au lieu d’insister sur la nécessité de discuter entre travailleurs de diverses entreprises, nos retraités de la révolution virtuelle ont proposé dans deux ou trois AG d’aller discuter avec les étudiants pour construire l’unité (électorale ?) et puis de défiler derrière une banderole unique. Peine perdue, porte ouverte enfoncée, la banderole unique et syndicale existait déjà et elle portait : « retour aux 37,5 annuités pour tous » !

Le degré de décadence révisionniste du CCI est véritablement lamentable, non parce qu’il substitue à son ancien ouvriérisme une apologie de la jeunesse petite bourgeoise - en crachant au passage sur les couches pauvres du prolétariat, ces émeutes « qui ont toujours constitué le prétexte parfait ( !?) pour renforcer encore et partout l’Etat policier » - mais parce qu’il ridiculise toute intervention de parti.

Le CCI, à la queue de tout, et après avoir lu PU, tire comme seule leçon en fin de grève qu’il faut dénoncer les négociations… secrètes ! Ne l’eussent-elles pas été moins si on avait admis les étudiants comme « intermédiaires » ?

Un dernier mot sur la dite lutte étudiante (*). Celle-ci fut minoritaire de bout en bout, ne concerna point la classe ouvrière – Sarkozy était plutôt du côté de l’efficacité même si c’est de la daube, en proposant une université qui débouche vraiment sur l’industrie et non les belles lettres – et se caractérisa par toute une série de magouilles gauchistes, faux délégués, menaces aux récalcitrants, charivari anar provocateur et inconsistant. Et c’est ce « milieu » que le CCI nous a présenté comme « l’avenir de l’humanité », en partie, ou en totalité comme intermédiaire entre organisation politique et ouvriers en grève ! Aux fous !

2) LES GROUPES ETIQUES PLUS PRUDENTS :

a) le cercle PCI (bordiguiste) a bien vu l’organisation du simulacre de grève et le contrôle de plomb par les mafias syndicales dès le départ en un résumé lapidaire : « Les directions syndicales appellent donc les travailleurs à lutter pour négocier la sauce à laquelle ils seront mangés ».

Néanmoins, les bordiguistes sont toujours superficiels dans leurs critiques de la bourgeoisie, et avec leur vision hiérarchisée pour leur propre compte, ils ne voient que des « directions » au lieu de considérer des « appareils » et tous les gougnafiers « de base » qui ont fait voter les non grévistes pour la reprise. Dans leur tract, on trouve une tautologie époustouflante : « pour que la lutte soit victorieuse, il faut d’abord qu’elle ne soit pas trahie par ses dirigeants » ! Il eût fallu alors que les travailleurs aient l’initiative et aient élaboré LEURS revendications.

Le petit PCI n’analyse pas la situation, les problèmes de société plus que salariaux qui sont posés, et oppose la solution formelle de l’élection de comités de grève. Il n’est pas d’une bien grande aide pour le prolétariat en lui disant qu’il doit se préparer à de nouvelles attaques, croit-il que le prolétariat a besoin de ce conseil ?

b) le cercle Tumulto de Toulouse, proche de ce milieu politique de la Gauche communiste historique, a réalisé lui un tract convenable mais abstrait. Il engageait au combat sans état d’âme « Une seule classe ouvrière » (car il n’y en a pas deux) afin qu’elle « réaffirme son identité de classe », terme langue de bois pour le prolétaire lambda de nos jours (prolétaires vos papiers ?), comme « combat de classe » ou le très luxemburgiste, frustrant et guère enthousiasmant « la seule victoire est la lutte elle-même ». Ses slogans au final « portons haut la fraternité et la solidarité ouvrières », avec le même formalisme que le PCI (délégués élus et révocables) pouvaient incliner à souffler dans le sens de l’impasse syndicale.

c) la fraction externalisée du CCI n’a rien fait et a bien fait en publiant un communiqué sur la grève des transports. Alors qu’il y a quelques années, ce cercle crut à l’échappée belle de la lutte prolétarienne mondiale à partir des casseroles petites bourgeoises en Argentine, cette fois-ci, le simulacre de grève en France s’inscrit dans un « lent développement des luttes au niveau international », ce qui est très discutable dans la mesure où la grève a été provoquée rapidement par la bourgeoisie. Après la répétition de vieux poncifs du CCI sur le prolétariat allemand, sorte de Saint Paul du prolétariat mondial et une imaginaire accumulation d’expériences de grèves fragmentées ou parcellaires en une conscience unificatrice, la fiction interne du CCI salue la tradition de luttes des travailleurs des transports et décrit très bien le saucissonnage et le sabotage total de la grève de la veille au soir. La plupart des remarques qui analysent la faible dynamique de la grève, le facteur de désorientation du charivari étudiant (aux « revendications petites bourgeoises »), placent cette fois-ci ce cercle à un autre niveau de sérieux politique que la maison mère, même s’ils sont autant autistes. Les beaux restes du CCI ne seraient-ils plus qu’externes ? La fraction mesure justement dès le départ l’absence de perspectives d’élargissement de la grève et décrit le cinéma de la radicalisation des syndicaux de banlieue. Selon eux la grève n’a pas été un véritable échec, et ils font confiance au gouvernement pour généraliser de nouvelles attaques à l’ensemble de la classe ouvrière, ce qui est une vision simpliste et peu perspicace après la grève des transports et sur comment opèrent en général les gouvernements.

Ce cercle trade-unioniste révolutionnaire réduit, qui se présente comme le pôle de regroupement du futur parti mondial, conclut avec une arrogance non dissimulée qu’il lui a suffi de distribuer un tract contre la misère mondiale pour aider la classe ouvrière à réfléchir à « la réalité du capitalisme ». Ces gens-là expliquent la misère à la classe ouvrière, hé hé… et espèrent qu’en voyant enfin l’horreur capitaliste la masse ouvrière asservie idéologiquement à la bourgeoisie comprendra qu’il lui faut déclencher le grand soir. On en est fort marri. C’est aussi un révisionnisme de la théorie marxiste mais version spontanéisme. En lisant leur tract dit international sur la misère, on pense à ce que disait Lénine en 1903 : « seuls quelques (pitoyables) intellectuels pensent qu’il suffit de parler « aux ouvriers » de la vie de l’usine et de rabâcher ce qu’ils savent depuis longtemps » !

3) L’ABSENCE DE THEORIE REVOLUTIONNAIRE :

Des milliers de fois a été cité la phrase sans verbe de Lénine : « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire ». La pauvreté idéologique de ce qu’on vient de lire, l’attente de la rédemption spontanée du prolétariat par la revendication du jour, le suivisme le plus plat derrière les chants syndicalistes, nous obligent à compléter ce qui accompagnait les six mots de Lénine et qui va comme un gant à nos donneurs de leçon radoteurs : « On ne saurait trop insister sur cette idée (la théorie révolutionnaire) à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites de l’action pratique va bras dessus bras dessous avec la propagande de l’opportunisme à la mode ».

Il est frappant que ces divers groupes ou cercles qui existent depuis des années n’aient pas été capables d’analyser les revendications, de se passer de tout suivisme pour des revendications de salariés qui ne sont pas des tables de lois. Il a toujours existé des revendications totalement corporatistes voire répugnantes (produisons français…). Aucune réflexion non plus sur la retraite vue comme une institution intouchable au point que c’est Sarko qui est apparu comme plus progressiste en prétendant faire entrer en ligne de compte les spécificités, la pénibilité, etc. ; j’ai titré mon deuxième tract : « Vieillir au boulot ? Jamais ! » et il était accueilli par un œil intéressé et avec le sourire des manifestants.

Aucune réflexion critique sur comment les puissants nous ont trimballés de la retraite égale pour tous au pouvoir d’achat ce serpent de mer ! Le CCI fît montre par le passé d’un vrai sens critique sur les mirifiques promesses de l’autogestion et des 35 heures.

Pire aucun de ces cercles ou prétendu « squelette » du futur parti mondial du prolétariat n’a analysé cette grève comme politique, alors que des commentateurs bourgeois l’ont clairement identifiée comme telle, suscitant l’ire du bonze Chérèque (surtout pas !). Politique parce qu’elle posa un problème de société que la bourgeoisie prétend résoudre au niveau national, politique parce que les grévistes ont, même dans une situation largement défavorable, tenus tête au gouvernement, politique encore parce que la lutte de classe étouffe dans le carcan du simple questionnement économique et syndicaliste. La grève était devenue politique parce qu’il est apparu très tôt qu’il ne pouvait y avoir satisfaction sur la revendication économique catégorielle et donc qu’il s’agissait de défaire une riposte ouvrière sur la retraite qu’il a fallu une dizaine d’années pour épuiser : 1993, 1995, 2003, 2007.

Tous ces groupes anémiques ou cercles indigents, en exaltant une lutte pour l’essentiel corporative, très contestable du point de vue de l’ancienneté au travail, très ambiguë sur la notion des « acquis », ont participé de l’asservissement idéologique des travailleurs des transports à la bourgeoisie, sans, heureusement, convaincre les autres de la validité des « cas particuliers ». Par contre, plus la grève durait plus elle nuisait à la perception encore confuse et peu probante de « l’unité de classe » (comme dit Tumulto) et divisait la classe ouvrière. A trop se prolonger aux basques de la comédie des négociations, la grève devenait… anti-ouvrière ! Les hippies de Sud l’ont bien compris qui ont mis fin à leur jusqu’auboutisme qui ne faisait plus que servir le gouvernement comme l’interminable grève des petits bourgeois étudiants.

Personne parmi tous les groupes n’a posé le problème de société et de l’avenir qui réside derrière la question des retraites. La plupart sont restés arcboutés sur la défense des « acquis » pour les beaux yeux des « gros bataillons » de la classe, par bêtise trade-unioniste ou visée électorale. Il y avait matière, non pas à décrire la misère comme la fiction interne du CCI, mais à souligner l’absence de perspective sociale et économique de la bourgeoisie, surtout la lente exclusion de millions de prolétaires de la production et de toute protection sociale. Ainsi, la lutte économique pour la défense d’une retraite raccourcie par nos divers suivistes du syndicalisme est restée liée à la politique bourgeoise de cogestion des déficits abyssaux de l’Etat.

Gauchistes ou ultra-gauches, en misant sur un développement de la seule conscience économique espèrent que la classe ouvrière surmontera spontanément la césure de la chute de la maison stalinienne et les tonnes d’ordures déversées sur le marxisme et les révolutions. Cela fait quarante ans finalement que cette politique d’attente de la radicalisation économique, au fond syndicale, ne sert à rien comme alternative au capitalisme. La plupart des grèves ne sont plus une école de la lutte des classes, et n’apportent aucune réflexion sur un possible changement de société, laissant le prolétaire individuel amer et replié sur lui-même. La bourgeoisie absorbe régulièrement sans trop de casse toute cette agitation en rien dangereuse et la dénonciation de la trahison des syndicats en fin de grève est elle-même devenue une tradition acceptée. Et, je parle par expérience, la « trahison » n’est jamais vécue par tous les ouvriers comme la trahison de tous les syndicats quand elle n’est pas vécue comme une victimisation de nos propres capacités.

J’ ai lancé des pistes de réflexion dans PU 163 sur ce que cette grève manifestait au plan politique du point de vue du prolétariat :

- la contestation du travail, de sa durée, de sa hiérarchie,

- la diversité des revendications et des besoins, il n’y a plus de revendication unificatrice (par ex. les 8 heures, la retraite à 60 ans, etc.) mais un besoin d’unité par les mêmes méthodes de lutte, contrôle de sa marche, concertation directe entre patron et ouvriers,

- savoir commencer une grève (beaucoup de cheminots n’avaient pas envie d’aller au casse-pipe au début…) et l’occupation du terrain par les syndicats est en général la preuve que la grève est mort-née…

- la grève n’est pas la seule forme de lutte (la fin de cette grève a été plus dûe à la perte de salaire qu’aux trahisons syndicales ou à la haine quotidienne déversée par les médias) manifestations et assemblées de rues peuvent permettre aux ouvriers et employés de s’exprimer politiquement et de renvoyer au bercail les avocats du gouvernement.

Mais, au fond, ce qui importe n’est pas simplement formel, il faut aussi que les individus ou groupes qui veulent faire avancer la lutte ne cachent pas leur programme, s’ils en ont un. Laissons de côté les histoires sans fin de conscience apportée ou pas de l’extérieur. La lutte économique actuelle restera toujours un peu plus liée à la politique bourgeoise si l’insistance n’est pas portée sur la gabegie du capitalisme. Sans promettre le beau communisme universel qui résoudra tout, le rôle des révolutionnaires (sans aucun parti crédible pour l’heure) n’est-il pas de favoriser des débats qui, en soulignant les limites du capitalisme, posent la nécessité d’une réorganisation de la société et par conséquent qui créent la nécessité d’une large organisation en parti (sans illusion sur une satisfaction syndicaliste immédiate) faute de quoi la spontanéité ouvrière restera inséparable de la politique bourgeoise de gestion de la misère et de l’exploitation.

S’il reste des flous, des impondérables, si je produis des exagérations, autant pour moi, mais une réflexion s’impose sur le cul de sac des revendications immédiates, faute de quoi la misère restera dans l’ornière.

(*) Théorisée comme telle, l’idéologie fantasmatique du « mouvement étudiant », éphémère et caméléon par nature, se nourrit d’un activisme syndical qui est souvent le premier diplôme avant la vie active, et qui n’est rien d’autre que le label dirigiste de cette couche sociale impuissante. Celle-ci ne peut qu’aller mendier auprès de l’Etat la garantie d’un statut intermédiaire dans la hiérarchie sociale. Queue de la petite bourgeoisie intellectuelle, le mouvement étudiant considère que l’Etat est neutre, d’où ses appels incantatoires à des diplômes républicains, à l’égalité des portes d’entrée dans la vie active.

L’étudiant de mai 68, en général (et en sciences humaines…) peu centré sur son nombril arriviste s’était trouvé dans une situation passionnante de jonction avec les ouvriers dans une découverte de la politique révolutionnaire, et pas comme histoire d’addition de revendications corporatives. A Censier, ce n’étaient pas les étudiants qui allaient vers les ouvriers, mais l’inverse. Les ouvriers étaient attirés par les possibilités matérielles des lieux : locaux pour tenir des discussions, ronéos, etc. Ce lieu échappait au flicage syndical des usines et aux manœuvres des politiciens staliniens. Il a existé une situation similaire dans les universités russes à la veille de la grande révolution de 1917. Dans les deux cas, il n’y eût pas unité étudiants-travailleurs, la plupart des étudiants restent destinés à être des encadreurs, mais possibilité pour les ouvriers et les révolutionnaires de se servir d’un espace de liberté.

Mai 68 est avant tout la contestation de la politique par des experts, ce que des groupes non liés à une continuité organisationnelle formelle ont bien compris (situationnistes, milieu issu de Sou B et enfants de la GCF). L'étudiant de 68 ne conteste pas dans ce cadre seulement l'Université mais la société entière. Contre toutes les légendes qui vont être à nouveau colportées en 2008 sur 68 il n'existe que trois ouvrages valables pour appréhender le sens de 68, outre mon "mai 68 et la question de la révolution" (1988, épuisé), "L'insubordination ouvrière dans les années 68" de Xavier Vigna (presses universitaires de Rennes 2007, dont je dis tout le bien dans mon prochain livre) et surtout le prodigieux livre de Kristin Ross "Mai 68 et ses vies ultérieures" (New York 2002, et ed complexe 2005). Cet auteure a le mérite non pas simplement de reprendre ma thèse (68 comme mouvement social et antiléniniste, qui est surtout la thèse des groupes de l'époque non fossilisés par la légende évaporée de la tradition révolutionnaire, PO, RI, Cahiers du communisme de Conseils, etc.) mais de montrer que 68 FIT ECLATER LES CLOISONNEMENTS DES STRATES SOCIALES: les étudiants n'ont pas agi comme étudiants mais comme révélateurs d'une crise d'ensemble, ils ont même cessé de fonctionner comme étudiants, comme les travailleurs de cesser de fonctionner comme travailleurs, pour devenir des êtres politiques acharnés à revendiquer liberté et égalité politique. Contre la doxa médiatico-intellectuelle et les légendes sous-culturelles qui ont oblitéré la réalité de mai 68, Kristin Ross a écrit LE LIVRE qu'on attendait depuis longtemps. Elle me cite à plusieurs reprises et s'est inspiré visiblement de quelques analyses de ma modeste contribution. La seule critique que je me permets de lui porter est de surévaluer l'impact des guerres coloniales sur l'évènement. Par avance, je répondais en p.19, avec PV Naquet: "La génération de 1968 n'avait pas connu la guerre d'Algérie. On peut même suggérer que seule la fin des guerres coloniales et la diminution du service militaire a rendu une fraction de la jeunesse disponible pour la révolte". Cependant Kristin Ross touche quand même le fond de la vérité en décrivant dans la répression les méthodes de la contre-révolution qui prédominaient non seulement depuis 1962 mais aussi depuis 1945. On peut comparer avec le Portugal de 1975 où la "révolution des oeillets" sort des casernes de l'interminable guerre coloniale. Comme quoi les révolutions (même soit disant pacifiques) se font toujours contre les guerres proches ou lointaines. L'ouvrage de Kristin Ross a connu un succès de librairie et j'en suis très heureux. Je lui envoie d'ici mille baisers en son fief de New York!